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Entretien

Les règles de l'interview dans l'Athénée moderne - Entretien avec F.Berreur

Posté le : 10 déc. 2009 09:58 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison

François Berreur est le metteur en scène des Règles du savoir-vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce, à l’Athénée jusqu’à samedi.
Discussion au bar de l’Athénée le soir de la première:



 «_ De quoi parlent Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne, à part des règles du savoir-vivre dans la société moderne?

_ De l’histoire d’une femme, de la difficulté d’aimer, du désir d’aimer, de l’absence d’amour, des contradictions de l’organisation de la société, de la façon dont celle-ci se met en place pour que la mort et la vie ne fassent plus peur, des conventions…

_ Jean-Luc Lagarce avait lui-même monté son texte, déjà à l’Athénée et déjà avec Mireille Herbstmeyer. Y a-t-il un lien entre vos deux mises en scène, une histoire de filiation?
_ Nos deux spectacles n’ont rien à voir alors qu’il s’agit du même auteur et de la même actrice: c’est à mon sens la preuve qu’il s’agit d’un grand texte… J’aurais bien aimé pouvoir en discuter avec Jean-Luc Lagarce, car nous avons fait des choix très différents. Pour ma part, j’ai voulu donner à ce spectacle des aspects de conférence, une mise en espace qui paraît très basique et qui joue sur les codes de la représentation ainsi que sur l’imagination.

_ Peux-tu nous en dire davantage sur ton sol à reflets (aperçu hier sur le blog)?
_ Je l’ai justement choisi parce que ce spectacle questionne la notion du code et de l’image. Le texte évoque des règles de savoir-vivre destinées à créer l’image de soi que l’on donne à voir aux autres, et la mise en scène utilise pleinement les conventions théâtrales comme le rideau rouge ou le jeu avec le public. Ce qui est au centre, c’est l’image que l’on projette de soi, la façon dont les autres nous perçoivent et la manière d’organiser une société.

_ Pourquoi jouer sur les décalages et les ruptures de ton ?
_ Parce qu’on entre dans un rêve qui devient réalité! Le personnage lance des choses extérieures qu’il finit par intérioriser, mais le rêve se casse : inventer des règles de savoir-vivre consiste tout de même à vouloir adapter l’impossible, comme une sorte de jurisprudence irréalisable… Et c’est à ce moment-là que rêve comme représentation théâtrale sont désacralisés.
Il y a également des changements de ton et une grande ironie dans le fait que ce personnage, tout en parlant mariage et enfants, reste fondamentalement seule. Au-delà de la dimension comique du texte, il s’agit d’une véritable expérience de vie pour cette femme qui n’est pas la même personne au début et à la fin du spectacle.

_ L’Athénée a souvent accueilli des monologues d’acteur avec Philippe Caubère ou Fabrice Luchini par le passé et Guillaume Gallienne en janvier et février prochains. Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne, est-ce un monologue d’actrice?
_ Non, car le texte est une vraie pièce, certes avec une seule actrice, mais c’est avant tout une pièce de théâtre.
Églantine Desmoulins, attachée aux relations publiques à l’Athénée, qui passait par là: _ Tout de même, c’est une grande performance de la part de Mireille Herbstmeyer!
Marie-Noëlle Bourcart, régisseure générale à l’Athénée, parce que décidément, c’est fou le nombre de gens qui passent par là en ce moment: _ Oui, mais il y a un vrai texte préexistant, l’auteur est très présent et raconte beaucoup de choses...
François Berreur: _ Exactement!

_ Pourquoi le personnage des Règles du savoir-vivre dans la société moderne est-il une femme et non un homme?

_ Effectivement, si c’était un homme, cela ne serait pas la même chose au niveau dramaturgique. Il s’agit d’une femme abandonnée par les hommes qui parle aussi indirectement de la société machiste dans laquelle nous vivons…»

Pour admirer la performance de Mireille Herbstmeyer (et le texte de Jean-Luc Lagarce, et la mise en scène de François Berreur), c’est à l’Athénée ce soir, demain soir, samedi après-midi et samedi soir!

Bon jeudi à tous.

Entretien

La carrière d'un libertin - interview!

Posté le : 24 nov. 2009 09:28 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison

Antoine Gindt est le metteur en scène de The Rake’s Progress, opéra de Stravinsky dont la première est ce soir à l’Athénée.

