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Perspective

Qu’il est mauvais!

Posté le : 02 avr. 2010 08:35 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Musique : Claire-Marie Le Guay 2009-2010

De renommée internationale”: c’est l’argument imparable lorsqu’on veut prouver qu’un musicien classique est bon.
S’il est possible en effet d’être très bon sans se produire pour autant aux quatre coins de la terre, un interprète donnant des concerts au Metropolitan de New York, à Covent Garden à Londres et à Pleyel à Paris est forcément bon.

Acceptons l’argument qu’en musique classique on ne fait pas illusion bien longtemps, et que pour parvenir à se produire dans les plus grandes salles occidentales il faut avoir franchi de nombreux examens de passage où l’on démontre son talent (jury de concours d’entrée au conservatoire, maisons de disques, programmateurs, critiques, public): mais justement, ce talent maintes fois prouvé, en quoi consiste-t-il exactement?

C’est la question que s’est posée Daniel Levitin dans l’un des chapitres de son livre De la note au cerveau paru cette année aux éditions Héloïse d’Ormesson: qu’est-ce qu’un bon musicien?
Neuroscientifique canadien né en 1957, Daniel Levitin mêle donc la musique et la science pour tenter de comprendre notre rapport à la musique en proposant d’expliquer scientifiquement ce qu’est l’oreille absolue, comment nous classifions la musique ou pourquoi nous aimons tel ou tel type de musique.

La pianiste française “de renommée internationale” (comme on dit) Claire-Marie Le Guay est en résidence à l’Athénée depuis deux saisons, et il paraît clair que son talent ne fait plus aucun doute: mais qu’est-ce que le talent? Les musiciens exceptionnellement doués possèdent-ils une différence de nature (ils ont quelque chose que les autres n’ont pas) ou de degré (ils ont des capacités plus développées)?

Si l’on part du postulat que le talent peut s’analyser scientifiquement, voici quelques éléments de définition proposés par Daniel Levitin:

1) Le talent a une part génétique: de grandes mains peuvent faciliter l’apprentissage du piano comme une voix au grain original peut aider un chanteur à se démarquer. Notre physique prédispose donc à certaines pratiques mais, plus généralement, notre patrimoine génétique influence nos activités cognitives globales.

2) Le talent n’est pas inné:
il se développe avec le travail. On considère ainsi qu’il faut dix mille heures de travail dans une discipline (soit environ trois heures par jour pendant dix ans) pour parvenir à son niveau d’expertise.
Ceux qui réussissent ont d’ailleurs connu plus d’échecs que les autres : tout dépend de leur capacité à rebondir (avouez que c’est rassurant).

3) Le talent est lié au plaisir: l’intérêt que nous portons à une discipline lui donne une étiquette neurochimique positive et renforce notre motivation, notre attention et notre vitesse de progression.

4) Le talent dépend de l’environnement
dans lequel nous évoluons: tout comme un enfant né de mère française et de père polonais parlera le polonais et le français mieux qu’un Allemand tentant d’apprendre ces deux langues, être né dans une famille de musiciens favorise l’apprentissage de la musique.

5) Le talent est renforcé par la mémoire: il est important de connaître et mémoriser rapidement les morceaux que l’on travaille, et les musiciens classifient d’ailleurs la musique dans leur mémoire  selon un schéma très particulier.

6) Le talent réside dans le pouvoir émotionnel transmis: étant donné  que nous attendons de la musique qu’elle nous touche, nous aimons les musiciens qui parviennent à véhiculer l’émotion que la musique porte, qu’ils éprouvent eux-mêmes réellement cette émotion ou non.
Cette faculté de l’interprète à produire une expérience émotionnelle repose sur des aptitudes techniques (difficile d’être ému par un violoniste qui joue faux) mais aussi sur des facultés plus mystérieuses: la façon dont le musicien bouge lors d’un concert, le charisme, le charme, l’investissement, la sensibilité…
C’est à ce stade que la science reste sur le pas de la porte: la capacité d’un interprète à nous émouvoir et nous emmener dans un autre univers est difficilement explicable, tout comme l’on a du mal à définir pourquoi quelque chose nous touche ou pourquoi certaines personnes sont photogéniques et pas d’autres.


Pour vérifier le talent de Marie Gillain à la narration et Claire-Marie Le Guay et ses artistes associés à la musique, rendez-vous demain à 20h à l’Athénée pour le conte musical Timouk.

Et pour en savoir davantage sur les liens entre musique et science, n’hésitez pas à vous procurer le livre de Daniel Levitin, De la note au cerveau, Éditions Héloïse d’Ormesson, Paris, 2010.

Bon week-end de Pâques à tous et à lundi.