le blog de l'athénée

Retrouver les billets du blog postés de 2008 à 2018

Ils ont blogué pour l’athénée pendant 10 ans
Pleins feux

"Je me suis tué parce que je ne vous trouvais pas"

Posté le : 08 juin 2010 06:08 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé | Entre nous - ensuite

Mon billet d’hier sur les parodies de Pyrame et Thisbé laissait la part belle au Songe d’une nuit d’été où Shakespeare développait largement le sujet. Place aujourd’hui à une parodie anonyme et à des allusions dans une tirade de Rostand et un poème d’Apollinaire :


Parodie de Pyrame et Thisbé
Anonyme

En 1726, François Rebel et François Francoeur créaient une tragédie lyrique, Pyrame et Thisbé, qui, si elle connut un véritable succès populaire, fut rapidement et largement parodiée —comme de nombreux ouvrages présentés à l’Académie Royale de Musique à cette époque, du reste.
Parmi les parodies et détournements qui nous sont parvenus, citons une pièce anonyme datant du 18e siècle et plus particulièrement le moment où Thisbé découvre Pyrame (presque) mort :

« THISBÉ Ciel, mon amant va rendre l’âme,
Et son visage est tout défait!
Es-tu mort?

PYRAME Non, pas encor.

THISBÉ Eh, relevez-vous donc, mon cher Pyrame !
Relevez-vous et fuyons bien fort.

PYRAME Je ne saurais, ma mignonne, je me suis tué parce que je ne vous trouvais pas.

THISBÉ Vous ne seriez pas bon à jouer à la clemissette [= à cache-cache], si vous vous tuez comme cela quand vous ne trouvez pas les gens ! »

Vous pourrez trouver ce texte dans Pyrame et Thisbé, un opéra au miroir de ses parodies 1726-1779 (ouvrage sous la direction de Françoise Rubellin, éditions espaces 34, 2007).
Je l'ai trouvé pour ma part cité par Florent Siaud dans son cahier dramaturgique sur Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé.

 



Cyrano de Bergerac
Edmond Rostand


Pyrame et Thisbé se retrouvent également dans ce qui est aujourd’hui l’une des répliques les plus célèbres du théâtre français, la fameuse tirade du nez dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand.
L’allusion intervient sur la fin de la tirade et concerne cette fois directement la tragédie de Théophile de Viau et non plus seulement l’histoire de Pyrame et Thisbé.
À la scène 2 de l’acte V des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Viau, lorsque Thisbé découvre le corps de Pyrame, elle déclare : «Ha ! voici le poignard qui du sang de son maître / S'est souillé lâchement ; il en rougit, le traître !».
Le vers sera par ailleurs copieusement moqué par Boileau qui critiquait le lien établi entre la rougeur du poignard couvert de sang et sa honte supposée.


Acte I, scène 4


« LE VICOMTE
Personne ?
Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits ! ...
Il s’avance vers Cyrano qui l’observe, et se campant devant lui d’un air fat.
Vous.... vous avez un nez... heu... un nez... très grand.

CYRANO, gravement
Très.

LE VICOMTE, riant
Ha !

CYRANO, imperturbable
C’est tout ? ...

LE VICOMTE
Mais...

CYRANO
Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... Oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme...
En variant le ton, - par exemple, tenez :
Agressif : "Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! "
Amical : "Mais il doit tremper dans votre tasse
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! "
Descriptif : "C’est un roc ! ... c’est un pic ! ... c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ? ... C’est une péninsule ! "
Curieux : "De quoi sert cette oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? "
Gracieux : "Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? "
Truculent : "Ça, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? "
Prévenant : "Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! "
Tendre : "Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! "
Pédant : "L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane
Appelle Hippocampéléphantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! "
Cavalier : "Quoi, l’ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode ! "
Emphatique : "Aucun vent ne peut, nez magistral,
T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! "
Dramatique : "C’est la Mer Rouge quand il saigne ! "
Admiratif : "Pour un parfumeur, quelle enseigne ! "
Lyrique : "Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? "
Naïf : "Ce monument, quand le visite-t-on ? "
Respectueux : "Souffrez, monsieur, qu’on vous salue,
C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! "
Campagnard : "Hé, ardé ! C’est-y un nez ? Nanain !
C’est queuqu’navet géant ou ben queuqu’melon nain ! "
Militaire : "Pointez contre cavalerie ! "
Pratique : "Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! "
Enfin parodiant Pyrame en un sanglot
"Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l’harmonie ! Il en rougit, le traître ! "
– Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit. »

 

Les onze mille Verges
Guillaume Apollinaire



Habitué des salles de classe pour des livres comme Alcools, Le Bestiaire ou Calligrammes, Apollinaire a également publié des poésies érotiques, souvent de manière anonyme ou sous pseudonyme.
Dans Les onze mille Verges, l’on trouve deux sonnets improvisés par le personnage de Mony qui glisse une allusion parodique à Pyrame et Thisbé.
Le dialogue entourant ces deux sonnets a lieu entre Estelle et Mony :

« — T’occupe pas de ça, Mony, fais-moi encore des vers avant d’aller au dodo.
— Bien, dit Mony, et il improvisa ces délicats sonnets mythologiques.
HERCULE ET OMPHALE
Le cul
D’Omphale
Vaincu
S’affale.
— Sens tu
Mon phalle
Aigu ?
— Quel mâle !...
Le chien
Me crève !...
Quel rêve ?...
— Tiens bien ?
Hercule
L’encule.

PYRAME ET THISBE
Madame
Thisbé
Se pâme :
“Bébé”
Pyrame
Courbé
L’entame :
“Hébé !”
La belle
Dit oui
Puis elle
Jouit
Tout comme
Son homme.

— C’est exquis ! délicieux ! admirable ! Mony, tu es un poète archi-divin, viens me baiser dans le sleeping-car, j’ai l’âme foutative. »

 

Remerciements au site Méditerranées et à Florent Siaud, rédacteur du cahier dramaturgique des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé mis en scène par Benjamin Lazar
(le cahier est à télécharger en PDF ici).

 

Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau mis en scène par Benjamin Lazar se joue jusqu’à samedi.
Ce soir, vous pourrez rencontrer l’équipe artistique: rendez-vous après la représentation dans le foyer-bar !