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La corde verte du lapin qui siffle

J'ai fait une robe

Posté le : 19 déc. 2016 17:10 | Posté par : Clémence Hérout
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Dans l’histoire de la création des Chevaliers de la table ronde, je vous avais laissé au moment où l’œuvre avait été choisie et la partition arrangée et transcrite par Thibault Perrine.
 
De leur côté, Christophe Grapperon, le directeur musical, et Pierre-André Weitz, le metteur en scène, scénographe et costumier, travaillent à la table.


 (c) Pierre-André Weitz


Christophe Grapperon explique : « Je prends la partition comme un livre, et je la lis. Je fais éventuellement un retour en arrière si j’ai oublié un élément, mais je la lis comme un roman ». Ensuite, il va et vient entre le livret et la partition en essayant de préciser sa première impression, car « c’est ce que l’auditeur aura ».
Christophe Grapperon essaiera donc de continuer à se souvenir de ses premières impressions, même s’il s’en éloignera dans la suite du travail. « Je trouvais que c’était une partition échevelée. En particulier le début, qui me paraissait complètement loufoque, incroyable. Je m’exclamais à chaque fois que je tournais une page. L’œuvre me surprenais sans cesse, comme si aucun repos ne pouvait être accordé. Il faut attendre la fin de l’ouvrage pour se poser. »


 (c) Pierre-André Weitz


Christophe Grapperon mène ensuite des recherches documentaires sur Les Chevaliers de la table ronde et lit des travaux de musicologues ayant écrit sur Hervé et l’œuvre, qui l’éclairent sur le contexte de la partition et l’aident à mieux la comprendre. Il échange également avec Loïc Boissier, le délégué artistique de la compagnie des Brigands, et la Fondation Bru Zane, qui a proposé l’œuvre.
La question des rôles et de la distribution des chanteurs doit par exemple être interrogée, car elle n’est pas seulement pragmatique : les choix de Hervé en la matière sont par exemple aussi révélateurs de l’écriture musicale, de la langue ou du style. Ensuite, Christophe Grapperon travaille avec Thibault Perrine sur l’orchestration et la transcription dont je vous ai expliqué les grandes lignes il y a quelques jours.


 (c) Pierre-André Weitz


 
Pierre-André Weitz, le metteur en scène
, commence de la même manière : la première chose qu’il ait faite a été de déchiffrer la partition en lisant le livret. « Dès la première lecture, j’ai beaucoup ri. Je l’ai immédiatement relue plusieurs fois et, au bout de quatre ou cinq lectures, des images me venaient en tête. »
Il passe ensuite au concret : « J’ai rapidement besoin de construire un espace : je fais des maquettes, je pense aux personnages, je dessine beaucoup. L’espace que j’imaginais correspondait d’ailleurs déjà à l’Athénée, même si le spectacle a été créé ailleurs. Je fais ensuite des marionnettes : j’invente une mise en scène avec mes petits personnages dans une boîte à chaussures qui représente l’espace créé.
 
Il faut du temps pour dessiner les costumes, faire des maquettes, jouer aux marionnettes, travailler une partition. Cela m’a pris un an de travail : pas un an complet à plein temps bien sûr, car je travaillais sur d’autres spectacles, mais j’y pensais tout le temps. »



(c) Pierre-André Weitz


 
Loïc Boissier, délégué artistique de la compagnie des Brigands, complète : « Pierre-André Weitz a créé un spectacle absolu où il n’a quasiment rien voulu déléguer : c’est son œuf de Fabergé. Parfois, des metteurs en scène envoient des mails pour demander si l’assistante a appelé le régisseur pour qu’il appelle l’administrateur pour savoir si on aurait le budget pour faire un truc qu’il n’est pas vraiment sûr de vouloir. Pierre-André Weitz, lui, t’appelle pour te dire : "j’ai fait une robe". Ce spectacle a éclos comme une boîte de Pandore »
 

(c) Pierre-André Weitz
 


Cette période de premières réflexions est aussi celle du montage financier plus précis du spectacle, qui est porté par la compagnie des Brigands et le centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane. Pour les Brigands, c’est le travail de Loïc Boissier assisté d’Élodie Marchal, en collaboration avec les équipes de Bru Zane.

Concrètement, cela consiste d’abord à évaluer le budget nécessaire pour monter le spectacle (coût de la fabrication des décors et costumes, masse salariale de tous les artistes et techniciens en répétition et en représentation, frais de transport et d’hébergement…). Une fois la distribution des chanteurs décidée, il faudra ensuite convaincre des salles de spectacle d’accueillir ou de coproduire le spectacle avant même qu’il ne soit créé, mais aussi solliciter des subventions ou des soutiens d’autres partenaires.

