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Pleins feux

La farfelue du jardin des plantes

Posté le : 11 juin 2010 08:00 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé

Les amours tragiques de Pyrame et Thisbé se joue à l’Athénée dans une mise en scène de Benjamin Lazar qui s’inspire du théâtre baroque (l’interview qu’il m’a accordée est ici).

Mais comment les comédiens jouaient-ils aux 17e et 18e siècles en France ?
Le sujet est trop large pour être abordé dans son intégralité ; je laisse donc de côté les costumes, décors, scène, gestuelle et déplacements pour vous livrer quelques indications sur la diction et la déclamation :

La prononciation est essentielle, car la phonétique a évolué depuis le 17e siècle : le français ne se prononce pas de la même manière qu’aujourd’hui, d’autant plus qu’à cette époque, la déclamation sur une scène de théâtre ne faisait pas entendre les mêmes sons qu’une conversation courante (autrement dit, on ne prononçait pas le français au théâtre comme on le prononçait dans la vie).

Par exemple, sur les scènes de théâtre du 17e siècle :
- on roulait les R
- on ne disait pas “le roi” mais “le roué” (pour les connaisseurs en phonétique, le son [wa] se prononçait [we])
- la plupart des consonnes finales se prononçaient (sur des mots comme “moins” ou “joug”   par exemple)
- l’on faisait entendre le E muet [ë] pour distinguer les rimes féminines (vie, heure, constance...) des rimes masculines (permis, mourir, sort...)


Au niveau de la déclamation, l’alexandrin se disait selon un tempo précis que l’on pourrait qualifier de déclamation “en accent circonflexe” :
Ainsi, la première partie (les six premiers pieds) du vers se disait avec une montée de la voix. Après une pause plus ou moins longue à l’hémistiche (la moitié du vers), la seconde partie était marquée par une descente de la voix.

Le rythme du vers se construit également grâce à des accents d’intonation, c’est-à-dire que des syllabes précises du vers sont accentuées selon le sens du texte (on met l’accent sur des mots à forte charge émotionnelle) ou selon des règles phonétiques.

Si l’alexandrin n’a pas été conçu pour être musical, la déclamation du 17e siècle, parce qu’elle visait à mettre la langue française en valeur, donnait des intonations musicales au texte de théâtre.


Pour en savoir davantage sur le jeu de l’acteur baroque, la référence bibliographique incontournable est La Parole baroque d’Eugène Green.


NB :pour écrire ce billet d’initiation à la prononciation baroque, j'ai repris mon cours sur l’art de l’acteur aux 17e et 18e siècles suivi à l’université.
Je remercie donc tout spécialement son auteure, Julia Gros de Gasquet, qui s’était auto-surnommée “la farfelue du jardin des plantes” après nous avoir donné un cours en plein air pour échapper à une salle de classe en surchauffe. ?Plusieurs promeneurs du Jardin des Plantes (Paris 5e) s’étaient d’ailleurs assis parmi nous pour écouter l’intégralité du cours, soit tout de même deux heures sur la technique de l’acteur baroque: à croire que, contrairement à ce qu’on nous dit, le théâtre intéresse encore du monde.


Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé
de Théophile de Viau se joue à l’Athénée jusqu’à demain !


Bon week-end.


PS : comme je vous l’avais promis, voici le nombre de bougies utilisées pour le spectacle : cent soixante bougies brûlent chaque soir sur le plateau des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé.

Coulisses

J'ai un ami qui va arriver en retard...

Posté le : 09 juin 2010 08:27 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé

Nous avons vu la semaine dernière ce que l’on entendait en enregistrant l’équipe artistique et technique de l’Athénée quelques minutes avant une représentation des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé.

Et si l’on fait la même chose du côté des spectateurs, qu’entendra-t-on?

Réponse en une minute et trente secondes de son :

 

Si vous n’entendez rien, montez le son ou cliquez ici pour aller sur YouTube.

