le blog de l'athénée

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Posté le : 09 mai 2018 19:45 | Posté par : Clémence Hérout
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Le lundi est souvent musical à l’Athénée : lundi prochain, rendez-vous donc avec un pianiste, un baryton et un altiste (Tanguy de Williencourt, Edwin Fardini et Adrien La Marca) pour des œuvres de Franz Liszt, Guy Ropartz, Johannes Brahms et Gustav Mahler, toutes composées sur des poèmes.
On retrouve ainsi les auteurs Henrich Heine chez Liszt et Ropartz, et Friedrich Rückert chez Brahms et Mahler.

Journaliste et poète considéré comme l’un des grands écrivains de l’Allemagne du 19e siècle, Henrich Heine s’installa en France après avoir fui l’Allemagne, où il fut beaucoup attaqué pour ses origines juives et ses prises de positions politiques notamment publiées dans le quotidien Allgemeine Zeitung.

 

Heinrich Heine sur une ancienne pièce allemande de 10 marks éditée en 1972

 
Lizst a par exemple choisi le poème Ein Fichtenbaum steht einsam publié dans le recueil Intermezzo lyrique dont je vous livre la traduction en français réalisée par Jacky Lavauzelle.

Un sapin reste seul
Au nord du sommet décharné.
Il dort dans sa couverture blanche
De glace et de neige.
Il rêve d’un palmier,
Là-bas, dans le lointain orient,
Solitaire et pleurant en silence
Sur sa paroi rocheuse brûlante.

Pour le plaisir de la comparaison, voici la traduction de Gérard de Nerval :

Un sapin isolé se dresse sur une montagne aride du Nord. Il sommeille ! la glace et la neige l’enveloppent d’un manteau blanc.
Il rêve d’un palmier, qui, là-bas, dans l’Orient lointain, se désole solitaire et taciturne sur la pente d’un rocher brûlant.


Friedrich Rückert était quant à lui un professeur d’université dont on dit qu’il maîtrisait quarante-quatre langues (je vous laisse trois secondes pour crier en silence). Ses poèmes ont beaucoup été adaptés en musique, notamment par Schubert, Robert et Clara Schumann ou Richard Strauss.
Très affecté par la mort de deux de ses enfants, il écrit le recueil Chants des enfants morts, dont cinq poèmes sur les quatre-cent-vingt-huit seront mis en musique par Mahler, contre l’avis de sa femme Anna qui s’interrogeait sur l’opportunité de tenter le diable en composant des chants funèbres sur la mort d’enfants quand on en a soi-même, des enfants.

 

 Statue représentant Friedrich Rückert dans la ville de Schweinfurt en Bavière (Allemagne)
 

Voici la traduction collective (disponible sur wikisource) des deux derniers poèmes choisis par Mahler.

IV
Souvent je pense qu’ils sont seulement partis se promener,
Bientôt ils seront de retour à la maison.
C’est une belle journée, Ô n’aie pas peur,
Ils ne font qu’une longue promenade.
Mais oui, ils sont seulement partis se promener,
Et ils vont maintenant rentrer à la maison.
Ô, n’aie pas peur, c’est une belle journée,
Ils sont seulement partis se promener vers ces hauteurs.
Ils sont seulement partis avant nous,
Et ne demanderont plus à rentrer à la maison,
Nous les retrouverons sur ces hauteurs,
Dans la lumière du soleil, la journée est belle sur ces sommets.

V
Par ce temps, par cette averse,
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors.
Ils ont été emportés dehors,
Je ne pouvais rien dire !
Par ce temps, par cet orage,
Jamais je n’aurais laissé les enfants sortir,
J’aurais eu peur qu’ils ne tombent malades ;
Maintenant, ce sont de vaines pensées.
Par ce temps, par cette horreur,
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors.
J’étais inquiet qu’ils ne meurent demain ;
Maintenant, je n’ai plus à m’en inquiéter.
Par ce temps, par cette horreur !
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors !
Dehors ils ont été emportés,
Je ne pouvais rien dire !
Par ce temps, par cette averse, par cet orage,
Ils reposent comme dans la maison de leur mère,
Effrayés par nulle tempête,
Protégés par la main de Dieu.

Pour entendre ces textes en langue originale et chantés par Edwin Fardini, c’est ce lundi 14 mai à l’Athénée !

Bonne fin de semaine.
 
Clémence Hérout

Perspective

Occupés à des choses qui ne servent à rien

Posté le : 04 mai 2018 06:00 | Posté par : Clémence Hérout
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L’Athénée accueillera bientôt le spectacle 23 rue Couperin, qui porte sur une cité d’Amiens nord en particulier et sur la banlieue en général.
C’est en prévision de ce spectacle qu’était organisée une rencontre sur l’architecture et la banlieue il y a trois semaines à l’Athénée. Y participaient Karim Bel Kacem, auteur et metteur en scène du spectacle, Patrick Bouchain, architecte et scénographe, Antoine Nochy, écologue et philosophe, et des spectateurs encore plus nombreux qu’espéré (quand je pense qu’on pensait faire la rencontre au foyer-bar…).
Filmée et diffusée en direct sur nos réseaux sociaux, la rencontre peut être regardée en différé ici.

