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Entretien

Le bide

Posté le : 03 nov. 2016 06:00 | Posté par : Clémence Hérout
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Après nous avoir présenté La Danse du diable et Le Bac 68 qu’il joue actuellement à l’Athénée et raconté sa première fois sur scène (première partie ici et deuxième Philippe Caubère nous parle aujourd’hui de la metteure en scène Ariane Mnouckhine avec qui il a travaillé, de sa pire expérience de théâtre, de ses rêves de mise en scène et de ses inspirations picturales.



« – Que vous a appris Ariane Mnouchkine ?

– Beaucoup de choses : elle a été un Maître pour moi. Elle m’a appris la vie, c’est-à-dire l’art, la politique, l’apprentissage sentimental – je suis tombé amoureux au Théâtre du Soleil, je m’y suis même marié. Quand je dis qu’elle m’a appris la politique, il ne s’agit pas seulement la politique politicienne, mais aussi celle à l’intérieur des groupes, le sens du pouvoir, comment on dirige, comment on met en scène.
Ariane Mnouchkine m’a appris tout ce qu’un maître doit apprendre à un élève. L’éducation, c’est un tout : la morale, l’esprit… Je suis parti du Théâtre du Soleil avec une braise dans la main, prêt à enflammer le reste.

Au théâtre, seul compte l’acteur. Même l’auteur est secondaire. Un acteur sans metteur en scène ni auteur peut inventer du théâtre : il suffit que quelqu’un le regarde avec amitié. Alors qu’un metteur en scène tout seul ne peut rien trouver, et un auteur tout seul écrit un livre.



– Pourquoi avoir dit que votre interprétation de Lorenzaccio en 1979 dans la cour du Palais des Papes du Festival d’Avignon reste votre pire souvenir en tant qu’acteur ?

– La pièce a été un bide énorme, alors que c’était une grande espérance pour moi. La proposition de jouer ce rôle m’a ramené à mon rêve d’adolescent d’être Gérard Philipe. La déconvenue fut à la mesure de l’espérance : énorme et cruelle. Quand je vous parle de bide, c’était un vrai bide, avec un public qui hurle comme à la corrida.

Mais comme j’ai un puissant sens de l’humour, j’ai quand même passé trois semaines à Avignon à me marrer. D’autant plus que je jouais avec Bruno Raffaelli et Christine Boisson, qui ont beaucoup d’humour : on rigolait du matin au soir en voyant les critiques et la tête du metteur en scène… même si on sentait que ce n’était pas très bon pour notre carrière.

J’en ai fait cinq pièces de théâtre quelques années plus tard : je me suis vengé. Mais j’étais triste. D’ailleurs, dans mes pièces, je me suis beaucoup moqué de moi-même. J’ai finalement retrouvé des bribes et je me suis trouvé beaucoup moins mauvais que dans mon souvenir. La mise en scène était ratée, car le metteur en scène était daltonien et avec une mauvaise ouïe, donc en dehors du temps et de l’espace. Avec une mise en scène cohérente, on aurait sans doute obtenu un triomphe. Mais j’en ai tiré une comédie humaine quelques années après…



– Quelle(s) pièce(s) rêveriez-vous de monter ?

– Plein. Roméo et Juliette de Shakespeare, La Mouette de Tchekhov, La Locandiera de Goldoni… Ce sont surtout des pièces sur l’amour et les rapports entre hommes et femmes. Le sujet qui m’intéresse le plus est le rapport entre homme et femmes et les histoires d’amour.
Pour moi, les deux drames de l’Occident sont le chômage et l’incapacité à aimer, la difficulté des rapports entre les hommes et les femmes. Tout ce qui se raconte là-dessus est mensonger : seuls les poètes et les comiques peuvent parler de ça.



– Imaginons que vous montiez Roméo et Juliette : dans quelle traduction ?

– Je partirais sans doute de la traduction de François-Victor Hugo, qui est la plus classique, et la transformerais en collaboration avec les acteurs, en intégrant des bribes en anglais. C’est le problème avec les pièces étrangères : même les traductions les plus illustres ne seront jamais le texte original.
Ce que l’on ressent quand on entend le texte en anglais reste unique. Mon souvenir le plus fort reste les spectacles du Footsbarn Theatre, où l’on entendait à la fois du français et de l’anglais. Même sans comprendre l’anglais, on saisit mieux l’esprit de la langue que lorsque c’est traduit. Mon terrain de chasse étant plutôt les comédiens, j’aimerais faire une traduction produite avec eux, donc presque une adaptation.



– Est-ce qu’il y a des images (photographies, tableaux…) qui vous parlent, vous inspirent ?

– Je suis complètement néophyte, même si cela m’intéresse. Je ne peux dire que des banalités… J’aime beaucoup le photographe Henri Cartier-Bresson et tout ce qu’il dit de l’instant décisif.

Cela dit, j’ai travaillé tout Le Roman d’un acteur avec des photos de Jean-François Jonvelle accrochées aux murs : comme un Don Juan, il a d’abord photographié les femmes avec qui il était, dans l’intimité. Il a ensuite réalisé une série sur les filles d’Aix en prenant des photos dans la rue. Je l’avais rencontré, d’ailleurs. Les photographies de Jean-François Jonvelle s’inscrivent dans l’esprit des années 1970 et leur liberté sexuelle, avec beaucoup de délicatesse. Il y a une sorte de tendresse dans ses photos érotiques, mais aussi une vraie familiarité : ces femmes sont comme des muses. »


Vous venez de terminer le dernier volet de notre entretien-fleuve avec Philippe Caubère : rendez-vous à l’Athénée jusqu’au 20 novembre pour le voir sur scène dans Le Bac 68 et/ou La Danse du diable.

 
Clémence Hérout