 

Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé mis en en scène par Benjamin Lazar et avec Lorenzo Charoy, Julien Cigana, Benjamin Lazar, Anne-Guersande Ledoux, Louise Moaty, Alexandra Rübner, Nicolas Vial se joue jusqu’à samedi.

 

Pleins feux

"Je me suis tué parce que je ne vous trouvais pas"

Posté le : 08 juin 2010 06:08 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé

Mon billet d’hier sur les parodies de Pyrame et Thisbé laissait la part belle au Songe d’une nuit d’été où Shakespeare développait largement le sujet. Place aujourd’hui à une parodie anonyme et à des allusions dans une tirade de Rostand et un poème d’Apollinaire :


Parodie de Pyrame et Thisbé
Anonyme

En 1726, François Rebel et François Francoeur créaient une tragédie lyrique, Pyrame et Thisbé, qui, si elle connut un véritable succès populaire, fut rapidement et largement parodiée —comme de nombreux ouvrages présentés à l’Académie Royale de Musique à cette époque, du reste.
Parmi les parodies et détournements qui nous sont parvenus, citons une pièce anonyme datant du 18e siècle et plus particulièrement le moment où Thisbé découvre Pyrame (presque) mort :

« THISBÉ Ciel, mon amant va rendre l’âme,
Et son visage est tout défait!
Es-tu mort?

PYRAME Non, pas encor.

THISBÉ Eh, relevez-vous donc, mon cher Pyrame !
Relevez-vous et fuyons bien fort.

PYRAME Je ne saurais, ma mignonne, je me suis tué parce que je ne vous trouvais pas.

THISBÉ Vous ne seriez pas bon à jouer à la clemissette [= à cache-cache], si vous vous tuez comme cela quand vous ne trouvez pas les gens ! »

Vous pourrez trouver ce texte dans Pyrame et Thisbé, un opéra au miroir de ses parodies 1726-1779 (ouvrage sous la direction de Françoise Rubellin, éditions espaces 34, 2007).
Je l'ai trouvé pour ma part cité par Florent Siaud dans son cahier dramaturgique sur Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé.

 



Cyrano de Bergerac
Edmond Rostand


Pyrame et Thisbé se retrouvent également dans ce qui est aujourd’hui l’une des répliques les plus célèbres du théâtre français, la fameuse tirade du nez dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand.
L’allusion intervient sur la fin de la tirade et concerne cette fois directement la tragédie de Théophile de Viau et non plus seulement l’histoire de Pyrame et Thisbé.
À la scène 2 de l’acte V des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Viau, lorsque Thisbé découvre le corps de Pyrame, elle déclare : «Ha ! voici le poignard qui du sang de son maître / S'est souillé lâchement ; il en rougit, le traître !».
Le vers sera par ailleurs copieusement moqué par Boileau qui critiquait le lien établi entre la rougeur du poignard couvert de sang et sa honte supposée.


Acte I, scène 4


« LE VICOMTE
Personne ?
Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits ! ...
Il s’avance vers Cyrano qui l’observe, et se campant devant lui d’un air fat.
Vous.... vous avez un nez... heu... un nez... très grand.

CYRANO, gravement
Très.

LE VICOMTE, riant
Ha !

CYRANO, imperturbable
C’est tout ? ...

LE VICOMTE
Mais...

CYRANO
Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... Oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme...
En variant le ton, - par exemple, tenez :
Agressif : "Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! "
Amical : "Mais il doit tremper dans votre tasse
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! "
Descriptif : "C’est un roc ! ... c’est un pic ! ... c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ? ... C’est une péninsule ! "
Curieux : "De quoi sert cette oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? "
Gracieux : "Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? "
Truculent : "Ça, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? "
Prévenant : "Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! "
Tendre : "Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! "
Pédant : "L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane
Appelle Hippocampéléphantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! "
Cavalier : "Quoi, l’ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode ! "
Emphatique : "Aucun vent ne peut, nez magistral,
T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! "
Dramatique : "C’est la Mer Rouge quand il saigne ! "
Admiratif : "Pour un parfumeur, quelle enseigne ! "
Lyrique : "Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? "
Naïf : "Ce monument, quand le visite-t-on ? "
Respectueux : "Souffrez, monsieur, qu’on vous salue,
C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! "
Campagnard : "Hé, ardé ! C’est-y un nez ? Nanain !
C’est queuqu’navet géant ou ben queuqu’melon nain ! "
Militaire : "Pointez contre cavalerie ! "
Pratique : "Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! "
Enfin parodiant Pyrame en un sanglot
"Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l’harmonie ! Il en rougit, le traître ! "
– Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit. »