Patrick Bouchain a entre autres commencé par rappeler que la banlieue n’était pas que le lieu d’habitation de l’immigration. Au départ, il s’agissait selon lui de construire pour offrir de meilleures conditions de logement. Les premiers banlieusards sont donc généralement les personnes ayant quitté le centre-ville pour aller en périphérie dans l’espoir d’obtenir de meilleures conditions de vie.
En 1954, il est décidé de créer un organisme central pour rattraper le retard en matière de logement, lié aux destructions intervenues pendant la Seconde Guerre mondiale ou l’absence de rénovation d’avant-guerre. On construit alors massivement en ne se posant la question que de la quantité, sans s’interroger sur l’application d’un même modèle d’architecture de Lille à Marseille.
Dans les années 1970, il devient évident que le modèle ne fonctionne pas comme attendu : et, toujours du point de vue de Patrick Bouchain, au lieu de faire rentrer ces quartiers dans le droit commun, on n’y a appliqué qu’une politique d’exception, par le biais notamment de création de dispositifs spécifiques.
Aujourd’hui, il est d’avis que la destruction des barres d’immeuble mise en œuvre par les pouvoirs publics détruit autant l’histoire et la culture des habitants que le bien commun, la construction ayant été financée par de l’argent public.

Sur la question de la destruction, Karim Bel Kacem a indiqué avoir changé d’opinion avec le temps. Lui aussi a commencé par se dire qu’il fallait mieux raser le quartier où il a grandi dans le nord d’Amiens, et qui fait l’objet du spectacle 23 rue Couperin. Mais où loger les personnes qui habitaient dans ces immeubles ? Elles risquent de se retrouver encore plus éloignées des centres-villes.

Antoine Nochy a aussi signalé qu’étymologiquement, la banlieue était le lieu du ban. Reprenant une remarque formulée par Patrick Bouchain qui avait insisté sur l’impossibilité de prendre possession de son logement (puisqu’il faut le rendre dans le même état à son départ), il a souligné l’impossibilité de se sentir chez soi lorsqu’on habite un logement social. Le chez-soi devient alors le lieu d’exclusion et de la fragilité, entraînant un phénomène de manipulation territoriale où l’on ne s’approprie jamais vraiment son lieu de vie. Revenant sur le fait qu’il était toujours question de la banlieue comme d’un lieu d’exclusion, il a affirmé que 70 % des Français vivaient en banlieue.

À une personne présente dans la salle qui se posait la question du bien-fondé des destructions en soulignant le caractère délétère de ces grandes barres, Patrick Bouchain a noté que la rue de Rivoli à Paris était elle aussi une barre architecturale. Selon lui, le sentiment de mal vivre n’était donc peut-être pas dû à l’architecture, mais à la façon dont la ville était gérée.
En insistant sur l’importance de s’approprier son lieu de vie, il a cité la possibilité de créer des fermes urbaines ou des fermes sur les toits des immeubles, ou de donner le budget nécessaire à la destruction d’un logement (environ 35 000 euros) à ses habitants pour le rénover plutôt que de le détruire.
Évoquant la question économique, trouvant ainsi un écho aux propos d’Antoine Nouchy qui estimait que les habitants des banlieues étaient utilisés de manière informelle dans l’économie, Patrick Bouchain est aussi revenu sur l’impossibilité de domicilier le siège social d’une entreprise dans un logement social.

Lorsqu’une autre personne de l’assistance a interrogé les trois intervenants sur leurs propositions de solution, Karim Bel Kacem a insisté sur la vie sociale dans ces quartiers. Donnant l’exemple d’un musicien du spectacle 23 rue Couperin, « qui vit à Berlin dans un grand bâtiment encore plus dégueulasse que le mien », mais qui, lorsqu’il descend de chez lui, a davantage à sa disposition qu’un kebab et une boulangerie, Karim Bel Kacem a invité à réfléchir à construire des endroits où créer du lien social -tout en reconnaissant la complexité du projet.

Lorsqu’il a été soulevé dans la salle que certaines banlieues pouvaient être plus bourgeoises que les centres-villes où la paupérisation existait également, le caractère central de l’architecture a été interrogé par Patrick Bouchain : le problème est-il l’architecture, ou plutôt l’impossibilité de se créer une identité dans une vie où l’on ne se reconnaît pas ?

Une personne ayant ensuite fait le parallèle entre la gestion résidentielle des banlieues et le processus de domestication, Antoine Nouchy a émis la crainte que l’animalité en nous s’éteigne, en remarquant : « mais qu’est-ce qu’on se fait chier dans cette société à être toujours occupés à des choses qui ne servent à rien… ».

Il fut ensuite rapidement question de l’héritage de la colonisation et des discriminations, mais aussi de la nécessité de laisser la parole aux habitants, avant de conclure sur la notion de culture légitime : si les banlieues sont souvent perçues comme des lieux où la culture est absente, c’est sans doute aussi parce que l’institution leur résiste.

