le blog de l'athénée

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Ils ont blogué pour l’athénée pendant 10 ans
D'hier à aujourd'hui

2008-2018 : au revoir... et merci !

Posté le : 19 juil. 2018 05:09 | Posté par : Clémence Hérout
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« Ménagez-vous » : c’était le titre du tout premier article du « blog de Clémence pour l’Athénée », devenu ensuite « blog de l’Athénée » tout court. Nous étions le 22 septembre 2008, il y a presque dix ans !

Facebook venait juste d’arriver en France, Twitter en était à ses débuts, Instagram, Snapchat ou Périscope n’existaient pas.
Répondant à un appel à projets lancé par l’Athénée qui avait l’intuition qu’un changement de communication s’annonçait, j’avais proposé un blog où je publierais non seulement tous les jours, mais surtout au sujet des coulisses du Théâtre et sur un ton volontairement décalé : il s’agissait tout à la fois de s’éloigner du style institutionnel, de réinsuffler de l’humain, de créer un véritable lien avec vous, de présenter le travail quotidien de toutes les personnes du Théâtre et de vous apprendre des choses – ou juste, parfois, de vous faire rire.


Mon projet fut accepté et, alors que j’avais à peine vingt-trois ans et mon diplôme, son directeur Patrice Martinet me donna les clés du fichier contacts des spectateurs et spectatrices de l’Athénée (vous !) en me laissant totalement carte blanche : convaincue que le blog ne prendrait pas si les articles passaient à la moulinette de la relecture, la direction du Théâtre a fait le choix courageux de découvrir chaque matin mes articles en même temps que tout le monde.

En textes, photos, vidéos et enregistrements sonores, j’ai ainsi pu montrer aux 25 000 personnes inscrites au blog la vie des coulisses du Théâtre, mettre en valeur le travail des équipes, mais aussi raconter l’histoire de l’Athénée depuis sa construction en 1883. Vous étiez nombreux à commenter tous les jours, publiquement sur le blog, directement à mon adresse mail ou, ensuite, sur Facebook.


 
Il y eut également quelques séries étalées sur plusieurs années, comme Les petits objets de Denis Léger (où l’on vous racontait l’histoire des nombreux objets peuplant le bureau de Denis, ancien directeur technique), Les grands mystères de Dominique Lemaire (où l’on vous demandait de deviner la nature d’objets de théâtre photographiés par le directeur technique ex-adjoint), les Portraits de spectateurs et spectatrices, et autres Question pour un champion où vous avez été nombreux à démontrer votre grande culture théâtrale.
(tous vos commentaires ont récemment disparu au moment de la migration du blog sur une autre plate-forme et croyez bien que je le regrette).

 

 
Complètement inédit à l’époque, mon travail pour le blog a donné lieu à plusieurs articles dans la presse culturelle, sans parler des étudiant·e·s qui m’ont interviewée pour le mentionner dans leurs mémoires universitaires. Il a aussi évolué avec le temps, en intégrant des textes, photos, sons ou films, mais aussi des vidéos diffusées en direct sur les réseaux sociaux.

 

 En tout, 1351 articles (soit 1352 avec celui-ci) auront été publiés, sous des titres comme
« Je hais le théâtre »,
« Puce-moumoute »,
« Je me suis tué parce que je ne vous trouvais pas »,
« Soyez bon et le monde changera en bien », 
« Interview bidon »,
« Où est le couteau du rosbeef ? »,
« Monde de merde »,
« L’aspirateur ! J’ai oublié de l’éteindre ! »,
« Bougres de faux jetons à la sauce tartare »,
« Ma femme, elle fait le pot-au-feu »,
« Connards ! Merde ! C’est une honte ! » ou
« L’homme qui mange des yaourts dans les toilettes de la station-service ».

Sachant que mes deux petits préférés resteront sans doute « Ce qu'on ne vous a jamais dit sur l'Athénée » et « Michel et moi », repris ainsi que son « Droit de réponse » sur le site du Lampadaire.


 
En cette fin de saison 2017-2018, j’achève ma dixième saison à parcourir le Théâtre avec carnet, micro et appareil photo sur scène, dans les loges, dans les dessous, au bar, au-dessus du lustre, sur le gril, dans les bureaux, en billetterie et dans le local chaufferie, à vous parler directement et à répondre à vos questions, parfois à devoir trouver les mots les lendemains d’attentats.