C’est ainsi que les décors ont été construits à l’Opéra de Reims et que le spectacle est une coproduction des Brigands et du Palazzetto Bru Zane bien sûr, mais aussi de l’Opéra de Bordeaux (qui a aussi accueilli la compagnie en résidence pour créer le spectacle), du Centre des Bords de Marne au Perreux, de l'Opéra de Limoges et de la Coursive à La Rochelle. Il a également reçu le soutien d’organismes comme ARCADI, la SPEDIDAM et l’ADAMI. Des salles s’étaient également engagées à accueillir le spectacle, qui s’est joué trente-cinq fois en 2015-2016.


 (c) Pierre-André Weitz


 
Ces partenaires se sont donc engagés au vu des spectacles précédents de la compagnie des Brigands et de Pierre-André Weitz, de la renommée du travail du Palazzetto Bru Zane, mais aussi de celle des chanteurs : nous aborderons donc le choix de la distribution dans un prochain article !
 
Les Chevaliers de la table ronde se jouent jusqu’au 7 janvier. Demain, commencera en parallèle dans la petite salle Oh là là oui oui, créé par des membres de la compagnie des Brigands.


Clémence Hérout

La corde verte du lapin qui siffle

On s'arrange

Posté le : 15 déc. 2016 16:15 | Posté par : Clémence Hérout
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Je vous racontais lundi le tout début du spectacle Les Chevaliers de la table ronde. Une fois l’œuvre et le metteur en scène choisis, c’est Thibault Perrine qui intervient.

Thibault Perrine est arrangeur, c’est-à-dire que c’est grâce à lui que tous les chanteurs et musiciens se retrouvent avec une partition. Contrairement à ce que l’on imaginerait en effet, les partitions ne font pas toujours l’objet d’une édition corrigée et lisible : si Les Noces de Figaro de Mozart ou les symphonies de Brahms ont été éditées, revues par des générations de musicologues et rendues disponibles à la location ou la vente, la partition des Chevaliers de la table ronde a dû être reconstituée.

Dans un premier temps, Thibault Perrine a mené un travail de recherche de sources : la partition originale de Hervé a été retrouvée à la bibliothèque de l’Opéra de Paris, donc non seulement sous une forme manuscrite, mais aussi dans une certaine pagaille puisqu’elle mélangeait plusieurs versions de l’œuvre et reprenait les corrections apportées au fur et à mesure. 
Il fallait donc d’abord repérer ce qui correspondait à quelle version, déchiffrer un manuscrit pas toujours bien écrit et le confronter à la partition piano-chant (conçue pour que les chanteurs répètent avec un pianiste avant l’arrivée de l'orchestre), qui ne correspondait pas toujours.
Une fois le manuscrit déchiffré et les deux versions reconstituées, il a été choisi de créer une troisième version reprenant les meilleurs passages des deux originales. 

Vient ensuite la constitution de l’orchestre. La partition de Hervé a été écrite pour un orchestre symphonique, composé de plusieurs premiers violons, plusieurs seconds violons, plusieurs altos, plusieurs violoncelles, plusieurs contrebasses, deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons, quatre cors, deux trompettes, trois trombones, timbales et percussions – ce à quoi il faut ajouter qu’entre les deux versions des Chevaliers de la table ronde, l’effectif change légèrement. 

Si les cordes jouent "en pupitre", ce qui veut dire que chaque partie est jouée simultanément par plusieurs instrumentistes (jusqu'à huit pour les premiers violons, par exemple), chaque instrument à vent joue en revanche une partie spécifique. Les instruments à cordes représentent donc plus de la moitié de l’orchestre, mais correspondent seulement à cinq portées de musique dans la partition originale, qui est en fait occupée aux deux tiers par les parties des instruments à vents (bois et cuivres). 
 
Pour permettre à ses spectacles de tourner dans de nombreuses salles françaises, la compagnie des Brigands a choisi de jouer en petit effectif. L’orchestre que vous verrez à l’Athénée est donc composé de deux violons, d’un alto, d’un violoncelle, d’une contrebasse, d’une flûte, d’un hautbois, d’une clarinette, d’un basson, d’un cor, d’une trompette, de timbales et de percussions (jouées par le même musicien) et d’un piano.

L’équilibre entre les cordes et les instruments à vent est donc repensé, et la disposition de certains accords modifiée (six instruments à vents remplaçant ici les dix-sept instruments qui jouaient tous une partie différente dans la version originale).  Ajouté par rapport à la nomenclature utilisée par Hervé, le piano endosse quant à lui un rôle discret mais utile en renforçant notamment l’accompagnement. Aucune modification n’est apportée aux lignes de chant.

