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Entretien

Il s'agit radicalement d'une femme

Posté le : 10 avr. 2018 05:55 | Posté par : Clémence Hérout
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L’opéra La Conférence des oiseaux se joue jusqu’à demain à l’Athénée. Deuxième partie de notre entretien avec son compositeur Michael Levinas.


« – Est-ce que vous vous reconnaissez dans l’appellation musique spectrale, à laquelle vous êtes généralement associé ?

– Historiquement, je peux m’y reconnaître en partie. Mais La Conférence des oiseaux est une œuvre théâtrale, où la relation avec le texte, la forme narrative ou la structure linguistique des phrases ne pouvaient correspondre au champ spectral de la première génération.
En ce sens, cette œuvre lyrique constituait un tournant et une évolution fondatrice dans mon travail. Elle précédait la composition de mes opéras et œuvres dramaturgiques certes rendues possibles par mon approche du timbre, mais ne pouvant rentrer dans une démarche strictement spectrale.


– Comment avez-vous sculpté l’espace dans La Conférence des oiseaux ?

– La salle change de caractéristiques acoustiques suivant la trajectoire de la dramaturgie et sa forme musicale : il existe bien sûr une relation frontale, même si le narrateur ne se situe pas dans l’espace scénique. Par un travail électroacoustique, le lieu change cependant de structure acoustique architecturale.
Il peut ainsi devenir un immense hall pour un meeting politique où le personnage de la huppe harangue tous les oiseaux, un jardin merveilleux traversé par des bruits d’eaux offrant une vision onirique d’un espace de dialogue, une immense vallée de traversée du désert, un espace où il faut franchir des obstacles et où le théâtre sort de ses gonds en quelque sorte… Le lieu se métamorphose, les oiseaux envahissent la salle et s’en vont au fond de l’espace.


 
(c) Pascal Chantier
 
 
– Si La Conférence des oiseaux a été composée en 1985, le personnage de la huppe résonne avec l’actualité…

Comme je l’ai expliqué, la théâtralité de La Conférence des oiseaux est née notamment de ce lien entre les structures des scènes, l’apport du cinéma et le monde radiophonique. Par-delà l’espace théâtral qui est une transmutation du réel, cela va jusqu’à l’utopie des lieux et le mystère mystique : le grand thème de ce vieux texte persan d’Attar où une huppe réunit tous les oiseaux du monde et leur demande de la suivre pour aller à la recherche du Symorg !

Le message de La Conférence des oiseaux pourrait avoir pour nous aujourd’hui une résonance très différente que la réception des années 80. Je pense à la question du féminin et l’aspiration complexe au sacré. Le personnage de la huppe est paradoxal et radicalement moderne dans son identité féminine : il s’agit d’une féminité non inféodée au masculin. La femme représente ici l’essence du courage, la capacité de sacrifice, la radicalité et la vérité. Elle se refuse à tout compromis au nom de cette exigence. “Je vous ai trompés, car j’ai moi-même été victime d’une illusion” : il faut être doué d’un courage majestueux pour reconnaître cette vérité ultime. Le mot “huppe” est féminin en français : sa féminisation a été pour moi essentielle dès le départ, contrairement au spectacle monté par Peter Brook à partir du texte, où la huppe pouvait aussi bien être un homme ou une femme. Pour moi, il s’agit radicalement d’une femme : la grammaire française m’a amené à cette conception du personnage et du livret.

La Conférence des oiseaux évoque enfin la question de l’effort de transcendance et le risque de déviation radicale et sacrificielle. Il me semble que La Conférence des oiseaux nous parle de certaines problématiques et interrogations de notre monde contemporain. Le théâtre a souvent été le lieu de cette réflexion. »


Il vous reste deux représentations pour découvrir cet opéra dirigé par Pierre Roullier et mis en scène par Lilo Baur : ce soir et demain !
 
Bonne semaine.
 
Clémence Hérout