 

Les onze mille Verges
Guillaume Apollinaire



Habitué des salles de classe pour des livres comme Alcools, Le Bestiaire ou Calligrammes, Apollinaire a également publié des poésies érotiques, souvent de manière anonyme ou sous pseudonyme.
Dans Les onze mille Verges, l’on trouve deux sonnets improvisés par le personnage de Mony qui glisse une allusion parodique à Pyrame et Thisbé.
Le dialogue entourant ces deux sonnets a lieu entre Estelle et Mony :

« — T’occupe pas de ça, Mony, fais-moi encore des vers avant d’aller au dodo.
— Bien, dit Mony, et il improvisa ces délicats sonnets mythologiques.
HERCULE ET OMPHALE
Le cul
D’Omphale
Vaincu
S’affale.
— Sens tu
Mon phalle
Aigu ?
— Quel mâle !...
Le chien
Me crève !...
Quel rêve ?...
— Tiens bien ?
Hercule
L’encule.

PYRAME ET THISBE
Madame
Thisbé
Se pâme :
“Bébé”
Pyrame
Courbé
L’entame :
“Hébé !”
La belle
Dit oui
Puis elle
Jouit
Tout comme
Son homme.

— C’est exquis ! délicieux ! admirable ! Mony, tu es un poète archi-divin, viens me baiser dans le sleeping-car, j’ai l’âme foutative. »

 

Remerciements au site Méditerranées et à Florent Siaud, rédacteur du cahier dramaturgique des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé mis en scène par Benjamin Lazar
(le cahier est à télécharger en PDF ici).

 

Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau mis en scène par Benjamin Lazar se joue jusqu’à samedi.
Ce soir, vous pourrez rencontrer l’équipe artistique: rendez-vous après la représentation dans le foyer-bar !

Pleins feux

"Non, vraiment, ne me faites pas jouer une femme ; j’ai la barbe qui me vient."

Posté le : 07 juin 2010 07:06 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé

Comme nous l’avons vu le 27 puis le 28 mai, l’histoire de Pyrame et Thisbé a inspiré autant des écrivains comme Ovide, La Fontaine ou Viau (dont Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé se joue actuellement à l’Athénée) que des peintres comme Pagani ou Poussin.

Mais Pyrame et Thisbé ont aussi largement été parodiés, comme chez Shakespare,  Rostand ou Apollinaire.

Si Pyrame et Thisbé se retrouvent ainsi en mode sérieux dans Roméo et Juliette, Shakespeare les a également cités dans son Songe d’une nuit d’été où des artisans décident de monter une pièce pour le mariage de Thésée et Hippolyte: cette pièce qu’ils choisissent de jouer (comme des pieds) raconte justement l’histoire de Pyrame et Thisbé.

Extraits choisis dans la traduction de François-Victor Hugo (le fils de) :



Le Songe d'une nuit d'été
William Shakespeare

ACTE 1, scène 2
(le temps des répétitions, 1
)