Réduire l’effectif d’une partition ne consiste donc pas simplement à diminuer le nombre de musiciens : il faut repenser l’équilibre global de l’orchestre et adopter des dispositions et une écriture spécifiques à l’ensemble instrumental qui va réellement s’emparer de cette musique.

Pour Thibault Perrine, le piège d’une telle réorchestration consisterait à rester prisonnier de la partition originale : comme si l’on entreprenait de traduire mot à mot un texte écrit dans une langue étrangère, le sens global de l’œuvre serait paradoxalement mal restitué - en restant trop près de la lettre, on en trahirait l’esprit ! 

Une fois la réorchestration terminée, il faut tout recopier de façon à disposer du conducteur utilisé par le chef d’orchestre, du piano-chant et de la partition de chaque instrument… La création du spectacle peut continuer : je vous raconte la suite la semaine prochaine !

Les Chevaliers de la table ronde commencent demain soir.
 
Clémence Hérout

La corde verte du lapin qui siffle

Les arts de la table

Posté le : 12 déc. 2016 18:30 | Posté par : Clémence Hérout
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Si vous êtes un habitué de l’Athénée, vous savez que le Théâtre accueille toujours la compagnie des Brigands autour des fêtes de fin d’année.
À partir de vendredi, vous pourrez découvrir Les Chevaliers de la table ronde, un opéra-bouffe avec treize personnes sur scène et treize personnes dans la fosse, sans compter tous ceux que vous ne verrez pas et qui se sont chargés de la production, de l’orchestration, de la transcription, des costumes, des lumières, des chorégraphies…

Pour les artistes et techniciens, les séances de travail qui auront lieu à l’Athénée cette semaine auront vocation à monter le décor et les projecteurs, prendre ses marques dans cette nouvelle salle, répéter le spectacle, vérifier que tout marche, entendre comment ça sonne, adapter les déplacements par rapport au plateau et aux lumières, placer les accessoires…
Mais à quoi ressemblaient les séances de travail d’il y a deux ans, lorsque la compagnie a commencé à réfléchir au projet ? En bref, comment monte-t-on un opéra, du choix de l’œuvre aux dernières représentations ? C’est le sujet que nous allons aborder dans une enquête à paraître sur le blog en cinq articles.


 (c) Gallica
 
 
Loïc Boissier, délégué artistique de la compagnie des Brigands, raconte que c’est le Palazzetto Bru Zane qui a contacté la compagnie : le Palazzetto Bru Zane a pour vocation de favoriser la redécouverte du patrimoine musical français de 1780 à 1920. Désireux de mettre en avant le répertoire de l’opéra-bouffe, ils ont suggéré plusieurs partitions de Hervé (1825-1892) : la proposition tombait d’autant mieux que, comme le directeur musical Christophe Grapperon l’explique, les Brigands voulaient justement monter depuis longtemps une œuvre de Hervé.
Parmi les partitions proposées, ce sont Les Chevaliers de la table ronde qui ont remporté le plus de suffrages après discussion entre Bru Zane, Loïc Boissier, Christophe Grapperon et Nicolas Ducloux, le chef de chant.

 

Hervé
 
 
Pour Christophe Grapperon, c’est la richesse de la partition des Chevaliers de la table ronde qui s’impose d’emblée : de retour d’exil, Hervé répond à une commande du théâtre des Bouffes Parisiens auparavant dirigé par Offenbach. Le théâtre est important, les chanteurs disponibles de très haut niveau, le public nombreux…
Hervé veut rattraper le temps perdu et profiter de l’occasion pour montrer tout ce qu’il sait faire, donnant à sa partition des allures de catalogue complètement loufoque. Il fait surtout ce qui lui chante en se souciant peu de savoir si c’est en accord avec son époque ou non, persuadé que c’est drôle du moment que ça le fait rire.




 (c) Gallica
 
 
Une fois la partition choisie, Loïc Boissier souhaite trouver son metteur en scène avant de valider définitivement le projet. En tournée de La grande Duchesse, il évoque la question avec Antoine Philippot comédien et chanteur, en lui confiant qu’il aimerait trouver quelqu’un « capable de manger cet ouvrage, de se mettre à table et d’y aller franchement, mais qui connaît également ce style de musique ».

Antoine Philippot a travaillé avec le metteur en scène Olivier Py et son scénographe et costumier Pierre-André Weitz, lequel est également professeur de chant. Connaissant aussi son goût pour le burlesque, il glisse le nom de Pierre-André Weitz à Loïc Boissier, qui est allé lui remettre la partition quelques jours plus tard.

Pierre-André Weitz raconte que c’est exactement ce dont il rêvait : monter un spectacle de A à Z, dans ce répertoire, avec ce livret. Il a rappelé Loïc Boissier le lendemain pour le lui dire.

