le blog de l'athénée

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D'hier à aujourd'hui

Le merveilleux bébé

Posté le : 25 avr. 2016 13:51 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Travaux | + d'infos sur athenee-theatre.com

Peintre, illustrateur, costumier et décorateur, Christian Bérard (1902-1949) a collaboré avec Jean Cocteau ou Louis Jouvet, directeur de l’Athénée jusqu’en 1951. Il a donné son nom à la petite salle de l’Athénée, elle aussi touchée par les travaux, mais dans des proportions moindres que la grande salle : elle est surtout concerné par le lot 5 sur le traitement de l’air ainsi que par le lot 12 sur l’installation d’un réseau WIFI.

Le compagnon de Christian Bérard, l'écrivain et librettiste Boris Kochno, a publié un recueil de souvenirs sur leur vie commune. On y trouve un récit de sa première collaboration avec Louis Jouvet :

« La première mise en scène d’oeuvre dramatique qui permit à Bérard de déployer ses dons innés de décorateur de théâtre fut celle de la pièce de Jean Cocteau, La Machine infernale, montée par Louis Jouvet en 1934 à la Comédie des Champs-Élysées.

C’est sur l’instigation de Cocteau que Jouvet avait demandé à Bérard les décors et les costumes de cette pièce : il n’avait jamais rencontré Bérard auparavant et, au début de leur travail commun, il observait avec appréhension ce barbu exubérant qui ne ressemblait en rien aux collaborateurs de ses spectacles précédents. Il était évident que Jouvet, travailleur méticuleux et pondéré, pouvait être désemparé par le comportement antiprofessionnel de ce jeune homme exalté qui arrivait en retard aux réunions de travail et ne livrait jamais ses maquettes à temps.
En outre, Bérard, rarement satisfait de ce qu’il faisait, modifiait continuellement ses maquettes, même celles que Jouvet avait déjà approuvées, et remaniait ou parfois faisait recommencer l’exécution des costumes et des décors.

Mais en retravaillant tous les jours avec ce débutant indiscipliné, Jouvet découvrit progressivement l’ampleur du talent et l’intelligence de celui qu’il appela plus tard “le merveilleux Bébé”. La réalisation scénique de La Machine infernale fut le commencement d’une étroite collaboration et d’une profonde entente qui se prolongèrent jusqu’à la mort de Bérard


Plus loin, Boris Kochno raconte la mort de Bérard, qui eut lieu lors d’une répétition en présence de Louis Jouvet :

«Il était assis dans la salle et donnait des indications aux machinistes qui plantaient son décor sur la scène. Lorsque le travail fut terminé, il se leva, battit des mains et, s’adressant aux ouvriers, dit “c’est fini !”. Et c’est alors qu’il s’écroula.

Mort dans un lieu public, son corps, d’après la loi, aurait dû être transporté à la morgue. Mais Barrault et Jouvet, qui se trouvaient auprès de lui, décidèrent de le ramener à la maison. Le tenant sous le bras et le faisant marcher pour faire croire à notre concierge qu’il avait trop bu et ne tenait pas debout, ils le montèrent jusqu’à notre cinquième étage.

Ainsi, encore après sa mort, Bérard avait été le personnage central d’une bouleversante scène de simulation, et nous avait quittés sur une dernière pirouette [...]. »

Bonne semaine à tous !

Clémence Hérout

Boris Kochno, Christian Bérard, éditions Nicolas Chaudun, Paris, août 2013.

D'hier à aujourd'hui

Le 16 août, je devais rencontrer Jouvet

Posté le : 01 févr. 2016 17:21 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Présentation et historique de l'Athénée

Louis Jouvet fut le directeur de l’Athénée de 1934 à sa mort dans les murs du Théâtre, en août 1951. 

J’ai dans ma bibliothèque un livre jauni, gondolé et dont les pages ont été mal ouvertes au coupe-papier, écrit par l’administrateur de la Comédie-Française de 1947 à 1953, Pierre-Aimé Touchard. Il y raconte entre autres la façon dont il a vécu le décès de Louis Jouvet :


« Le 16 août, je devais rencontrer Jouvet pour aller visiter une salle de spectacle à Suresnes, avec Jaujard et Jeanne Laurent.
Arrivé à la Direction des Arts et des Lettres, où nous avions pris rendez-vous, j’appris qu’il était mourant, pris d’une syncope en pleine répétition. Nous nous rendîmes aussitôt à l’Athénée où on l’avait installé sur un lit de camp, dans son bureau, mais nous ne pûmes le voir. Il mourut le lendemain.