« LECOING Toute notre troupe est-elle ici ?
BOTTOM Vous feriez mieux de les appeler tous l’un après l’autre, en suivant la liste.
LECOING Voici sur ce registre les noms de tous ceux qui, dans Athènes, ont été jugés capables de jouer notre intermède devant le duc et la duchesse, pendant la soirée de leurs noces.
BOTTOM Dites-nous d’abord, mon bon Pierre Lecoing, quel est le sujet de la pièce ; puis vous lirez les noms des acteurs ; et ainsi vous arriverez à un résultat.
LECOING Morguienne, notre pièce c’est La très lamentable comédie et la très cruelle mort de Pyrame et Thisbé.
BOTTOM Un vrai chef-d’œuvre, je vous assure, et bien amusant... Maintenant, mon bon Pierre Lecoing, appelez vos acteurs en suivant la liste... Messieurs, alignez-vous.
[…]
LECOING Vous, Nick Bottom, vous êtes inscrit pour le rôle de Pyrame.
BOTTOM Qu’est-ce que Pyrame ? Un amoureux ou un tyran ?
LECOING Un amoureux qui se tue très galamment par amour.
[…]
LECOING François Flûte, raccommodeur de soufflets.
FLÛTE Voici, Pierre Lecoing.
LECOING Il faut que vous preniez Thisbé sur vous.
FLÛTE Qu’est-ce que Thisbé ? Un chevalier errant ?
LECOING C’est la dame que Pyrame doit aimer.
FLÛTE Non, vraiment, ne me faites pas jouer une femme ; j’ai la barbe qui me vient.
LECOING C’est égal ; vous jouerez avec un masque, et vous ferez la petite voix autant que vous voudrez.
[…]


ACTE 3, scène 1
(le temps des répétitions, 2)


BOTTOM Il y a dans cette comédie de Pyrame et Thisbé des choses qui ne plairont jamais. D’abord, Pyrame doit tirer l’épée pour se tuer ; ce que les dames ne supporteront pas. Qu’avez-vous à répondre à ça ?
GROIN Par Notre-Dame ! ça leur fera une peur terrible.
MEURT DE FAIM Je crois que nous devons renoncer à la tuerie comme dénouement.
BOTTOM Pas le moins du monde. J’ai un moyen de tout arranger. Faites-moi un prologue ; et que ce prologue affecte de dire que nous ne voulons pas nous faire de mal avec nos épées et que Pyrame n’est pas tué tout de bon ; et, pour les rassurer encore mieux, dites que moi, Pyrame, je ne suis pas Pyrame, mais Bottom le tisserand : ça leur ôtera toute frayeur.
[…]
LECOING Mais il y a encore deux choses difficiles : c’est d’amener le clair de lune dans une chambre ; car, vous savez, Pyrame et Thisbé se rencontrent au clair de lune.
[…]
BOTTOM Eh bien, vous pourriez laisser ouverte une lucarne de la fenêtre dans la grande salle où nous jouerons ; et la lune pourra briller par cette lucarne.
LECOING Oui ; ou bien quelqu’un devrait venir avec un fagot d’épines et une lanterne et dire qu’il vient pour défigurer ou représenter le personnage du clair de lune. Mais il y a encore autre chose. Il faut que nous ayons un mur dans la grande salle ; car Pyrame et Thisbé, dit l’histoire, causaient à travers la fente d’un mur.
ÉTRIQUÉ Vous ne pourrez jamais apporter un mur. . . Qu’en dites-vous, Bottom ?
BOTTOM Un homme ou un autre devra représenter le mur : il faudra qu’il ait sur lui du plâtre, ou de l’argile, ou de la chaux pour figurer le mur ; et puis, qu’il tienne ses doigts comme ça, et Pyrame et Thisbé chuchoteront à travers l’ouverture.
LECOING Si ça se peut, alors tout est bien. Allons, asseyez-vous tous, fils de mères que vous êtes, et répétez vos rôles. Vous, Pyrame, commencez : quand vous aurez dit votre tirade, vous entrerez dans ce taillis, et ainsi de suite, chacun à son moment.
[…]
LECOING Parlez, Pyrame... Thisbé, avancez.
PYRAME Thisbé, les fleurs odieuses ont un parfum suave...
LECOING Odorantes ! odorantes !
PYRAME "Les fleurs odorantes ont un parfum suave. tel celui de ton haleine, ma très chère Thisbé, chérie. Mais écoute, une voix ! Arrête un peu ici, et tout à l’heure je vais t’apparaître."
Sort Pyrame.
[…]
THISBÉ Est-ce à mon tour de parler ?
LECOING Oui, pardieu, c’est à votre tour ; car vous devez comprendre qu’il n’est sorti que pour voir un bruit qu’il a entendu, et qu’il va revenir.
THISBÉ "Très radieux Pyrame, au teint blanc comme le lis, toi dont l’incarnat est comme la rose rouge sur l’églantier triomphant, le plus piquant jouvenceau, et aussi le plus aimable Juif, fidèle comme un fidèle coursier qui jamais ne se fatigue, j’irai te retrouver, Pyrame, à la tombe de Nigaud."
LECOING À la tombe de Ninus, l’homme !. . . Mais vous ne devez pas dire ça encore : c’est ce que vous répondrez à Pyrame ; vous dites tout votre rôle à la fois, en confondant toutes les répliques. Entrez, Pyrame : on a passé votre réplique, après ces mots : “qui jamais ne se fatigue”.
[…]

