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The Louis Génie

Posté le : 11 janv. 2016 20:05 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Présentation et historique de l'Athénée

Alors que l’Athénée subit les assauts d’outils destructifs divers, je vous propose un retour vers des valeurs sûres. 

Nous sommes en 1934 : alors qu’il vient de prendre la direction du Théâtre de l’Athénée, Louis Jouvet met en scène Tessa, La Nymphe au coeur fidèle, un roman britannique de Margaret Kennedy adapté pour le théâtre en français par Jean Giraudoux.

La Petite Illustration, supplément littéraire réservé aux abonnés du journal hebdomadaire L’Illustration, lui consacre son numéro 703 du 22 décembre 1934. On y trouve une analyse du texte, des photos du spectacle et une revue de presse des représentations.


Tessa Petite Illustration Jouvet Athénée

Voici comment le journaliste Robert de Beauplan introduit le numéro : 
Tessa, la Nymphe au coeur fidèle, est le premier spectacle nouveau que Monsieur Louis Jouvet ait présenté depuis qu’il a transporté sa compagnie de la Comédie des Champs-Élysées au théâtre de l’Athénée. Dans cet autre cadre, il a fait preuve du même soin scrupuleux et de la même perfection qui lui ont valu tout à la fois l’estime d’une élite et l’affluence d’un large public.”

L’époque était bien différente : nous ne sommes pas encore dans l’ère du metteur en scène, et c’est bien l’adaptation réalisée par Jean Giraudoux qui occupe la quasi intégralité du numéro au détriment du travail d’acteur et de metteur en scène de Louis Jouvet, qui, à part via les photos, est finalement peu mentionné -et quand il l’est, ce n’est pas sous le titre de metteur en scène mais d’”animateur” !...
Après analyse du texte de Jean Giraudoux, les journalistes cités dans la revue de presse de La Petite Illustration citent en effet parfois le directeur du Théâtre de l’Athénée, théâtre dont on ne donne pas non plus toujours le nom, le désignant plutôt par son adresse : il est par exemple question d’un “triomphe depuis quinze jours square Boudreau”. On trouve tout de même quelques mentions du travail scénique.


Athénée Petite Illustration Louis Jouvet Tessa

(mais oui, c'est l'Athénée !)


Henry Torrès, journaliste à Gringoire, écrit ainsi : “En choisissant Monsieur Jean Giraudoux pour accommoder Tessa au goût français, Monsieur Louis Jouvet a affirmé une fois de plus l’infaillible sûreté de ses sélections.”

Paul Reboux, journaliste au Petit Parisien, considère que Tessa “est la pièce la plus originale, la plus riche et la plus émouvante que l’on joue présentement à Paris”.

Après avoir loué l’adaptation de Jean Giraudoux, Robert Kemp écrit dans La Liberté que “la mise en scène est toute parfaite. Mieux que parfaite : spirituelle!”

Le style délicieusement mondain de Lucien Dubech se lit dans le (pour le coup) bien nommé Candide : “M. Giraudoux en a tiré une pièce pleine d’agrément, dont M. Jouvet a tiré ensuite un charmant spectacle. Ce qui plaît surtout en cette affaire est la gentillesse qu’y a mise M. Giraudoux et le parti qu’en a tiré M. Jouvet.”

Pierre Audiat déborde d’amour dans Paris-Soir : “En sortant de l’Athénée, nous avions envie de dire : nous sommes en train de faire la dernière expérience théâtrale, réfléchissons-y. Oui, si une pièce de substance aussi riche et de forme si plaisante, si la collaboration heureuse de tous les arts, si tant de grâce, tant de jeunesse, tant de sincérité, si tant d’argent intelligemment dépensé, si tant d’amour pour ce qui est beau laissait le public indifférent, s’il ne voyait pas ce qu’a de rare, d’exceptionnel l’effort d’un chorège tel que Monsieur Louis Jouvet, il faudrait désespérer du théâtre.”

André Guerne estime dans La Presse que “le premier spectacle de Monsieur Louis Jouvet au théâtre de l’Athénée est une réussite parfaite. On peut parler de la crise du théâtre [ah, tiens, déjà]. Je suis bien certain qu’elle n’aura pas d’effet sur une telle pièce”.

Athénée Petite Illustration Louis Jouvet Tessa


À la toute fin du numéro, après l’analyse du texte, les photos et la revue de presse du spectacle, le journaliste Robert de Beauplan présente tout de même le travail scénique en ces mots, qui concluent la revue :

“La réalisation matérielle de Tessa a été, de l’avis commun, un enchantement. Les décors de Monsieur René Moulaert, si parfaitement évocateurs, la discrète musique de scène de Monsieur Maurice Jabert, qui sert elle aussi à compléter l’atmosphère, et par-dessous tout l’interprétation n’ont rencontré que des éloges.
Monsieur Louis Jouvet, l’animateur du spectacle, s’est réservé pour lui-même le rôle de Lewis Dodd, qu’il a marqué de sa personnalité au point qu’on ne serait désormais imaginer le personnage sous d’autres traits. Auprès de lui, Mademoiselle Madeleine Ozeray, que le théâtre du Marais avait révélée, est la Tessa la plus exquise de sensibilité ardente, de fraîcheur juvénile, de poésie mélancolique. Elle fait de la tendre héroïne une composition inoubliable.
On ne peut que nommer ici les autres interprètes qui, dans les moindres silhouettes, témoignent de la cohésion et de l’exactitude discipline que Monsieur Louis Jouvet sait obtenir de sa troupe : c’est Madame Paule Audral, la dernière femme de Sanger, Madame Yolande Laffon, qui prête son élégance à l’antipathique, jalouse et compassée Florence, Mesdames Simone Denis, Claude May, Lisbeth Clairval, qui sont fort différemment les autres filles Sanger, Monsieur Pierre Renoir, qui se contente cette fois d’un rôle un peu effacé, auquel il apporte toutefois beaucoup de distinction, Monsieur Sokoloff, qui campe fort pittoresquement le domestique italien, Messieurs Harry James, Romain Bouquet, Mesdames Odette Talazac, Claire Gérard, sans oublier un étonnant petit garçon, Jean Pâqui, qui possède déjà toute l’autorité et la rouerie d’un véritable acteur.”

Robert de Beauplan avait du nez : Jean Pâqui, qui n’avait que treize ans à l’époque, fit ensuite une longue carrière au cinéma où il travailla avec Abel Gance, Jean Dréville, Sacha Guitry, Pierre Renoir ou Bourvil. Il a aussi été médaillé en saut d’obstacles aux Jeux Olympiques, champion mondial amateur de voltiges aériennes et navigateur en bateau pneumatique sur l’Océan Indien, avant de mourir d’un accident de voiture il y a dix ans.


Rendez-vous la semaine prochaine pour des nouvelles plus récentes de l’Athénée !

Clémence Hérout