Ayant un fort tropisme scandinave depuis plusieurs années, j’habiterai désormais quelques mois par an à trois cents kilomètres au nord du cercle polaire : je verrai des aurores boréales à qui mieux mieux, mais plus tellement les spectacles de l’Athénée.
Je continuerai cependant à travailler la moitié de l’année en France comme traductrice du suédois, photographe et journaliste (entre autres pour la revue culturelle NOTO, d’ailleurs c’est par ici si vous voulez continuer à me lire).

Et si, de passage au bar de l’Athénée tenu par Les Défricheurs de terroir, vous avez la curiosité de goûter un verre de cidre Cotentin AOC bio, sachez qu’il aura été produit en Normandie par ma propre tante !

Le blog de l’Athénée prend donc fin avec ce billet : je remercie évidemment toutes les équipes techniques, administratives et artistiques de l’Athénée pour leur confiance et leur accompagnement, mais aussi et surtout vous (oui, tous les 25 000), pour votre fidélité au long de ces dix années.

À bientôt au théâtre ou ailleurs !
 
Clémence Hérout


 

D'hier à aujourd'hui

Restez avec moi

Posté le : 09 mai 2018 19:45 | Posté par : Clémence Hérout
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Le lundi est souvent musical à l’Athénée : lundi prochain, rendez-vous donc avec un pianiste, un baryton et un altiste (Tanguy de Williencourt, Edwin Fardini et Adrien La Marca) pour des œuvres de Franz Liszt, Guy Ropartz, Johannes Brahms et Gustav Mahler, toutes composées sur des poèmes.
On retrouve ainsi les auteurs Henrich Heine chez Liszt et Ropartz, et Friedrich Rückert chez Brahms et Mahler.

Journaliste et poète considéré comme l’un des grands écrivains de l’Allemagne du 19e siècle, Henrich Heine s’installa en France après avoir fui l’Allemagne, où il fut beaucoup attaqué pour ses origines juives et ses prises de positions politiques notamment publiées dans le quotidien Allgemeine Zeitung.

 

Heinrich Heine sur une ancienne pièce allemande de 10 marks éditée en 1972

 
Lizst a par exemple choisi le poème Ein Fichtenbaum steht einsam publié dans le recueil Intermezzo lyrique dont je vous livre la traduction en français réalisée par Jacky Lavauzelle.

Un sapin reste seul
Au nord du sommet décharné.
Il dort dans sa couverture blanche
De glace et de neige.
Il rêve d’un palmier,
Là-bas, dans le lointain orient,
Solitaire et pleurant en silence
Sur sa paroi rocheuse brûlante.

Pour le plaisir de la comparaison, voici la traduction de Gérard de Nerval :

Un sapin isolé se dresse sur une montagne aride du Nord. Il sommeille ! la glace et la neige l’enveloppent d’un manteau blanc.
Il rêve d’un palmier, qui, là-bas, dans l’Orient lointain, se désole solitaire et taciturne sur la pente d’un rocher brûlant.


Friedrich Rückert était quant à lui un professeur d’université dont on dit qu’il maîtrisait quarante-quatre langues (je vous laisse trois secondes pour crier en silence). Ses poèmes ont beaucoup été adaptés en musique, notamment par Schubert, Robert et Clara Schumann ou Richard Strauss.
Très affecté par la mort de deux de ses enfants, il écrit le recueil Chants des enfants morts, dont cinq poèmes sur les quatre-cent-vingt-huit seront mis en musique par Mahler, contre l’avis de sa femme Anna qui s’interrogeait sur l’opportunité de tenter le diable en composant des chants funèbres sur la mort d’enfants quand on en a soi-même, des enfants.

 

 Statue représentant Friedrich Rückert dans la ville de Schweinfurt en Bavière (Allemagne)
 

Voici la traduction collective (disponible sur wikisource) des deux derniers poèmes choisis par Mahler.

