Le merveilleux bébé
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Peintre, illustrateur, costumier et décorateur, Christian Bérard (1902-1949) a collaboré avec Jean Cocteau ou Louis Jouvet, directeur de l’Athénée jusqu’en 1951. Il a donné son nom à la petite salle de l’Athénée, elle aussi touchée par les travaux, mais dans des proportions moindres que la grande salle : elle est surtout concerné par le lot 5 sur le traitement de l’air ainsi que par le lot 12 sur l’installation d’un réseau WIFI.
Le compagnon de Christian Bérard, l'écrivain et librettiste Boris Kochno, a publié un recueil de souvenirs sur leur vie commune. On y trouve un récit de sa première collaboration avec Louis Jouvet :
« La première mise en scène d’oeuvre dramatique qui permit à Bérard de déployer ses dons innés de décorateur de théâtre fut celle de la pièce de Jean Cocteau, La Machine infernale, montée par Louis Jouvet en 1934 à la Comédie des Champs-Élysées.
C’est sur l’instigation de Cocteau que Jouvet avait demandé à Bérard les décors et les costumes de cette pièce : il n’avait jamais rencontré Bérard auparavant et, au début de leur travail commun, il observait avec appréhension ce barbu exubérant qui ne ressemblait en rien aux collaborateurs de ses spectacles précédents. Il était évident que Jouvet, travailleur méticuleux et pondéré, pouvait être désemparé par le comportement antiprofessionnel de ce jeune homme exalté qui arrivait en retard aux réunions de travail et ne livrait jamais ses maquettes à temps.
En outre, Bérard, rarement satisfait de ce qu’il faisait, modifiait continuellement ses maquettes, même celles que Jouvet avait déjà approuvées, et remaniait ou parfois faisait recommencer l’exécution des costumes et des décors.
Mais en retravaillant tous les jours avec ce débutant indiscipliné, Jouvet découvrit progressivement l’ampleur du talent et l’intelligence de celui qu’il appela plus tard “le merveilleux Bébé”. La réalisation scénique de La Machine infernale fut le commencement d’une étroite collaboration et d’une profonde entente qui se prolongèrent jusqu’à la mort de Bérard.»
Plus loin, Boris Kochno raconte la mort de Bérard, qui eut lieu lors d’une répétition en présence de Louis Jouvet :
«Il était assis dans la salle et donnait des indications aux machinistes qui plantaient son décor sur la scène. Lorsque le travail fut terminé, il se leva, battit des mains et, s’adressant aux ouvriers, dit “c’est fini !”. Et c’est alors qu’il s’écroula.
Mort dans un lieu public, son corps, d’après la loi, aurait dû être transporté à la morgue. Mais Barrault et Jouvet, qui se trouvaient auprès de lui, décidèrent de le ramener à la maison. Le tenant sous le bras et le faisant marcher pour faire croire à notre concierge qu’il avait trop bu et ne tenait pas debout, ils le montèrent jusqu’à notre cinquième étage.
Ainsi, encore après sa mort, Bérard avait été le personnage central d’une bouleversante scène de simulation, et nous avait quittés sur une dernière pirouette [...]. »
Bonne semaine à tous !
Clémence Hérout
Boris Kochno, Christian Bérard, éditions Nicolas Chaudun, Paris, août 2013.