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Entretien

Portrait de l'artiste en grand homme - interview!

Posté le : 07 oct. 2009 08:21 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison | Minetti

Gerold Schumann est le metteur en scène de Minetti de Thomas Bernhard qui commence demain à l’Athénée: conversation téléphonique et dominicale alors que Gerold est à l’Athénée pour les dernières répétitions.


« _Vous disiez qu’il faut être un grand acteur pour interpréter Minetti, et que pour être un grand acteur il faut d’abord d’être un grand homme: pouvez-vous nous en dire davantage?

_Pour affirmer que quelqu’un est un immense acteur comme je peux le dire de Serge Merlin qui interprète Minetti, beaucoup de qualités doivent être réunies au niveau du jeu comme de la personnalité du comédien. Il faut être modeste et chercher le meilleur en soi-même dans l’accomplissement de son travail: tous les grands acteurs savent combien leur art est fragile. Il faut s’approcher du texte et du spectacle avec beaucoup d’énergie et d’humilité: le regard sur soi-même crée la distance qui permet la construction, qui permet de jouer l’intériorité... Mais encore faut-il savoir le faire.
J’ai eu la chance de travailler avec Maria Casarès qui, comme Serge Merlin, était d’une grande attention pour chacun, pour le monde: pour moi, c’est essentiel.

_Que dit Thomas Bernhard de l’art du comédien dans cette pièce?

_Le comédien est un funambule sur une corde sensible. Pour être un grand acteur, “il faut être fou et même faire de la folie sa méthode”. Il faut aller à la limite de soi-même pour la construction du personnage: c’est donc potentiellement dangereux pour le comédien... Minetti est allé au-delà de cette frontière: il ne peut plus jouer que Lear, il est littéralement enfermé dans Shakespeare. Il faut aller à la frontière et, comme le funambule, risquer de tomber.

_ Justement, pourquoi Minetti est-il enfermé dans le Roi Lear et non pas un autre personnage?
_ Le Roi Lear est considéré comme l’Himalaya des personnages de théâtre. Pour moi, il y a cependant plus difficile que le Roi Lear: c’est Minetti. Minetti dit en substance : “les gens pensent que je suis fou, mais moi je sais que ce sont les gens qui sont fous”. On trouve la même réflexion sur la folie dans Shakespeare: tout le monde pense que Lear est fou, quand il ne l’est pas ! En revanche, il est fou lorsqu’il est considéré comme normal.

_ Pour vous, l’artiste est-il marginalisé et si oui, en quoi?

_ Nous sommes dans une société de consommation et de distraction où l’art et les artistes ont peu de place. C’est un combat de tous les jours: combat pour le regard qu’on porte sur nous, combat pour qu’il existe une considération pour toute tentative de processus artistique. Pour moi, l’art tient véritablement du service public: c’est un service que l’on rend au public, c’est l’affaire de chacun.
Les premiers artistes, les peintres préhistoriques qui ont peint sur les parois d’une grotte, ont créé leurs œuvres dans un endroit sacré à l’écart de la reproduction matérielle de la vie. Ils étaient libérés du travail quotidien par les autres qui effectuaient les tâches de la vie pour eux. Par contre, leurs œuvres permettaient à chacun de se construire un imaginaire, de se projeter dans un futur, de s’interroger sur soi-même. L’art ou la tentative de construction artistique sont prises en charge par la société: nous devons nous battre pour ce que cette notion ne disparaisse pas.

_ J’ai l’impression que l’écriture de Bernhard est essentiellement construite sur un jeu entre attraction et répulsion...
_ C’est exactement cela: Bernhard est l’un des plus grands auteurs de langue allemande du 20e siècle, et nous n’avons pas encore tout compris de son œuvre! Ses textes ne s’ouvrent pas au premier regard. Bernhard cherche au plus profond de lui-même ce qui est en lui et essaie de le transmettre: il se décrit ainsi une existence, mais pas dans un mouvement d’humeur. Ce ne sont pas les petites phrases qui interpellent, mais bien la construction qui crée des situations dans lesquelles nous sommes attirés et repoussés au même moment. À la scène nationale L’Apostrophe de Cergy-Pontoise, quatre classes de lycéens ont assisté à une des représentations de Minetti. D’abord, je me suis demandé quelle pourrait être leur relation avec ce texte… Et finalement, eux-mêmes n’ont pas su dire pourquoi ils avaient été happés par le spectacle: c’est précisément le processus artistique que nous essayons de construire.

_ Pourquoi ce sous-titre, “Portrait de l’artiste en vieil homme”?

_ Minetti est un acteur au crépuscule de sa vie. Dans la pièce, nous nous trouvons face à une interrogation sur la position de l’artiste dans notre société et à l’histoire de la fin de la vie de l’artiste dramatique.
Autour de Minetti, d’autres comédiens font vivre cette ambiance de bal masqué qui est aussi un bal mortuaire. Les costumes et décors rappellent les œuvres du peintre James Ensor qui vivait à Ostende où se déroule justement la pièce -Minetti affirme en effet que c’est Ensor qui a réalisé le masque de Lear pour lui.
Si Minetti est un vrai travail conduit par un ensemble de comédiens, il faut vraiment saluer l’intelligence de jeu et la sensibilité de Serge Merlin: avec lui, on entre dans cette histoire d’un voyage d’hiver d’un vieil artiste, et on se lève à la fin comme si on sortait d’un autre monde… Pour moi, Serge Merlin est le plus grand acteur en France.»

 

Minetti de Thomas Bernhard mis en scène par Gerold Schumann avec Serge Merlin, François Clavier, Ève Guerrier, Olivier Mansard, Fabien Marais, Jérôme Maubert, Jessica Perrin, Liliane Rovère et Irina Solano commence demain et dure jusqu'au 24 octobre!

Bon mercredi...