Acte 5, scène 1
(Le temps de la représentation, où les acteurs jouent en même temps qu’ils répondent aux diverses questions de leurs spectateurs)



LE PROLOGUE Gentils auditeurs, peut-être êtes-vous étonnés de ce spectacle ;
Restez-le donc jusqu’à ce que la vérité vienne tout expliquer.
Cet homme est Pyrame, si vous voulez le savoir.
Cette belle dame est Thisbé : c’est évident.
Cet homme, avec son plâtre et sa chaux, représente
Un mur, cet ignoble mur qui séparait nos amants :
C’est à travers ses fentes que ces pauvres âmes sont réduites
À chuchoter. Que nul ne s’en étonne.
Cet homme, avec sa lanterne, son chien et son fagot d’épines,
Représente le Clair de Lune : car, si vous voulez le savoir,
Devant le clair de lune, nos amants ne se font pas scrupule
De se rencontrer à la tombe de Ninus pour s’y. . . pour s’y faire la cour.
Cette affreuse bête qui a nom lion,
Une nuit que la confiante Thisbé arrivait la première,
La fit fuir de peur, ou plutôt d’épouvante.
Comme elle se sauvait, Thisbé laissa tomber sa mante
Que cet infâme lion souilla de sa dent sanglante.
Bientôt arrive Pyrame, charmant jouvenceau, très grand ;
Il trouve le cadavre de la mante de sa belle.
Sur quoi, de sa lame, de sa sanglante et coupable lame,
Il embroche bravement son sein d’où le sang bouillonne.
Alors, Thisbé, qui s’était attardée à l’ombre d’un mûrier,
Prend la dague, et se tue. Pour tout le reste,
Le Lion, le Clair de Lune, le Mur et les deux amants
Vous le raconteront tout au long quand ils seront en scène.
THÉSÉE Je me demande si le lion doit parler.
DÉMÉTRIUS Rien d’étonnant à cela, monseigneur ; un lion peut bien parler, quand il y a tant d’ânes qui parlent.
LE MUR Dans cet intermède, il arrive?
Que moi, dont le nom est Groin, je représente un mur,
Mais un mur, je vous prie de le croire,
Percé de lézardes ou de fentes,
À travers lesquelles les amants, Pyrame et Thisbé,
Se sont parlé bas souvent très intimement.
Cette chaux, ce plâtras et ce moellon vous montrent
Que je suis bien un mur. C’est la vérité.
[…]
THÉSÉE Peut-on désirer que de la chaux barbue parle mieux que ça ?
DÉMÉTRIUS C’est la cloison la plus spirituelle que j’aie jamais ouïe discourir, monseigneur.
THÉSÉE Voilà Pyrame qui s’approche du Mur. Silence !
PYRAME Ô nuit horrible ! ô nuit aux couleurs si noires !
Ô nuit qui est partout où le jour n’est pas !
Ô nuit : ô nuit ! hélas ! hélas ! hélas !
Je crains que ma Thisbé n’ait oublié sa promesse !
Et toi, ô Mur, ô doux, ô aimable Mur,
Qui te dresses entre le terrain de son père et le mien,
Mur, ô Mur, ô doux et aimable Mur,
Montre-moi ta fente que je hasarde un œil à travers.
[…]
THÉSÉE Maintenant, ce me semble, c’est au Mur, puisqu’il est doué de raison, à riposter par des malédictions.