IV
Souvent je pense qu’ils sont seulement partis se promener,
Bientôt ils seront de retour à la maison.
C’est une belle journée, Ô n’aie pas peur,
Ils ne font qu’une longue promenade.
Mais oui, ils sont seulement partis se promener,
Et ils vont maintenant rentrer à la maison.
Ô, n’aie pas peur, c’est une belle journée,
Ils sont seulement partis se promener vers ces hauteurs.
Ils sont seulement partis avant nous,
Et ne demanderont plus à rentrer à la maison,
Nous les retrouverons sur ces hauteurs,
Dans la lumière du soleil, la journée est belle sur ces sommets.

V
Par ce temps, par cette averse,
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors.
Ils ont été emportés dehors,
Je ne pouvais rien dire !
Par ce temps, par cet orage,
Jamais je n’aurais laissé les enfants sortir,
J’aurais eu peur qu’ils ne tombent malades ;
Maintenant, ce sont de vaines pensées.
Par ce temps, par cette horreur,
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors.
J’étais inquiet qu’ils ne meurent demain ;
Maintenant, je n’ai plus à m’en inquiéter.
Par ce temps, par cette horreur !
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors !
Dehors ils ont été emportés,
Je ne pouvais rien dire !
Par ce temps, par cette averse, par cet orage,
Ils reposent comme dans la maison de leur mère,
Effrayés par nulle tempête,
Protégés par la main de Dieu.

Pour entendre ces textes en langue originale et chantés par Edwin Fardini, c’est ce lundi 14 mai à l’Athénée !

Bonne fin de semaine.
 
Clémence Hérout

D'hier à aujourd'hui

Quartier des cerises

Posté le : 15 févr. 2018 05:00 | Posté par : Clémence Hérout
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Moscou Paradis se joue à l’Athénée jusqu’à demain : je vous racontais la semaine dernière combien son compositeur, Chostakovitch, avait été persécuté par le régime stalinien, entravant considérablement son travail artistique.

Ainsi a-t-il seulement achevé trois drames musicaux : Le Nez, Lady Macbeth du district de Mtsensk, et ce Moscou Quartier des cerises, adapté à l’Athénée par Opéra Louise sous le titre de Moscou Paradis.
 

 (c) Magali Dougados
 
Dénonçant les problèmes de logement et la corruption, cette opérette s’attaque à l’URSS de son époque en jouant avec les limites de la censure. Créée en début 1959, elle répond en fait à une commande du Théâtre d’opérette de Moscou.
Outre les critiques à peine voilées du régime dans l’esprit mordant de Chostakovitch donnant ici exceptionnellement dans la musique légère, on y décèle des pastiches et allusions musicaux, en particulier à Borodine, Soloviov-Sedoï ou Tchaïkovski, mais aussi à des chants populaires russes.
L’une des chansons du premier acte est d’ailleurs reprise du film Contre-plan, sorti en 1932 et dont Chostakovitch lui-même avait déjà composé la musique.

 

 Plan du quartier Tcheriomouchki (c) Panther
 
Le titre russe, Tcheriomouchki, fait même directement référence à un véritable district du sud-ouest de Moscou qui se caractérise par un ensemble résidentiel d’envergure construit à la fin des années 1950.
Dirigé par un groupement de jeunes architectes répondant à la demande de Khrouchtchev de résoudre la crise du logement via des immeubles préfabriqués, le projet propose de concevoir des microquartiers. Des immeubles de quatre étages s’organisent ainsi autour d’espaces verts et d’équipements comme des écoles ou des magasins. Les appartements sont proposés déjà meublés. Expérimental, le quartier devient le symbole de la modernité architecturale de l’époque au point que son nom, Tcheriomouchki, est devenu un nom commun.

 
Vue du quartier en 1964 (c) John William Reps
 
 
Pour découvrir cette œuvre aussi rare dans le travail de Chostakovitch que sur les scènes européennes, c’est à l’Athénée jusqu’à demain dans une mise en scène de Julien Chavaz et une direction musicale de Jérôme Kuhn.

En attendant, bien le bonjour d’une contrée presque sibérienne !
 