«_ On a souvent dit que Stravinsky avait multiplié les emprunts dans son opéra The Rake’s Progress: hommage, parodie ou plagiat?
_ Je ne sais pas si l’on peut véritablement parler d’emprunts: disons plutôt qu’il a choisi de composer un opéra à numéros, c’est-à-dire avec une succession de situations musicales très caractérisées sur le modèle lyrique du 18e siècle, mais qu’il n’y a pas d’emprunts au sens de la citation.
On l’a beaucoup accusé d’avoir puisé ailleurs, mais The Rake’s Progress n’est que de la main de Stravinsky -c’est d’ailleurs tout l’intérêt de cet opéra: d’une situation contraignante, il compose un opéra comme un musicien du 18e siècle en utilisant les codes de l’époque (The Rake’s Progress comprend des arias, des récitatifs, des trios, des quatuors…) tout en conservant son écriture et crée une esthétique inédite qui n’aurait jamais pu exister au 18e siècle. Il s’agit d’une manière de revisiter le genre de l’opéra classique sans pour autant revenir en arrière.
J’ai une grande affection pour cet opéra car, malgré toutes les contraintes qui ont présidé à sa composition, on y reconnaît l’écriture de Stravinsky qui a accompli la prouesse de maintenir sa personnalité: alors que, lorsqu’on parle de pastiche ou d’emprunts, on a l’impression que l’on va entendre des citations d’autres œuvres telles quelles. Beaucoup ont voulu comparer The Rake’s Progress au Cosi Fan Tutte de Mozart, mais il est impossible de reconnaître formellement dans The Rake’s Progress un air, une mélodie, un emprunt comme chez Mahler ou Berio qui, dans leurs œuvres, ont une utilisation claire et affirmée de la citation. Ici, Stravinsky se soumet à des contraintes très dures et emprunte à des techniques et styles repérables qu’il choisit finalement de brouiller.
Après la révolution musicale du Sacre du Printemps que tout le monde connaît de près ou de loin, Stravinsky s’oriente vers d’autres styles. Et autant le néoclassicisme d’autres œuvres de Stravinsky comme Œdipus Rex, Perséphone ou Apollon Musagète me semble souvent assez fastidieux, autant The Rake’s Progress trouve une liberté incroyable. Les amateurs d’opéras n’apprécient pas toujours cette œuvre, comme si cette forme était de toutes façons perdue. Stravinsky n’a pas eu l’idée de faire de la musique “à la manière de”, ou en tout cas cela ne peut pas se réduire à cela : c’est d’ailleurs la richesse et la force incroyable de The Rake’s Progress qui ne peut pas se réduire à un pastiche. La motivation de Stravinsky, son inspiration, sa manière de faire qui est celle d’un artiste génial, il faut bien le dire, est un véritable bouleversement.

_ Le personnage principal de The Rake’s Progress, Tom Rakewell, est-il un héros?

_ Non, il s’agit définitivement d’un anti-héros, mais pas à la manière du Wozzeck de Berg par exemple qui, lui, subit l’histoire, alors que Tom Rakewell la raconte. The Rake’s Progress est une fable, ce qui permet des libertés musicales et dramaturgiques: la fable autorise une certaine légèreté et l’adresse directe au public qui créent un code entre le public et le narrateur.
Tom Rakewell est un archétype, un anti-héros dont le parcours le conduit à l’anéantissement; il tente de s’en sortir en formulant des vœux stupides réalisés par Shadow, son double, mais une fois le pacte rompu, Rakewell sombre dans le désespoir. C’est l’histoire de quelqu’un qui, par abandon de lui-même, ne réussit à rien: il souhaite être riche et le devient par artifice, il espère le bonheur et se marie avec une femme horrible…
Les personnages sont eux-mêmes des archétypes et évoluent dans un environnement qui est celui de l’histoire fabuleuse où il n’y a pas véritablement d’ancrage dans la réalité, dans le sens où il ne s’agit pas d’une situation concrète où les personnages seraient dirigés par autre chose que par le conteur Stravinsky. La musique renvoie à des choses profondes, mais elle conserve aussi une forme de légèreté.

