Écrits de spectateur (7)
Catégorie : Didon et Énée
Je vous ai déjà parlé de Camille, l'auteur du précédent écrit de spectateur ; Camille travaille au théâtre de La Coursive (La Rochelle), qui a deux spectacles en commun avec l'Athénée cette saison : Phi-Phi et Didon et Énée.
À l'occasion de Phi-Phi, Camille m'avait fait parvenir les photos qu'il avait prises des répétitions. Pour Didon et Énée, il nous livre cette fois le portrait qu'il a fait d'Isabelle Druet, l'interprète du rôle de Didon, rencontrée chez elle en février :
« Un lundi ensoleillé de février et Besançon prend des allures printanières. Bien caché au fond d’une longue cour dont cette ville a le secret, se niche l’appartement d’Isabelle Druet. Son foyer, son oasis pour un premier jour de vacances bien méritées après de longs mois de travail. Enfin, vacances… C’était sans compter sur l’appétit vorace du magazine de La Coursive, l’empêcheur de buller en rond, trop curieux d’en savoir plus sur la valeur montante de l’opéra français.
L’accueil est chaleureux, le café délicieux et un grand gaillard de presque deux ans demande expressément un câlin au nouvel arrivant, qui s’exécute bien volontiers de peur de froisser son jeune hôte. Le chat vient se lover sur les genoux. La discussion peut commencer. On imagine souvent qu’une chanteuse d’opéra, a fortiori multi-primée et au tonitruant début de carrière, est forcément une diva. Raté. Isabelle Druet est une nature, vous accueille à la maison en ami et vous rassure : elle aime les interviews. Ça tombe bien.
Pour Isabelle, l’année 2011 commence comme un marathon avec deux grands rôles, Carmen à Nancy et Didon en tournée. Un rêve pour une chanteuse lyrique, et un sacré boulot : Carmen, c’est trois heures de présence scénique, des jours entiers de répétitions et des cours intensifs de flamenco.
Joli contraste avec la fulgurance de Didon et Enée, une heure à peine mais au moins tout aussi intense à chanter. "Je suis comblée, dit Isabelle en souriant, d’autant plus que l’Enchanteresse, la rivale machiavélique, a été mon premier rôle sur scène. C’est tellement fort de pouvoir interpréter Didon maintenant."
Didon et son amour impossible, contrarié par les Dieux. De son personnage, elle en parle comme d’une amie mélancolique. "Didon possède plusieurs facettes, elle se refuse à l’amour, ne veut surtout pas s’y abandonner. C’est une femme torturée dès le départ, elle pleure même sur son premier air. Je pense qu’il faut lui donner des bouffées d’oxygène, de brefs moments où elle lâche prise vers le bonheur."
À mille lieux du caractère de son interprète, Didon se laissera mourir de voir partir son Enée dans un déchirant Remember me, "un des bijoux de l’opéra" pour Isabelle. "Je ne l’avais jamais chanté sur scène. Cet air est d’une puissance… C’est un plaisir immense à interpréter mais qui se double d’une certaine appréhension : il arrive à la toute fin et est très attendu, doit être d’une extrême justesse vocale tout en marquant bien l’abandon, la vie qui quitte Didon, la mort qui s’immisce lentement. C’est drôle parce que c’est ce que je me demandais en débutant ma carrière: comment être crédible en mourant pendant dix minutes ?"
C’est là qu’une des grandes forces d’Isabelle Druet apparaît dans toute sa splendeur. Sa théâtralité. Loué par la critique depuis qu’elle s’est fait connaître, son jeu de comédienne est d’une intensité et d’une justesse incroyables. Il faut dire que l’amour du théâtre jalonne son parcours pour le moins atypique.
Embarquée après le bac dans une formation théâtrale, Isabelle Druet crée alors sa propre compagnie —La Carotte, qui existe encore et dont s’occupe aujourd’hui son compagnon— et devient comédienne. Théâtre d’objets, de mouvement, clown et même des opéras de rue dont un mémorable "thriller musical" joué pendant quatre ans au gré des festivals.
Évidemment, le besoin de chanter, impérieux, ancré en elle depuis toute petite, n’est jamais loin : "Je n’ai jamais fait un spectacle où je ne chantais pas ! Avoir pratiqué le théâtre m’aide évidemment beaucoup aujourd’hui mais le fait de m’être essayée à d’autres genres de musiques également". Tiens ? "J’ai joué dans un groupe de reggae pendant un an, lâche-t-elle sous la contrainte. On tournait à Besançon, dans les bars. Je chantais en anglais mais nous avions quelques compos en français, dont l’adaptation de textes de Queneau. Je me suis aussi intéressée aux musiques traditionnelles… Et puis je suis partie à Paris, au CNSM".