 
Clémence Hérout

D'hier à aujourd'hui

Tous savaient qu'on allait m'anéantir

Posté le : 09 févr. 2018 17:10 | Posté par : Clémence Hérout
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« Le 28 janvier 1936, nous allâmes à la gare acheter le dernier numéro de La Pravda. Je l’ouvris, et j’y vis l’article “Un galimatias musical” [aussi traduit par “La confusion remplace la musique” NDLR]. Cette journée est restée à jamais gravée dans ma mémoire. Cet article, en troisième page de La Pravda, modifia toute ma vie.
Il était publié sans signature, comme un éditorial, ce qui voulait dire qu’il reflétait l’opinion du Parti. Mais en réalité, il reflétait l’opinion de Staline. Et c’était beaucoup plus grave. […]
 
Il y avait une phrase dans cet article disant que tout cela “pouvait mal se terminer”. Et tous attendaient précisément le moment où cela allait mal se terminer. À présent, tous savaient parfaitement qu’on allait m’anéantir. Et l’attente de cet événement notable – notable pour moi, tout au moins – ne devait plus jamais me quitter. » (1)

 

 
 
Contrairement à beaucoup d’autres comme le poète Ossip Mandelstam, l’homme de théâtre Vsevolod Meyerhold ou l’écrivaine Marina Tsvetaïeva, le compositeur Dimitri Chostakovitch n’a pas été déporté en Sibérie ni assassiné par le régime stalinien. Il n’en a pas moins subi une oppression aussi insidieuse qu’elle était inconstante, Staline s’employant à souffler le chaud et le froid : ainsi Chostakovitch reçoit-il six prix Staline entre 1941 et 1952 tout en endurant, entre autres, deux campagnes de dénigrement particulièrement violentes en 1936 et 1948.

Déclaré « ennemi du peuple » en 1936, Chostakovitch vit dans la terreur. Contraint de manœuvrer à vue entre l’expression de son génie et la politique culturelle du Parti, il se résigne à des concessions dans sa musique (il compose même des œuvres de propagande au début de sa carrière) ou abandonne carrément certains projets, notamment lyriques, par crainte de représailles. Les représentations de certaines de ses œuvres, comme Lady Macbeth du district de Mtsensk, sont parfois purement et simplement arrêtées en cours d’exploitation.

Le contexte s’améliore lentement après la mort de Staline, particulièrement après 1956 lorsque Khrouchtchev dénonce ses crimes à l’occasion du Congrès du parti. Réhabilité en 1958 par décret, Chostakovitch renoue avec la composition en créant aussi bien un concerto pour violoncelle, des quatuors à corde, une comédie musicale et une symphonie en moins de deux ans.

 

 
 
L’œuvre de Chostakovitch reste en effet particulièrement protéiforme, d’abord sur les styles abordés : il a ainsi produit des musiques de films, ballets, chants solos, quatuors à cordes, concertos, symphonies, opéras, suites pour orchestre, chants populaires, musiques de scène, œuvres pour piano seul, oratorios ou réorchestrations, même si ce sont souvent ses symphonies et quatuors à cordes que l’on retient surtout aujourd’hui.
Chostakovitch avait d’ailleurs prévu de composer vingt-quatre quatuors, chacun dans une des vingt-quatre tonalités existantes. S’il est mort avant d’achever le cycle complet qu’il projetait, les quinze quatuors qu’il a laissés sont tous composés dans une tonalité différente, dont l’ordre suit une logique précise.
Sur la forme ensuite, sa musique allie l’avant-garde et la tradition classique. Souvent sombre, elle laisse poindre des touches de sarcasme et multiplie les allusions politiques.

Son opérette Moscou Quartier des cerises se distingue aussi par ce mélange des genres et de tons : composée en 1959 à l’époque du dégel, elle commence à l’Athénée ce soir dans une direction musicale de Jérôme Kuhn et une mise en scène de Julien Chavaz. Les douze heures du montage du décor sont à regarder  ici dans un condensé de deux minutes.

Vous pourrez retrouver aussi Julien Chavaz ce soir à 18 h en direct (à voir sur les pages Facebook et Twitter de l’Athénée) avec ma collègue Caroline Châtelet, qui prend ma relève pendant mon séjour au pays du froid.
 
 

 
À bientôt !
 
 
Clémence Hérout


(1) Extrait de Témoignage : mémoires de Dimitri Chostakovitch, propos recueillis par Solomon Volkov, paru chez Albin Michel, Paris, 1980 (l'exactitude des propos soi-disant rapportés par Volkov est contestée)

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