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Entretien

Trac, horlogerie, garçonnière, pyramide et violoncelle - interview

Posté le : 21 mai 2010 08:08 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Une Maison de Poupées

Olivia Brunaux et Féodor Atkine interprètent respectivement le rôle de Nora et de Torvald dans Une maison de poupées mise en scène par Nils Öhlund.

Rencontres croisées dans la loge de chacun avant une représentation:


«Olivia, tu interprètes un rôle considéré comme mythique. Quelles sont ses difficultés particulières, à part que tu as de la concurrence cette année à Paris ?
— Que le rôle soit déjà interprété ailleurs dans d’autres mises en scène ne me dérange pas, puisque je ne suis tout simplement pas allée voir les autres versions… La vraie grande difficulté de départ à vrai dire, même si cela va peut-être te paraître idiot, c’est la longueur du texte: j’ai rarement eu un texte aussi long à apprendre et m’y suis prise vraiment très à l’avance.
Une autre difficulté résidait dans la dimension personnelle de l’interprétation: l’une des idées principales de Nils Öhlund étant l’écho que ce texte d’Ibsen a en chacun de nous aujourd’hui, il fallait éviter de mélanger ma vie et mon rôle, faire abstraction des résonances que le personnage peut avoir chez moi...
Enfin, Nora était un rôle de jeune femme pour moi —c’est d’ailleurs l’un des rôles que j’ai passé à ma sortie du Conservatoire il y a quelques années, à l’Athénée en plus! Mais pour Nils Öhlund, Nora et Torvald formaient un couple plus âgé qui devait avoir vécu ensemble assez longtemps.

— Tu as donc déjà joué le rôle de Nora à l’Athénée?

— Oui, il y a vingt-quatre ans. C’était à ma sortie du Conservatoire national supérieur d’art dramatique dont le théâtre était en travaux… J’étais très en colère, car je n’allais pas passer mon examen de sortie dans les locaux du conservatoire mais à l’extérieur, à savoir la scène de l’Athénée! Mais j’y suis donc revenue vingt-quatre ans plus tard pour faire une Nora vingt-quatre ans plus vieille…

— C’est un personnage qui te poursuit…

— Oui, pourtant je suis plus à l’aise dans les rôles comiques, mais on m’en propose rarement pour m’offrir plutôt des rôles de pauvres filles un peu tristes, parfois au bord de la dépression, voire qui commettent un meurtre ou se suicident... Alors que je prégère les comédies à la Blake Edwards, que j’ai adoré joué dans Vent de panique de Bernard Stora, et que mon rêve aurait été de jouer dans La Garçonnière, tu sais, ce film en noir et blanc de Billy Wilder avec Shirley MacLaine !
J’ai vraiment le trac en général, et encore plus sur ce rôle de Nora, car le travail est très riche et intense. Nils Öhlund est un vrai metteur en scène dans le sens où chaque réplique est soutenue par une demande précise de lui: à chaque réplique, chaque geste, chaque déplacement, je pense à ce qu’il m’a dit, car tout est réglé comme une horlogerie. Tout est toujours sur le fil, et parfois je me demande si je vais arriver au bout de la représentation!...

— Nora annonce-t-elle le féminisme, à ton avis?

Une maison de poupées aborde évidemment le féminisme, mais il s’agit surtout d’une pièce sur le couple. On a donné le pouvoir aux hommes dans le couple pour je ne sais quelle raison alors que le couple n’a pas de sexe et que nous sommes tous des individus: nous avons tous la même peau… J’aime particulièrement chez Ibsen cette partie féminine que beaucoup d’hommes n’assument pas: on sent qu’il comprend bien les femmes, en tout cas qu’il les éprouve.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’un féminisme radical dressant les femmes contre les hommes, mais c’est une pièce qui pose quelques questions. Par exemple, pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes dans la France de 2010? En quel honneur?»


En sortant de la loge d’Olivia, on trouve celle de Féodor Atkine à gauche au bout du couloir:


«La grande majorité des critiques que l’on peut lire dans la presse ou sur des blogs s’accordent pour reconnaître la dimension nouvelle qui est donnée au rôle de Torvald, que tu interprètes dans cette Maison de poupées
— Mais pas seulement Torvald! Dans son adaptation, Nils Öhlund a voulu mettre en exergue les caractères essentiels de Kristine, Krogstad, Rank et Torvald autour de Nora. Il s’agit à mon sens d’une excellente idée, car dans les autres traductions, les autres personnages n’étaient là que pour étayer celui de Nora. Nils a donné un autre équilibre à la pièce, et son travail a été formidable à ce niveau-là.