Le Conservatoire devient alors sa deuxième maison. Elle y apprend énormément, y passe une Maîtrise ayant pour sujet "la construction du personnage dans l’opéra", rencontre le chant lyrique et y trouve sa voie (voix ?). Puis c’est l’explosion. Elle sort en 2007 avec les félicitations unanimes du jury et enchaîne très vite rôles et prix : Révélation classique lyrique de l’Adami et 2e prix au prestigieux Concours international de la Reine Elisabeth de Belgique, avant d’obtenir en 2010 la Révélation Classique Lyrique des Victoires de la Musique. Plateau télé en direct, "le gros truc. C’était génial, un moment très particulier. Il faut se prêter au jeu mais en même temps, quel plaisir !" D’autant que la reconnaissance vient à la fois du sérail, qui choisit les trois finalistes, et du public, qui vote pour trancher.
Entre temps, elle a enregistré deux disques et récolté quelques Chocs, Diapasons et F au passage, elle a joué avec les Philharmonies de Berlin, du Luxembourg, les Orchestres Nationaux de Belgique ou du Pays de Galles, elle s’est produite à Tokyo, au Palazetto de Venise, à l’Opéra de Bilbao (esthétiquement son préféré), au Châtelet, au Théâtre des Champs-Elysées…
Sur scène, à l’opéra ou en récital, elle joue au propre comme au figuré, prend le plaisir où il est et n’a certainement pas fini d’en donner. "Il faut raconter une histoire, la défendre, la vivre et la faire vivre. J’ai la chance d’avoir expérimenté beaucoup, poussé loin le jeu. L’image du chanteur d’opéra statique, quand il fallait fermer les yeux pour pouvoir apprécier au mieux la voix, a changé depuis vingt ans. On cherche aujourd’hui à explorer, à offrir un réel investissement scénique, sans s’économiser, chacun avec ses propres armes". Et son arc vocal possède beaucoup de cordes.
Une liberté studieuse qui l’amène même à jouer au mythique Carnegie Hall de New York sous la direction du maître William Christie. Avec Didon et Énée, elle passera par La Rochelle mais aussi au Théâtre de l’Athénée à Paris et à l’Opéra Royal de Versailles, où elle s’est déjà produite. En 2012, elle fera également ses débuts à l’Opéra de Paris dans Salomé de Strauss. Tout un programme.
Isabelle Druet continue de se construire "en lisant beaucoup de théâtre notamment. Je ne suis pas une bibliothèque ambulante mais j’ai besoin de me nourrir d’une palette très large." Elle se passionne ainsi pour les sciences sociales, écoute beaucoup de musique, des voix bien sûr mais finalement assez peu d’opéra, adore Bob Marley ou le son hybride du DJ Chinese man.
Et lorsqu’on lui demande avec qui elle aimerait travailler, pas de surprise, elle pioche dans des metteurs en scène de théâtre : Laurent Pelly, Patrice Chéreau ou Peter Brook —adolescente, son ouvrage L’Espace vide l’a marquée profondément— mais aussi Joël Pommerat ou Wajdi Mouawad, dont elle a lu toutes les pièces. Au panthéon des ses auteurs, un nom surgit avec force : "Claudel, sans hésitation. J’adorerais pouvoir chanter Ysée en fait !"
Isabelle Druet aime ce qu’elle fait et ne se refuse rien. Elle me quitte comme elle m’avait accueilli, avec un grand sourire, et file rejoindre son petit sur les quais du Doubs pour profiter, enfin, de sa première journée de vacances.»
Camille Lagrange
Pour découvrir Isabelle Druet entourée d'Agathe Boudet, Arnaud Guillou, Sarah Jouffroy, Fiona Mc Gown, Edwige Parat, Camille Poul, François Rougier, Antoine Strub, le chœur Aedes et l'ensemble Les Nouveaux Caractères, c'est à l'Athénée à partir de jeudi !
Didon et Énée de Purcell est mis en scène par Bernard Lévy et dirigé par Sébastien d'Hérin.
Bon mardi !
PS : Les précédents écrits de spectateurs/trices sont ici, ici, ici, ici, ici ou là.