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Perspective

La révolution de velours

Posté le : 11 janv. 2011 11:32 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Journal d'un disparu

De jeudi à dimanche, vous pourrez écouter Le Journal d'un disparu à l'Athénée : l'œuvre a été composée par Janacek sur des poèmes écrits dans un dialecte de l'Est de la République Tchèque et racontent l'amour d'un paysan pour une Tzigane.

Si l'histoire évoquée dans ces poèmes pouvait rappeler à Janacek une partie de sa vie personnelle, la langue utilisée a sans doute été déterminante dans son choix de les mettre en musique.
Né en 1854 et décédé en 1928, Janacek a en effet joué un rôle déterminant dans la mise en avant des identités culturelles tchèques et moraves.
Il parcourt ainsi son pays (qui deviendra la Tchécoslovaquie à l'effondrement de l'empire austro-hongrois en 1917) à la recherche de musiques populaires : collectant des chansons paysannes dès 1886, Janacek oeuvre à la reconnaissance du folklore musical de sa région et, par là-même, à la revendication d'une identité tchécoslovaque.


D'origine paysanne et jouées sans partition, les musiques populaires ont souvent été sous-estimées, mais Janacek relève le défi de les intégrer à la musique dite savante.
Le défi paraît impossible tant tout semble séparer musique populaire et classique : les tonalités ne sont pas les mêmes, d'autant que les chants paysans peuvent très bien hésiter entre plusieurs tons ou commencer en mineur pour se terminer en majeur.
Ensuite, d'un point de vue rythmique, les musiques occidentales reposent sur une symétrie parfaite où chaque mesure est égale à la suivante et où une croche vaut une moitié de noire et une ronde le double de la blanche : rien de semblable avec la musique populaire d'Europe de l'Est où une demi-mesure peut par exemple être légèrement plus longue que celle qui la précède —et cette complexité rythmique est quasiment impossible à retranscrire dans notre système de notation.

Janacek, à l'instar du Hongrois Bartok ou du Roumain Enesco, parvient pourtant à se construire un style singulier et inédit où le genre savant s'imprègne du folklore, et accompagne ainsi les revendications identitaires d'une région qui réclamera rapidement son indépendance.
Si le nationalisme quasi-forcené de Janacek dans sa vie courante se retrouve dans sa musique où la composante folklorique est déterminante, il est intéressant de souligner que sa volonté de retranscrire ce qu'il entend ne s'arrête pas aux musiques populaires entendues dans la campagne tchèque et morave.

Le compositeur s’attache en effet à la mélodie du parler et transforme en musique des phrases saisies au vol, mais aussi le bruit de la mer ou encore des chants d’oiseaux.
Désirant abandonner les conventions expressives propres à la musique, Janacek réintroduit la prose dans l’opéra et s’inspire du langage parlé pour composer. Il ne s’agit pas d’imiter la nature mais bien d’admettre l’existence d’un univers musical en-dehors de la musique elle-même.


Chahutant les frontières entre savant et populaire, entre nature et culture et entre Tchécoslovaquie et Autriche-Hongrie, Janacek crée aussi une œuvre hybride
du point de vue strictement formel : entre opéra et cycle de Lieder*, son Journal d'un disparu composé en 1919 sera joué à l'Athénée à partir de jeudi dans la mise en scène de Christophe Crapez.



Bon mardi !

 

* Si vous avez manqué un épisode sur le Lied, rendez-vous ici pour un très modeste début de définition.