_ Dans votre mise en scène de The Rake’s Progress, cette légèreté est-elle importante?
_ Le spectacle me semble en effet bien plus important que tout ce que l’on peut raconter sur Stravinsky. Il est essentiel pour moi de mettre l’accent sur cette légèreté qui permet de ne pas appesantir le propos en respectant le principe dramaturgique de la narration, de prendre de la distance vis-à-vis de la fable et d’éviter d’enfermer les personnages dans quelque chose qui ne correspondrait pas exactement à ce que Stravinsky nous raconte.
Nous avons monté ce spectacle hors de la machine lyrique traditionnelle: il ne s’agit pas d’un opéra de chambre, et il ne se monte pas facilement. C’est pourquoi on en voit souvent des productions dans l’institution lyrique et moins dans des théâtres plus indépendants comme celui de l’Athénée. Je dois enfin préciser que la qualité et la crédibilité des chanteurs étaient des paramètres primordiaux.

_ Pourquoi Stravinsky n’a-t-il pas créé une génération de compositeurs?
_ C’est souvent la marque d’un grand génie -Gustav Malher n’en a pas vraiment eue non plus, par exemple. Stravinsky a révolutionné l’idée de l’orchestre, et de nombreux compositeurs ont saisi cette révolution, mais là où l’on attendait pas: je pense à la musique de film, en particulier, qui a beaucoup été influencée par Stravinsky. Comme Varèse par exemple, Stravinsky a créé une musique tellement singulière que s’en inspirer reviendrait à le copier.
Comme Stravinsky a en outre utilisé, dans une certaine mesure, le langage existant en le transformant, il n’a pas créé une révolution aussi fondatrice que Schönberg: Schönberg est peut-être plus traditionnel que Stravinsky, mais il a créé le dodécaphonisme. Le sérialisme inventé par Schönberg donne de nouvelles clés d’écriture, et la descendance d’un outil se voit plus facilement que celle d’une esthétique. L’influence de Stravinsky est donc plus diffuse, mais je ne pense pas qu’un compositeur puisse être absent de Stravinsky: on ne peut pas cacher l’histoire de la musique et Stravinsky en fait partie peut-être plus que d’autres.»

La première de The Rake’s Progress est ce soir! L’opéra se jouera ensuite pour trois autres représentations jeudi, vendredi et dimanche. Bon mardi!

Entretien

C’est extra - Interview!

Posté le : 23 oct. 2009 08:32 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison

Comédien dans Minetti où il interprète l’extra (celui qui sert le champagne) et l’amoureux, Jérôme Maubert est également l’assistant de Gerold Schumann, le metteur en scène. Entretien dans la loge de l’intéressé avant une représentation:

«_ Quel est, pour toi, le sujet central de Minetti?
_ Minetti traite de l’artiste -du comédien bien sûr, mais aussi de toutes les formes artistiques comme les lettres, la musique... La pièce montre un parcours douloureux d’acteur, la trajectoire d'un homme qui a suivi ses convictions et s’y est tenu, ce qui est un acte courageux au final... Il est au bout de  sa vie... Thomas Bernhard est un visionnaire: ce "portrait de l'artiste en vieil homme" est si juste, si touchant et si réel... Comment a-t-il pu être si proche de la vérité de ce parcours d'acteur au bout de sa vie? Ce texte est incroyable d'humanité.
(Il vérifie son maquillage dans le miroir)

_ Pourquoi êtes-vous tous autant grimés?
_ Nous ne sommes pas grimés, nous sommes “ensorisés”. La création maquillage et les costumes ont consisté à nous styliser afin de nous dessiner des silhouettes à la James Ensor... Minetti déclare d’ailleurs: "cet hôtel est plein de personnages qui rendent obligatoirement fou un homme comme moi...".  Gerold Schumann, le metteur en scène, a fait le choix de ne pas rester dans le réalisme.

_ Et comment as-tu travaillé pour jouer ton personnage de l’extra qui, s’il a peu de texte, est très présent lors de la première partie du spectacle?
_ Il s’agit d’un personnage qui a un métier et qui est ici à son travail: il doit se tenir à sa fonction quoiqu’il se passe. Je ne lui ai pas inventé toute une vie mais ai plutôt travaillé en fonction du jeu de Serge Merlin et de ce qu'il émane du plateau, de l'univers de l'auteur et celui du metteur en scène: en étant assistant à la mise en scène, j’ai travaillé un mois de plus que les autres et ai donc pu voir Serge Merlin construire et entrer au fur et à mesure dans son personnage, le voir s'emparer puis devenir Minetti...J'ai adapté une écoute qui me semblait juste en fonction de sa proposition
Les rôles muets ont des partitions: comme en musique, les silences répondent à quelque chose. J’ai l’impression de converser avec Minetti même dans les silences, et ce uniquement par les regards ou les mouvements. C'est un vrai travail d'acteur: être juste, savoir s’effacer à bon escient et trouver sa place dans cet univers, ses rapports avec les autres. Ce rôle quasi-muet m'a laissé une grande liberté car rien n’est écrit sur ce personnage dans le texte, si ce n’est porter une valise, entrer ou sortir: tout est à créer.