— On évoque souvent la difficulté du rôle de Nora, mais celui de Torvald, son mari, me semble aussi très complexe, non?
— On peut effectivement tomber dans tous les écueils avec ce rôle: tomber, à cause du texte et de la situation, dans un côté presque caricatural du personnage qui deviendrait purement et simplement manichéen, une sorte de macho stupide, paternaliste, un peu vulgaire et sans émotion qui ne comprend strictement rien et ne comprendra jamais rien.
C’est un véritable écueil que l’on a réussi à éviter dans la mesure où, malgré sa rigueur et le fait qu’il soit promu à un poste à responsabilité sociale particulière, il a une immense tendresse et une certaine écoute. Et, incontestablement, quand il est confronté sans échappatoire possible à sa propre incompréhension, à sa propre bêtise et à son incapacité foncière à écouter, il est bien obligé de reconnaître la réalité des faits: il le fait, et c’est intéressant.
Mais effectivement, il aurait pu devenir terriblement excessif, hâbleur, stupide et n’être que la représentation d’un schéma mental masculin qui, étonnement, est encore en vigueur…

— Ce schéma est donc pour toi toujours actuel: ce n’est pas toujours ce que l’on a pu entendre dans les différents commentaires de la pièce...
— Seuls des hommes peuvent oser dire que le sujet de la pièce est dépassé. Au contraire, j’ai entendu nombre de femmes dire: “quelle modernité!”. Très peu de choses ont changé, non pas dans les faits eux-mêmes, mais dans l’état d’esprit. Je ressens au quotidien le poids des stéréotypes.
C’est quelque chose qu’on n’arrivera peut-être jamais à dépasser, parce que ces stéréotypes proviennent d’un élément fondamental essentiel et ineffaçable: la femme a un rapport au cosmos, à l’universel, à la création pure par le simple fait d’enfanter que l’homme ne connaîtra jamais. Il ne peut même pas imaginer ce que cela peut être.
La relation au vivant, à la vie et à la mort, ce mysticisme concret qui est celui de la femme génitrice, est un élément qui a poussé l’homme à lui nier la valeur fondamentale qu’il pouvait avoir et à en concevoir un autre pour son propre profit: du fait de sa constitution, l’homme est devenu acteur de mort alors que la femme est actrice de vie.
Mais bien évidemment, cela ne s’arrête pas là, car cela l’a également poussé à devenir fondamentalement créateur! À l’heure actuelle, il existe des temples, des pyramides, des temples, des cathédrales, etc., qui sont aussi là pour pallier cette absence de capacité de création que l’homme, au-delà de son côté négationniste, a voulu avoir pour essayer de toucher à un divin quelconque que seule la femme pouvait approcher. C’est de l’ordre de la métaphysique.

— Je te pose donc la question rituelle: Une maison de poupées est-elle une pièce féministe?
— Une pièce féministe? Féministe? Non, c’est une pièce humaine; ou, plus exactement, le traitement de Nils Öhlund en fait une pièce humaine. Si elle a pu être considérée comme un étendard féministe, c’est sans doute en détournant le propos d’Ibsen qui était de dévoiler les travers d’une cohabitation mâle-femelle, mais dans les deux sens. Nora par exemple, si l’on se réfère à ce qui est écrit, travestit la réalité d’une façon pathologique...
C’est plus une pièce humaine, un drame équilibré dans la version de Nils, et non pas quelque chose de purement orienté. On en est arrivé à réaliser une pièce qui n’est pas dogmatique, je crois.

— Le 11 mai dernier, tu étais l’invité du Partage de Midi sur France Musique où tu as évoqué les œuvres de Pêteris Vasks, qui est un compositeur letton contemporain. J’étais vraiment très heureuse que tu en parles, car il s’agit d’un artiste exceptionnel encore bien trop peu connu en France…
— Oui, je l’ai découvert grâce à un concert retransmis sur Arte. Ma femme et moi avons été bouleversés. Je trouve ses œuvres immenses, il sait déchaîner les émotions d’une façon extrêmement concrète, et c’est magnifique. C’est du niveau de Gustav Mahler, pour moi.»

Puisqu’il serait injuste que seuls Féodor Atkine et moi-même connaissions les œuvres de Pêteris Vasks ici, voici, grâce à la magie de YouTube, le deuxième mouvement de l’une de ses œuvres, Musica Adventus. Bonne écoute!

Si vous n'entendez rien, cliquez ici pour l'écouter sur YouTube.

 

Une maison de poupées se joue encore pour trois représentations à l’Athénée: ce soir et demain à 15h puis 20h.