Quand je revins, à cinquante mètres la rue Caumartin semblait déjà frappée de stupeur. Une centaine de personnes stationnaient sur les trottoirs, dans l’espoir de voir passer des personnalités, malgré la dispersion du mois d’août. Dans la petite cour du théâtre, les collaborateurs de Jouvet, que j’avais vus effondrés l’avant-veille, semblaient déjà s’installer dans l’événement : tous les réservoirs de souffrance avaient été épuisés durant cette longue agonie, et il fallait leur laisser le temps de se remplir à nouveau, goutte à goutte. Le secrétaire général, Blanquet, m’accompagna jusqu’au bureau où Jouvet reposait.

Je le suivais comme un automate, la pensée loin du mort. Mais quand il fallut franchir cette porte, et que l’image de Jouvet vivant, sarcastique et puissant, s’est brusquement jetée devant mes yeux, je fus pris d’une panique, et je pensai : “Non, c’est trop dur”.
Le voir n’importe où eut été tolérable, mais dans ce bureau, le voir vaincu, lui dont l’assurance et la maîtrise avaient paralysé tant de comédiens et m’avaient glacé tant de fois, ici-même, cela me parut tout d’un coup sacrilège, impie, et je sentis combien profondément je l’admirais et combien j’aurais aimé conquérir son estime.

Par bonheur, le cadavre blanc allongé sur ce lit était méconnaissable. [...] Jouvet n’était pas là. Sur un divan, au pied du lit, trois femmes, que je crus reconnaître mais que la douleur faisait sans nom, le visage terne, décomposé. Nous défilions sans arrêt devant elles qui ne nous voyaient pas. Au moment de quitter la pièce, les yeux fixés sur ce visage blanc, il m’apparut tout d’un coup reconnaissable, avec une sorte de sérénité douce. »

 

Malgré les allées et venues, les perceuses, les échafaudages et le démontage des dessous et du plateau en cette période de travaux, l’âme de Louis Jouvet semble toujours flotter dans l’Athénée. On espère que vous continuerez à la sentir à la réouverture du théâtre à l’automne 2016 !

 

Clémence Hérout

 Pierre-Aimé TOUCHARD, Six Années de Comédie-française. Mémoires d’un administrateur. Éditions du Seuil, Paris, 1953.

D'hier à aujourd'hui

The Louis Génie

Posté le : 11 janv. 2016 20:05 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Présentation et historique de l'Athénée

Alors que l’Athénée subit les assauts d’outils destructifs divers, je vous propose un retour vers des valeurs sûres. 

Nous sommes en 1934 : alors qu’il vient de prendre la direction du Théâtre de l’Athénée, Louis Jouvet met en scène Tessa, La Nymphe au coeur fidèle, un roman britannique de Margaret Kennedy adapté pour le théâtre en français par Jean Giraudoux.

La Petite Illustration, supplément littéraire réservé aux abonnés du journal hebdomadaire L’Illustration, lui consacre son numéro 703 du 22 décembre 1934. On y trouve une analyse du texte, des photos du spectacle et une revue de presse des représentations.


Tessa Petite Illustration Jouvet Athénée

Voici comment le journaliste Robert de Beauplan introduit le numéro : 
Tessa, la Nymphe au coeur fidèle, est le premier spectacle nouveau que Monsieur Louis Jouvet ait présenté depuis qu’il a transporté sa compagnie de la Comédie des Champs-Élysées au théâtre de l’Athénée. Dans cet autre cadre, il a fait preuve du même soin scrupuleux et de la même perfection qui lui ont valu tout à la fois l’estime d’une élite et l’affluence d’un large public.”

L’époque était bien différente : nous ne sommes pas encore dans l’ère du metteur en scène, et c’est bien l’adaptation réalisée par Jean Giraudoux qui occupe la quasi intégralité du numéro au détriment du travail d’acteur et de metteur en scène de Louis Jouvet, qui, à part via les photos, est finalement peu mentionné -et quand il l’est, ce n’est pas sous le titre de metteur en scène mais d’”animateur” !...
Après analyse du texte de Jean Giraudoux, les journalistes cités dans la revue de presse de La Petite Illustration citent en effet parfois le directeur du Théâtre de l’Athénée, théâtre dont on ne donne pas non plus toujours le nom, le désignant plutôt par son adresse : il est par exemple question d’un “triomphe depuis quinze jours square Boudreau”. On trouve tout de même quelques mentions du travail scénique.