 

Liza Winzelle, habilleuse à l'Athénée, et Jérôme Maubert

_ Pourquoi interprètes-tu l’extra et l’amoureux qui sont deux personnages différents dans le texte de Thomas Bernhard?
_ C’est un choix qu’a fait Gerold Schumann dès le départ: il semblait logique que l’extra, qui est sans doute le personnage qui accorde le plus d’écoute et de considération à Minetti dans la première partie, ait amené ce dernier dans la salle de bar aux côtés de son amoureuse: c’est l’endroit où les gens attendent…
D’ailleurs, ce rôle de l’extra est souvent supprimé ou réduit à sa première réplique: au cours des répétitions, sa présence et son écoute nous ont paru nécessaires, car le personnage Minetti comme l’acteur Serge Merlin ont besoin d’être soutenus... Minetti s’arrêterait de parler si personne ne l’écoutait ni le regardait.

_ Couplé à la sympathie de la jeune fille dans la seconde partie, cette écoute de l’extra à l’égard de Minetti semble indiquer un certain espoir pour la jeunesse...

_ Oui, nous avons pris ce parti: c'est auprès des jeunes que Minetti obtient le plus d'écoute  et d'intérêt; la jeunesse signifierait alors le renouveau, l’apport de quelque chose de neuf...

_ Pourquoi es-tu à la fois assistant et comédien sur Minetti ?
_ J’avais déjà travaillé avec Gerold Schumann sur L’Éveil du printemps de Wedekind où j’interprétais Melchior, et je tenais à participer au projet Minetti: c’est une position privilégiée de voir un acteur aussi talentueux que Serge Merlin en création sur un plateau, je ne voulais rien rater… J'aime les rapports de confiance qui s'établissent en tant qu'assistant avec les acteurs, et là je suis bien servi sur cette distribution. Ils sont tous d'une très grande humanité et de grands artistes.

_ Tu mets des photos du spectacle dans ta loge alors que tu le vois tous les soirs?
_ C’est ma façon de m’immerger dans le spectacle. Regarde, j’ai une tête d’amoureux également: c’est Serge Merlin qui me l’a offerte en m’affirmant que c’était moi… C'est flatteur... (Silence) Je suis désolé, je ne suis pas un grand bavard…»

 


Le petit bavard est sans doute trop dur avec lui-même: pour le voir écouter et se taire aux côtés de l’équipe de Minetti, vous avez encore deux représentations ce soir et demain!

Bon vendredi et bon week-end à tous!

Entretien

Portrait de l'artiste en grand homme - interview!

Posté le : 07 oct. 2009 08:21 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison

Gerold Schumann est le metteur en scène de Minetti de Thomas Bernhard qui commence demain à l’Athénée: conversation téléphonique et dominicale alors que Gerold est à l’Athénée pour les dernières répétitions.


« _Vous disiez qu’il faut être un grand acteur pour interpréter Minetti, et que pour être un grand acteur il faut d’abord d’être un grand homme: pouvez-vous nous en dire davantage?

_Pour affirmer que quelqu’un est un immense acteur comme je peux le dire de Serge Merlin qui interprète Minetti, beaucoup de qualités doivent être réunies au niveau du jeu comme de la personnalité du comédien. Il faut être modeste et chercher le meilleur en soi-même dans l’accomplissement de son travail: tous les grands acteurs savent combien leur art est fragile. Il faut s’approcher du texte et du spectacle avec beaucoup d’énergie et d’humilité: le regard sur soi-même crée la distance qui permet la construction, qui permet de jouer l’intériorité... Mais encore faut-il savoir le faire.
J’ai eu la chance de travailler avec Maria Casarès qui, comme Serge Merlin, était d’une grande attention pour chacun, pour le monde: pour moi, c’est essentiel.

_Que dit Thomas Bernhard de l’art du comédien dans cette pièce?

