Oncle Vania se termine par une longue réplique où Sonia, interprétée par Estelle Clément-Bealem, évoque la paix de l'âme après la mort :
« Nous allons vivre, oncle Vania, toi et moi. Nous allons vivre une longue, longue, série de jours, et de longues soirées ; nous allons supporter patiemment les épreuves que le destin nous enverra ; nous allons travailler pour les autres, maintenant et plus tard, quand nous serons vieux, sans connaître de repos, et, quand notre heure sera venue, nous mourrons docilement et, là-bas, de l'autre côté du tombeau, nous dirons combien nous avons souffert, combien nous avons pleuré, combien nous avons eu la vie amère, et Dieu aura pitié de nous, et toi et moi, mon oncle, mon oncle bien-aimé, nous verrons une vie lumineuse, splendide, pleine de grâce, et nous nous réjouirons, et, en nous retournant sur nos malheurs de maintenant, nous aurons un sourire de compassion —et nous nous reposerons. Je crois, mon oncle, je crois avec ardeur, passionnément… Nous nous reposerons ! Nous nous reposerons ! Nous entendrons les anges, nous verrons tout le ciel constellé de diamants, et nous verrons le mal terrestre, toutes nos souffrances se noyer dans la charité qui remplira le monde entier, et notre vie deviendra douce, tendre, légère, comme une caresse. Je crois, je crois… Mon pauvre, mon pauvre oncle Vania, tu pleures… Tu n'as pas eu de joie dans ta vie, mais, attends un petit peu, oncle Vania, attends… Nous nous reposerons… Nous nous reposerons ! Nous nous reposerons ! »
La semaine dernière, je vous parlais du genre musical du Lied à propos du concert qui a eu lieu samedi à l'Athénée. Il se trouve que nous pouvons en reparler aujourd'hui à propos de Rachmaninov qui a composé un Lied sur une partie de cette réplique.
Né en 1873 en Russie et mort en 1943 aux États-Unis où il a émigré après la révolution russe de 1917, Rachmaninov est surtout resté célèbre pour ses œuvres pour piano. Influencé par Tchaïkovski et appartenant au post-romantisme, il a aussi laissé des cycles de Lieder où l'exigence littéraire dans ses choix de textes et la finesse des sentiments laissent transparaître des thèmes récurrents comme la recherche de la sérénité, un certain pessimisme quant à son époque et la joie de la contemplation de la nature.
En 1906, il a écrit un cycle de quinze romances pour piano et voix (opus 26) où l'on trouve des auteurs russes variés comme Tolstoï, Tchekhov, Tioutchev ou Merejkovski.
La troisième romance de ce cycle (op.26 n°3), My otdokhniom, est une mise en musique profonde, émouvante et spirituelle d'extraits de cette dernière réplique d'Oncle Vania.
Voici, du russe traduit en français, l'extrait choisi par Rachmaninov :
« Nous nous reposerons ! Nous entendrons les anges, nous verrons tout le ciel constellé de diamants, et nous verrons le mal terrestre, toutes nos souffrances se noyer dans la charité qui remplira le monde entier, et notre vie deviendra douce, tendre, légère, comme une caresse. Je crois, je crois… Nous nous reposerons ! Nous nous reposerons ! »
Vous pouvez écouter cette romance interprétée par le baryton finlandais Kalevi Olli en cliquant ici. Elle dure moins de trois minutes.
Vous pouvez voir Oncle Vania de Tchekhov mis en scène par Serge Lipzsyc avec Robin Renucci à l'Athénée jusqu'à samedi.