C'est ce soir que commence la semaine dédiée à Olivier Messiaen à l'Athénée avec le Programme Jeune France. Demain soir, après l'émission en direct sur France Musique, des élèves de conservatoires parisiens donneront un concert gratuit de musique de chambre composée par Messiaen.
Rozenn Le Trionnaire a 23 ans, est élève au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris (ex CNR) tout en préparant une licence de musicologie à la Sorbonne, et est clarinettiste dans l'ensemble Aréthuse qui joue demain soir le Quatuor pour la fin du temps.
"_ Pourquoi cumuler deux formations? La licence que tu prépares à l'université, c'est une sécurité?
_ Non, la sécurité c'est pour au cas où tu ne parviens pas à faire ce que tu veux, et je compte bien arriver à ce que je veux faire! La fac est complémentaire du Conservatoire en me permettant d'écouter de la musique, de faire de l'histoire de la musique de l'an 900 à aujourd'hui ou de l'analyse d'œuvres, ce que tu n'as pas le temps de faire en cours d'instrument. Je ne le vois pas du tout comme un filet de sécurité mais bien comme une ouverture supplémentaire.
_ Aviez-vous déjà joué le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen?
_ Le quatuor Aréthuse s'est formé spécifiquement pour travailler cette œuvre, sur invitation de l'un de nos professeurs. Nous l'avons déjà joué deux fois, au Conservatoire et lors d'un festival. Et commencer à travailler ensemble sur ce quatuor, c'était un peu difficile…
_ Parce que le Quatuor pour la fin du temps est particulièrement dur à jouer?
_ Oui, c'est une œuvre complexe qui demande énormément de travail : les phrases musicales sont extrêmement longues et le langage de Messiaen est vraiment particulier. Rien ne ressemble à du Messiaen, c'est une écriture inédite qui n'est même pas typique à une époque. Jouer ce quatuor demande beaucoup de recherche et de travail, et la satisfaction arrive après beaucoup de temps : on ne peut pas filer l'œuvre entièrement et ensuite la travailler dans le détail, on est obligé de travailler petit à petit… Au final, on a mis six mois avant de pouvoir jouer l'œuvre en entier! Rien ne vient tout seul, c'est comme décrypter un parchemin.
En plus, les indications sont très figurées : Messiaen est très attaché au visuel et emploie des mots qui relèvent plus de la peinture que de la musique. Donc tu oublies les indications telles que "Allegro" ou "chanté" pour essayer de comprendre "granitique", "en poudroiement harmonieux", "comme un oiseau", "bronzé", "cuivré", "ensoleillé", "impalpable"… Il faut s'approprier cette œuvre, tenter de comprendre ce qu'il veut dire et le faire bien : cela demande beaucoup de travail et de réflexion pour être "un oiseau" ou jouer de manière "granitique", et en plus tu n'es même pas sûr de toucher à la vérité.
_ Les œuvres de Messiaen sont donc difficiles à appréhender pour un musicien, le sont-elles autant pour les auditeurs?
_ Non, je ne pense vraiment pas. Je crois que tout le monde peut être touché par la musique de Messiaen, et quel que soit le milieu d'où tu viens. Par exemple, mes parents n'écoutent pas du tout de musique classique et encore moins de la musique contemporaine : ils ont été très émus par ce qu'ils ont entendu, et je ne pense pas que c'était parce que j'étais sur scène… C'est vraiment une œuvre touchante. Et concernant le travail fourni par les musiciens dont je te parlais, il est important qu'il ne se voie pas. C'est une grande difficulté, d'interpréter une œuvre en se détachant des répétitions pour faire oublier au public tout le travail dur et parfois ingrat qu'il y a derrière. Au moment du concert, il faut saisir l'instant et donner quelque chose, oublier les automatismes et ne pas jouer ce que l'on a tout bien préparé… Sinon il ne se passe rien.
_ Est-ce qu'interpréter de la musique de chambre te plaît particulièrement?
_ Je n'ai pas de préférence, j'aime autant jouer en orchestre qu'en soliste ou en petite formation. Chaque expérience apporte des choses différentes et j'ai besoin de tout cela.
_ La formation quatuor est-elle aussi fusionnelle qu'on le dit souvent, en particulier pour le quatuor à cordes?
_ Nous sommes une formation assez spéciale qu'on appelle formation hétérogène par opposition au quatuor à cordes qui est une formation homogène: nous sommes composés d'un violon, Dorothée Royez, d'un violoncelle, Christophe Davezac, d'un piano, Nicolas Royez, et d'une clarinette, à savoir moi.
Mais c'est vrai que contrairement à l'orchestre où les musiciens sont exécutants pendant que le chef est aux commandes, dans le cas de la musique de chambre il faut savoir élaborer une démarche à quatre. C'est effectivement un rapport un peu fusionnel où il faut aller vers une complicité musicale sans pour autant éviter de se dire des choses difficiles. Nous avons encore évidemment beaucoup de chemin à parcourir, car nous nous sommes rencontrés en janvier seulement, et il y a toujours quelques disputes...
_ D'ailleurs, d'où vous vient votre nom, Aréthuse?
_ C'est Nicolas, notre pianiste, qui nous l'a proposé. Aréthuse, c'est une nymphe de la mythologie grecque qui a donné son nom à deux fontaines dont la plus connue est près de Syracuse. Il y a plusieurs légendes propres à Aréthuse, mais Ovide raconte dans Les Métamorphoses que le dieu-fleuve Alphée s'était épris d'elle ; Artémis la transforma en source, permettant aux eaux d'Alphée et d'Aréthuse de se mêler pour rejaillir à la fontaine d'Ortygie, près de Syracuse. On aimait bien l'idée de courants différents qui finissent par couler ensemble.
_ C'est effectivement très représentatif de ce à quoi peuvent tendre des musiciens, surtout en musique de chambre! Dernière question : es-tu déjà allée à l'Athénée?
_ Non, mais on m'en a beaucoup parlé, il paraît que c'est un théâtre à l'italienne superbe avec plein de petits couloirs et des loges pas aux normes… C'est ça?
_ Les loges sont aux normes mais dans l'esprit, oui, c'est ça. Comment imagines-tu l'acoustique?
_ J'ai vraiment besoin d'utiliser la résonance de la salle, alors j'espère que ce n'est pas bourré de lourds velours rouges qui étouffent le son : sinon je risque de me sentir un peu seule sur scène même s'il paraît que côté public, l'acoustique est très bien."
Nous laisserons Rozenn et ses camarades vérifier que l'acoustique de l'Athénée est effectivement bonne (moi, je le sais déjà). De votre côté, n'oubliez pas de profiter des concerts Messiaen qui auront lieu quotidiennement jusqu'à dimanche!
Bon mardi.