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Entretien

Tu te prends pour Flaubert ?

Posté le : 21 oct. 2016 06:05 | Posté par : Clémence Hérout
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Dans la première partie de notre entretien parue le 3 octobre, Philippe Caubère, qui joue en alternance La Danse du diable et Le Bac 68, nous présentait les deux spectacles. Aujourd'hui il nous en raconte la genèse, avant de se souvenir de sa toute première fois sur scène, à l'âge de 9 ans.


 « – Ces spectacles se sont construits sur des improvisations. Pouvez-vous expliquer concrètement comment vous avez travaillé ?

– Au départ, je voulais écrire une pièce. J’ai donc commencé à écrire, mais je n’étais pas content du résultat : mes textes ressemblaient à ceux de Pagnol, Mnouchkine, Molière, Dubillard… Clémence Massart [qui joue L’Asticot de Shakespeare en salle Christian Bérard en même temps que les représentations de Philippe Caubère] m’a conseillé d’arrêter de vouloir ressembler aux autres et d’improviser.
J’ai improvisé la scène avec la ficelle, qui s’est retrouvée dans le spectacle plus tard : l’histoire d’un type au chômage dans le métro qui finit tout seul avec une ficelle. Cette scène décrivait la situation dans laquelle j’étais après avoir quitté le Théâtre du soleil et raté mon aventure belge [un passage à l’atelier théâtre de Louvain-la-Neuve] : j’avais le sentiment qu’il n’y avait pas d’issue, en tout cas qu’il fallait que j’en trouve une autre que me pendre avec une ficelle…

L’improvisation donnant un monologue, c’est là que l’idée de jouer seul m’est venue – alors qu’au départ, j’imaginais une pièce avec plusieurs personnages. Jean-Pierre Tailhade [comédien et metteur en scène] m’a donné l’idée de jouer Ariane Mnouchkine [fondatrice du Théâtre du soleil, dont Philippe Caubère était membre] de montrer comment elle était.
Je suis alors devenu Ariane. Je suis aussi devenu ingénieur du son, car j’ai alors improvisé une scène de tournage du film Molière [réalisé par Ariane Mnouchkine, avec Philippe Caubère dans le rôle-titre]. Ce qui est amusant, c’est que cette scène, je l’avais déjà faite, j’avais joué les régisseurs du film à la cantine pendant le tournage. Puis je me suis joué moi aussi. Du coup, le principe de L’Homme qui danse est arrivé d’un coup. Je voulais changer de place à chaque fois que je changeais de personnage interprété, mais Jean-Pierre Tailhade m’a dit : “du moment que tu le vois, le public le voit”. Ensuite, j’ai fait plein de personnages.

Je me disais qu’au final, je ne jouais jamais celui de Ferdinand. Ce à quoi Jean-Pierre Tailhade m’a répondu : “on s’en fout, Ferdinand c’est nous !”. Ferdinand est comme un double de moi : c’est beaucoup plus difficile d’inventer cela, car je ne peux pas me copier. Je me suis donc inspiré de la profonde identité commune que nous partageons avec Clémence Massart pour m’inventer moi à quatorze ans. Tout le déclic a consisté à copier les autres et le regard qu’ils avaient sur moi, pour sortir de l’idée d’écrire une pièce de théâtre et d’inventer de la fiction.

Je me suis mis à jouer mes souvenirs, qui étaient beaucoup plus riches que tout ce que j’essayais d’inventer. Finalement, l’imagination est plus pauvre que la mémoire... À partir du moment où je plongeais dans le souvenir, tout ce qui était frais et vivant en moi était inattendu, y compris à moi-même. Les gens me demandent souvent si c’est vrai : je réponds que je n’en sais rien, mais au fond j’invente très peu. Il s’agit de tomber le masque, d’arrêter de faire semblant de ne pas raconter ma vie, de raconter des choses vraies de ma vie avec les vrais noms.

Pour en faire un spectacle, évidemment c’est une autre affaire. Tout était enregistré sur magnétophone, ce qui me valait des conflits avec Jean-Pierre Tailhade qui m’exhortait au contraire d’essayer de le refaire directement sur scène, ce à quoi je répondais que j’inventais un texte. Il me demandait en retour : “tu te prends pour Flaubert ?” Oui, quelque part, en tout cas j’inventais un texte. Par conséquent, Jean-Pierre Tailhade oubliait exprès d’appuyer sur le bouton du magnétophone, car il était énervé que je prenne autant de soin à mes improvisations. Pour Le Roman d’un acteur en revanche, j’ai utilisé la vidéo.

J’ai fini par définir un texte très précis appris au mot près pour lutter contre la mort. Mais une fois la confiance en moi reprise, la logique de l’improvisation devant le public revenait. Le spectacle dure ainsi trois heures aujourd’hui alors qu’il n’en faisait que deux au début. J’ai même fait une version intégrale qui a duré vingt-quatre heures.



– Pouvez-vous raconter votre première fois sur scène ?

– Alors que j’étais en cours moyen première année, la maîtresse a proposé de monter la pastorale, c’est-à-dire la crèche, qui se joue dans les villages en provençal. Là, c’était à Marseille, donc nous avons joué en français. La maîtresse a annoncé que “comme c’est Philippe qui ressemble le plus à une fille ici, c’est lui qui fera la poissonnière”. La réplique a déclenché l’hilarité générale, alors que moi j’étais très fier que la maîtresse me distingue de cette manière.

J’ai appris mon texte et l’ai récité à mon père, qui m’a expliqué qu’il ne fallait pas jouer le théâtre ainsi. Il m’a emmené sur le vieux port pour voir les poissonnières afin que je m’en inspire. C’est là que j’ai appris que mon père rêvait d’être acteur, et que son père l’en a empêché, l’obligeant à faire HEC pour reprendre l’usine. Quelque part, j’ai un peu réalisé le rêve de mon père. J’ai remporté un très grand succès à la kermesse : c’était étrange, je jouais une femme avec l’accent du Midi, et je faisais rire. C’était presque prémonitoire.

Une fois adolescent, je rêvais sur Gérard Philipe et Le Cid : je me projetais en acteur romantique avec de grands rôles. Sauf que Mai 68 étant arrivé, le théâtre romantique n’était plus d’actualité. Arrivé au Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine m’a mis un masque, et je suis devenu un acteur comique.

Les premiers rôles que j’ai improvisés étaient des femmes. Ma mère, Claudine, ma prof de théâtre… J’ai improvisé peu d’hommes, à part le petit copain Robert et le régisseur fou de La Danse du Diable – c’était Ariane Mnouchkine en fait, mais j’avais trop peur de la jouer.
À la sortie du spectacle, elle m’a demandé : “Et ce con de la deuxième partie, c’est qui ? Moi ? Tu n’as pas eu les couilles de me jouer… ”. Message reçu : deux ans après, je l’ai appelée pour lui annoncer que j’avais relevé le défi, ou plutôt la provocation. »



La suite de l'entretien paraîtra dans quelques jours ! Pour voir La Danse du diable et Le Bac 68 de Philippe Caubère et L'Asticot de Shakespeare de Clémence Massart, vous avez jusqu'au 20 novembre à l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet.

Bon week-end ! 
Clémence Hérout