Pour continuer la réflexion sur ces sujets, n’hésitez pas à aller voir 23 rue Couperin, un spectacle théâtral et musical qui se jouera à l’Athénée du 15 au 19 mai.
 
Clémence Hérout

Entretien

Il s'agit radicalement d'une femme

Posté le : 10 avr. 2018 05:55 | Posté par : Clémence Hérout
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L’opéra La Conférence des oiseaux se joue jusqu’à demain à l’Athénée. Deuxième partie de notre entretien avec son compositeur Michael Levinas.


« – Est-ce que vous vous reconnaissez dans l’appellation musique spectrale, à laquelle vous êtes généralement associé ?

– Historiquement, je peux m’y reconnaître en partie. Mais La Conférence des oiseaux est une œuvre théâtrale, où la relation avec le texte, la forme narrative ou la structure linguistique des phrases ne pouvaient correspondre au champ spectral de la première génération.
En ce sens, cette œuvre lyrique constituait un tournant et une évolution fondatrice dans mon travail. Elle précédait la composition de mes opéras et œuvres dramaturgiques certes rendues possibles par mon approche du timbre, mais ne pouvant rentrer dans une démarche strictement spectrale.


– Comment avez-vous sculpté l’espace dans La Conférence des oiseaux ?

– La salle change de caractéristiques acoustiques suivant la trajectoire de la dramaturgie et sa forme musicale : il existe bien sûr une relation frontale, même si le narrateur ne se situe pas dans l’espace scénique. Par un travail électroacoustique, le lieu change cependant de structure acoustique architecturale.
Il peut ainsi devenir un immense hall pour un meeting politique où le personnage de la huppe harangue tous les oiseaux, un jardin merveilleux traversé par des bruits d’eaux offrant une vision onirique d’un espace de dialogue, une immense vallée de traversée du désert, un espace où il faut franchir des obstacles et où le théâtre sort de ses gonds en quelque sorte… Le lieu se métamorphose, les oiseaux envahissent la salle et s’en vont au fond de l’espace.


 
(c) Pascal Chantier
 
 
– Si La Conférence des oiseaux a été composée en 1985, le personnage de la huppe résonne avec l’actualité…

Comme je l’ai expliqué, la théâtralité de La Conférence des oiseaux est née notamment de ce lien entre les structures des scènes, l’apport du cinéma et le monde radiophonique. Par-delà l’espace théâtral qui est une transmutation du réel, cela va jusqu’à l’utopie des lieux et le mystère mystique : le grand thème de ce vieux texte persan d’Attar où une huppe réunit tous les oiseaux du monde et leur demande de la suivre pour aller à la recherche du Symorg !

Le message de La Conférence des oiseaux pourrait avoir pour nous aujourd’hui une résonance très différente que la réception des années 80. Je pense à la question du féminin et l’aspiration complexe au sacré. Le personnage de la huppe est paradoxal et radicalement moderne dans son identité féminine : il s’agit d’une féminité non inféodée au masculin. La femme représente ici l’essence du courage, la capacité de sacrifice, la radicalité et la vérité. Elle se refuse à tout compromis au nom de cette exigence. “Je vous ai trompés, car j’ai moi-même été victime d’une illusion” : il faut être doué d’un courage majestueux pour reconnaître cette vérité ultime. Le mot “huppe” est féminin en français : sa féminisation a été pour moi essentielle dès le départ, contrairement au spectacle monté par Peter Brook à partir du texte, où la huppe pouvait aussi bien être un homme ou une femme. Pour moi, il s’agit radicalement d’une femme : la grammaire française m’a amené à cette conception du personnage et du livret.

La Conférence des oiseaux évoque enfin la question de l’effort de transcendance et le risque de déviation radicale et sacrificielle. Il me semble que La Conférence des oiseaux nous parle de certaines problématiques et interrogations de notre monde contemporain. Le théâtre a souvent été le lieu de cette réflexion. »


Il vous reste deux représentations pour découvrir cet opéra dirigé par Pierre Roullier et mis en scène par Lilo Baur : ce soir et demain !
 
Bonne semaine.
 
Clémence Hérout

Coulisses

En direct de la scène de l'Athénée

Posté le : 06 avr. 2018 19:50 | Posté par : Clémence Hérout
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Alors que l'opéra La Conférence des oiseaux commence dans moins de cinq minutes à l'Athénée, découvrez ce qui se passait sur scène il y a seulement une demi-heure : les artistes et les techniciens y menaient une toute dernière répétition, dont des extraits ont été retransmis en direct sur nos pages Facebook et Twitter. C'est par ici pour le différé ! 



Lien direct de la vidéo : https://youtu.be/KXa_2nmvlro


La Conférence des oiseaux, un opéra de Michael Levinas d'après un conte persan de Farid Al-Din Attar, dirigé par Pierre Roullier et mis en scène par Lilo Baur, se joue à l'Athénée jusqu'à mercredi. Bon week-end !

Clémence Hérout

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