_Le comédien est un funambule sur une corde sensible. Pour être un grand acteur, “il faut être fou et même faire de la folie sa méthode”. Il faut aller à la limite de soi-même pour la construction du personnage: c’est donc potentiellement dangereux pour le comédien... Minetti est allé au-delà de cette frontière: il ne peut plus jouer que Lear, il est littéralement enfermé dans Shakespeare. Il faut aller à la frontière et, comme le funambule, risquer de tomber.

_ Justement, pourquoi Minetti est-il enfermé dans le Roi Lear et non pas un autre personnage?
_ Le Roi Lear est considéré comme l’Himalaya des personnages de théâtre. Pour moi, il y a cependant plus difficile que le Roi Lear: c’est Minetti. Minetti dit en substance : “les gens pensent que je suis fou, mais moi je sais que ce sont les gens qui sont fous”. On trouve la même réflexion sur la folie dans Shakespeare: tout le monde pense que Lear est fou, quand il ne l’est pas ! En revanche, il est fou lorsqu’il est considéré comme normal.

_ Pour vous, l’artiste est-il marginalisé et si oui, en quoi?

_ Nous sommes dans une société de consommation et de distraction où l’art et les artistes ont peu de place. C’est un combat de tous les jours: combat pour le regard qu’on porte sur nous, combat pour qu’il existe une considération pour toute tentative de processus artistique. Pour moi, l’art tient véritablement du service public: c’est un service que l’on rend au public, c’est l’affaire de chacun.
Les premiers artistes, les peintres préhistoriques qui ont peint sur les parois d’une grotte, ont créé leurs œuvres dans un endroit sacré à l’écart de la reproduction matérielle de la vie. Ils étaient libérés du travail quotidien par les autres qui effectuaient les tâches de la vie pour eux. Par contre, leurs œuvres permettaient à chacun de se construire un imaginaire, de se projeter dans un futur, de s’interroger sur soi-même. L’art ou la tentative de construction artistique sont prises en charge par la société: nous devons nous battre pour ce que cette notion ne disparaisse pas.

_ J’ai l’impression que l’écriture de Bernhard est essentiellement construite sur un jeu entre attraction et répulsion...
_ C’est exactement cela: Bernhard est l’un des plus grands auteurs de langue allemande du 20e siècle, et nous n’avons pas encore tout compris de son œuvre! Ses textes ne s’ouvrent pas au premier regard. Bernhard cherche au plus profond de lui-même ce qui est en lui et essaie de le transmettre: il se décrit ainsi une existence, mais pas dans un mouvement d’humeur. Ce ne sont pas les petites phrases qui interpellent, mais bien la construction qui crée des situations dans lesquelles nous sommes attirés et repoussés au même moment. À la scène nationale L’Apostrophe de Cergy-Pontoise, quatre classes de lycéens ont assisté à une des représentations de Minetti. D’abord, je me suis demandé quelle pourrait être leur relation avec ce texte… Et finalement, eux-mêmes n’ont pas su dire pourquoi ils avaient été happés par le spectacle: c’est précisément le processus artistique que nous essayons de construire.

_ Pourquoi ce sous-titre, “Portrait de l’artiste en vieil homme”?

_ Minetti est un acteur au crépuscule de sa vie. Dans la pièce, nous nous trouvons face à une interrogation sur la position de l’artiste dans notre société et à l’histoire de la fin de la vie de l’artiste dramatique.
Autour de Minetti, d’autres comédiens font vivre cette ambiance de bal masqué qui est aussi un bal mortuaire. Les costumes et décors rappellent les œuvres du peintre James Ensor qui vivait à Ostende où se déroule justement la pièce -Minetti affirme en effet que c’est Ensor qui a réalisé le masque de Lear pour lui.
Si Minetti est un vrai travail conduit par un ensemble de comédiens, il faut vraiment saluer l’intelligence de jeu et la sensibilité de Serge Merlin: avec lui, on entre dans cette histoire d’un voyage d’hiver d’un vieil artiste, et on se lève à la fin comme si on sortait d’un autre monde… Pour moi, Serge Merlin est le plus grand acteur en France.»

 

Minetti de Thomas Bernhard mis en scène par Gerold Schumann avec Serge Merlin, François Clavier, Ève Guerrier, Olivier Mansard, Fabien Marais, Jérôme Maubert, Jessica Perrin, Liliane Rovère et Irina Solano commence demain et dure jusqu'au 24 octobre!

Bon mercredi...

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