Athénée Petite Illustration Louis Jouvet Tessa

(mais oui, c'est l'Athénée !)


Henry Torrès, journaliste à Gringoire, écrit ainsi : “En choisissant Monsieur Jean Giraudoux pour accommoder Tessa au goût français, Monsieur Louis Jouvet a affirmé une fois de plus l’infaillible sûreté de ses sélections.”

Paul Reboux, journaliste au Petit Parisien, considère que Tessa “est la pièce la plus originale, la plus riche et la plus émouvante que l’on joue présentement à Paris”.

Après avoir loué l’adaptation de Jean Giraudoux, Robert Kemp écrit dans La Liberté que “la mise en scène est toute parfaite. Mieux que parfaite : spirituelle!”

Le style délicieusement mondain de Lucien Dubech se lit dans le (pour le coup) bien nommé Candide : “M. Giraudoux en a tiré une pièce pleine d’agrément, dont M. Jouvet a tiré ensuite un charmant spectacle. Ce qui plaît surtout en cette affaire est la gentillesse qu’y a mise M. Giraudoux et le parti qu’en a tiré M. Jouvet.”

Pierre Audiat déborde d’amour dans Paris-Soir : “En sortant de l’Athénée, nous avions envie de dire : nous sommes en train de faire la dernière expérience théâtrale, réfléchissons-y. Oui, si une pièce de substance aussi riche et de forme si plaisante, si la collaboration heureuse de tous les arts, si tant de grâce, tant de jeunesse, tant de sincérité, si tant d’argent intelligemment dépensé, si tant d’amour pour ce qui est beau laissait le public indifférent, s’il ne voyait pas ce qu’a de rare, d’exceptionnel l’effort d’un chorège tel que Monsieur Louis Jouvet, il faudrait désespérer du théâtre.”

André Guerne estime dans La Presse que “le premier spectacle de Monsieur Louis Jouvet au théâtre de l’Athénée est une réussite parfaite. On peut parler de la crise du théâtre [ah, tiens, déjà]. Je suis bien certain qu’elle n’aura pas d’effet sur une telle pièce”.

Athénée Petite Illustration Louis Jouvet Tessa


À la toute fin du numéro, après l’analyse du texte, les photos et la revue de presse du spectacle, le journaliste Robert de Beauplan présente tout de même le travail scénique en ces mots, qui concluent la revue :

“La réalisation matérielle de Tessa a été, de l’avis commun, un enchantement. Les décors de Monsieur René Moulaert, si parfaitement évocateurs, la discrète musique de scène de Monsieur Maurice Jabert, qui sert elle aussi à compléter l’atmosphère, et par-dessous tout l’interprétation n’ont rencontré que des éloges.
Monsieur Louis Jouvet, l’animateur du spectacle, s’est réservé pour lui-même le rôle de Lewis Dodd, qu’il a marqué de sa personnalité au point qu’on ne serait désormais imaginer le personnage sous d’autres traits. Auprès de lui, Mademoiselle Madeleine Ozeray, que le théâtre du Marais avait révélée, est la Tessa la plus exquise de sensibilité ardente, de fraîcheur juvénile, de poésie mélancolique. Elle fait de la tendre héroïne une composition inoubliable.
On ne peut que nommer ici les autres interprètes qui, dans les moindres silhouettes, témoignent de la cohésion et de l’exactitude discipline que Monsieur Louis Jouvet sait obtenir de sa troupe : c’est Madame Paule Audral, la dernière femme de Sanger, Madame Yolande Laffon, qui prête son élégance à l’antipathique, jalouse et compassée Florence, Mesdames Simone Denis, Claude May, Lisbeth Clairval, qui sont fort différemment les autres filles Sanger, Monsieur Pierre Renoir, qui se contente cette fois d’un rôle un peu effacé, auquel il apporte toutefois beaucoup de distinction, Monsieur Sokoloff, qui campe fort pittoresquement le domestique italien, Messieurs Harry James, Romain Bouquet, Mesdames Odette Talazac, Claire Gérard, sans oublier un étonnant petit garçon, Jean Pâqui, qui possède déjà toute l’autorité et la rouerie d’un véritable acteur.”