Nous sommes mi 2014, l’aventure des Chevaliers de la table ronde par Les Brigands est lancée !

 
Clémence Hérout

La corde verte du lapin qui siffle

Au pied de la cascade

Posté le : 09 déc. 2016 05:55 | Posté par : Clémence Hérout
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Vendredi dernier, nous avons abordé les images qui ont inspiré la scénographie de l’opéra L’île du rêve. Hier, nous avons précisé la scénographie qui a été imaginée.

Nous passons aujourd’hui à l’étape concrète de la conception et de la fabrication du décor, qui doit prendre en compte la réalité financière du spectacle, les possibilités techniques des salles accueillant le spectacle, le transport et le temps de montage des éléments, la mise en lumière, la transposition dans la réalité des idées de mise en scène et la réception des spectateurs.

La créatrice des lumières, Anne Terrasse, a été associée à la réalisation de la scénographie dès le début, car l’éclairage d’un décor est primordial dans son rendu.

Amélie Lauret, la collaboratrice artistique à la scénographie, explique : « je réfléchis à des procédés visuels et des dispositifs pratiques mettant en valeur les idées que nous avons eues. Je modélise ainsi le décor en trois dimensions sur un logiciel dédié. Comme une maquette, cela permet d’avoir une idée concrète du décor et des matériaux utilisés. On ne peut pas valider une scénographie si on ne sait pas comment la fabriquer… 



 @Amélie Lauret
 
 
Pour créer le paysage de Tahiti, Amélie Lauret et le metteur en scène Olivier Dhénin ont par exemple choisi de reproduire des peintures de John Webber sur plusieurs panneaux disposés en perspective, donnant l’impression que les chanteurs évoluent dans un paysage en relief.

Pour Olivier Dhénin, « l’image flotte et apparaît dans cette sorte de boîte magique où une représentation de Tahiti est reproduite et retravaillée en reprenant un tableau d’il y a deux cent cinquante ans sur un matériau contemporain ».
Amélie Lauret complète : « le procédé amène du rythme et du volume dans l’image. Les plaques peuvent se superposer et créer un buisson, ou donner l’impression que les acteurs passent dans le paysage ».



 @John Webber View of Otapia Bay in Otaheite

 
Amélie Lauret explique avoir choisi le plexiglas après plusieurs tests sur des échantillons, car ce matériau permet de créer à un coût raisonnable un jeu de transparence tout en offrant de nombreuses possibilités d’opacité et de couleur.



 @Amélie Lauret
 
 
Le palais présent dans l’œuvre est seulement suggéré : des bandes de plexiglas colorées sont ainsi placées comme des arcades.

Trois photographies de Paul-Émile Miot sont également imprimées sur deux bâches de sept mètres sur trois pour occuper toute la largeur du plateau dans le fond. Ces photos qui ouvrent chaque acte de l’opéra étaient projetées sur les précédentes représentations de L’Île du rêve, mais ont dû être imprimées pour l’Athénée dont la configuration ne permettait pas d’accueillir le cyclorama (qui sert de surface de projection).



 @Compagnie Winterreise
 
 
Enfin, une cascade présente dans des dessins réalisés par Pierre Loti lui-même est évoquée par un voile aluminium mis en lumière : Olivier Dhénin indique avoir essayé de projeter l’image de la cascade ou de la reproduire avant d’abandonner l’idée de la représenter, car elle lui paraissait finalement irreprésentable. Il explique qu’il s’agit de « donner une amorce au spectateur pour qu’il puisse rêver cette île du rêve ».

Ces plaques métalliques au sol évoquent également les passerelles des bateaux dans cette histoire où il est beaucoup question de marins.



 @Pierre Loti
 
 
Olivier Dhénin explique également avoir souhaité des tranchées pour l’acte 1, mais avoir dû renoncer à cette idée pour des raisons techniques : comment les reboucher avant l’acte 2 ?

Si le plexiglas et les bâches ont été réalisés par des fournisseurs sous la direction d’Amélie Lauret, les lattes de bois symbolisant la forêt et les plaques d’inox et d’acier au sol faisaient partie du stock de décors de la compagnie. Des tests de fabrication et d’impression ont été réalisés, mais l’équipe a découvert l’intégralité du décor à sa livraison à l’Athénée, quelques jours avant le spectacle.
 

 @Compagnie Winterreise
 

Entre la décision de monter L’Île du rêve et ses premières représentations, il se sera donc écoulé environ une année pendant laquelle l’équipe artistique et technique a réfléchi à la mise en scène, la scénographie, les lumières, les costumes, les maquillages ou les accessoires.

De votre côté, pour découvrir L’Île du rêve, il ne vous reste que trois jours : ce soir, demain et dimanche à 16 h.
Bon week-end !

 
Clémence Hérout

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