PYRAME, s’avançant vers Thésée. Non, vraiment, monsieur ; ce n’est pas au tour du Mur. Après ces mots : m'avoir ainsi déçu, vient la réplique de Thisbé ; c’est elle qui doit paraître, et je dois l’épier à travers le Mur. Vous allez voir, ça va se passer exactement comme je vous ai dit. . . . . La voilà qui arrive.
THISBÉ Ô Mur, que de fois tu m’as entendu gémir
De ce que tu me séparais de mon beau Pyrame !
Que de fois mes lèvres cerises ont baisé tes pierres,
Tes pierres cimentées de chaux et de poils !
[…]
Voici la tombe du vieux Nigaud ; où est mon amour ?
LE LION, rugissant.
Ho !
Thisbé se sauve en laissant tomber son manteau.
DÉMÉTRIUS Bien rugi, lion !
THÉSÉE Bien couru, Thisbé !
HIPPOLYTE Bien luit, Lune... Vraiment, la lune luit de fort bonne grâce.
Le Lion déchire le manteau de Thisbé.
THÉSÉE Bien griffé, lion !
Le Lion sort.
DÉMÉTRIUS Et, sur ce, voici Pyrame qui vient.
LYSANDRE Et la lune qui s’éclipse.
Entre Pyrame.
PYRAME
Douce lune, merci de tes rayons solaires.
Merci, lune, de briller maintenant avec tant d’éclat,
Car, à la clarté dorée de tes torrents lumineux,
J’espère savourer la vue de la très fidèle Thisbé.
Mais, arrêtons ! — Ô douleur !
Mais, regardons ! Pauvre chevalier,
Quel malheur affreux !
Yeux, voyez-vous ?
Est-il possible ?
Ô poule mignonne ! ô chère !
Eh quoi ! ton manteau, le meilleur !
Teint de sang ?
Approchez, furies cruelles !
Ô Parques, venez ! venez !
Tranchez le gros fil de mes jours !
Frappez, écrasez, achevez, massacrez-moi !
THÉSÉE Cette émotion causée par la mort d’une amie chère pourrait presque donner l’air triste à un homme.
[…]
BOTTOM Voulez-vous voir l’épilogue, ou aimez-vous mieux entendre une danse bergamasque, dansée par deux comédiens de notre troupe ?
THÉSÉE Pas d’épilogue, je vous prie ; car votre pièce n’a pas besoin d’apologie. Vous n’avez rien à excuser ; car, quand tous les acteurs sont morts, il n’y a personne à blâmer. Morbleu, si celui qui a écrit cette pièce avait joué Pyrame et s’était pendu à la jarretière de Thisbé, cela aurait fait une belle tragédie.»


À demain pour découvrir les parodies de Pyrame et Thisbé chez Edmond Rostand ou Guillaume Apollinaire et dans une pièce française anonyme datant sans doute du 18e siècle.

Bon début de semaine! Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé mis en en scène par Benjamin Lazar et avec Lorenzo Charoy, Julien Cigana, Benjamin Lazar, Anne-Guersande Ledoux, Louise Moaty, Alexandra Rübner, Nicolas Vial se joue jusqu’à samedi.



Remerciements au site Méditerranées
et à Florent Siaud, rédacteur du cahier dramaturgique des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé mis en scène par Benjamin Lazar
(le cahier est à télécharger en PDF ici).

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