Robert de Beauplan avait du nez : Jean Pâqui, qui n’avait que treize ans à l’époque, fit ensuite une longue carrière au cinéma où il travailla avec Abel Gance, Jean Dréville, Sacha Guitry, Pierre Renoir ou Bourvil. Il a aussi été médaillé en saut d’obstacles aux Jeux Olympiques, champion mondial amateur de voltiges aériennes et navigateur en bateau pneumatique sur l’Océan Indien, avant de mourir d’un accident de voiture il y a dix ans.


Rendez-vous la semaine prochaine pour des nouvelles plus récentes de l’Athénée !

Clémence Hérout

D'hier à aujourd'hui

Le changement, c'est maintenant

Posté le : 14 déc. 2015 06:43 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Travaux | + d'infos sur athenee-theatre.com

C’est une période inédite qui commence. Après les doutes, les inquiétudes et la réflexion, il a bien fallu faire un choix. Nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle phase, diversement envisagée selon les intervenants : 

les travaux commencent ce jour à l’Athénée !
(qui a dit “enfin” ?)

 

C’est le moment de revenir sur l’histoire du bâtiment. Si vous êtes un lecteur attentif, fidèle et doté d’une excellente mémoire, vous vous souviendrez de cet article du 19 novembre 2008 où je vous expliquais les différents changements de noms de l’Athénée et par-là même ses modifications architecturales.
Si vous êtes un lecteur normal, vous serez sans doute ravi d’un retour sur l’histoire du bâtiment augmenté de données architecturales. Dans les documents présentant les travaux actuels en effet, le cabinet d’architectes Fabre/Speller a rédigé une notice architecturale détaillant les diverses modifications du lieu.


L’actuel Athénée n’est que ce qui reste d’un énorme ensemble, une sorte de Disneyland du spectacle, nommé Eden et inauguré en 1883
. L’édifice est inspiré de l’Eden Théâtre de Bruxelles, construit pour le Cinquantenaire de la Belgique en 1880 et aujourd’hui disparu. Conçu par les architectes Klein et Duclos, il est construit à la place d’un hôtel particulier donnant rue Boudreau, dans le 9e arrondissement de Paris.

Le projet s’inscrit contre la hiérarchisation des théâtres : les billets des spectacles sont vendus à prix unique et les spectateurs peuvent profiter de nombreux espaces de déambulation et de bars.
Le bâtiment peut accueillir quatre mille personnes : il se compose d’une grande salle de mille deux cents places, d’un jardin d’hiver, d’une cour indienne (dont quelques restes de décor sont visibles ici), d’un foyer, de galeries de promenade et d’un vélodrome.
Pour réaliser les décors, des structures métalliques légères ont été posées puis recouvertes de staff et de plâtre.

Sauf que financièrement, c’est un bide. Pour essayer de sauver les meubles, une plus petite salle est aménagée en partie dans la fameuse cour indienne. La salle est construite en 1893 au coeur du bâtiment et inaugurée sous le nom de Comédie Parisienne. Elle donne sur la rue Boudreau.

Deux ans plus tard, le Crédit Foncier mène un réaménagement complet du quartier : dessiné par l’architecte Fouquiau, le projet prévoit le prolongement de la rue Boudreau et la création d’une impasse (l’actuelle zone piétonne nommée Square de l’Opéra Louis-Jouvet et Square Édouard-VII) bordée d’immeubles de rapport.
Le trajet de l’impasse passe en plein milieu de l’Eden dont la démolition est alors décidée, ainsi que le morcellement de sa parcelle. La Comédie Parisienne est épargnée, sans doute du fait de son emplacement au sein de la zone. Son accès est cependant basculé de la rue Boudreau au Square de l’Opéra, avec démontage et remontage de la jolie façade vitrée, toujours existante, à l’endroit de cette nouvelle entrée.
On imagine que c’est à peu près à cette période que le décor intérieur que nous connaissons est réalisé. C’est en tout cas en 1899 que le théâtre est renommé Athénée.

Des travaux sont ensuite conduits à l’intérieur de l’Athénée au cours du 20e siècle, mais sont mal documentés. On sait que la fosse a été comblée, les baignoires du parterre supprimées, la moitié des cloisons formant les loges abattues à la corbeille, les loges latérales réduites au balcon, la régie aménagée en galerie, l’éclairage modifié, et les fauteuils du parterre remplacés.

En 1996, Patrice Martinet initie une importante campagne de travaux de restauration, dont je vous parlais récemment (rendez-vous ici).

Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de l’histoire en train de s’écrire !

Bonne journée

Clémence Hérout

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