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Entretien

Une interprétation de plus

Posté le : 17 févr. 2012 06:49 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Voyage d'hiver

Suite de l'entretien avec Vincent Vantyghem qui, non content d'être chanteur lyrique, a fait une thèse en psychiatrie sur Voyage d'Hiver.

Dans la première partie de la discussion publiée mercredi, Vincent Vantyghem nous expliquait que sa thèse tentait le rapprochement entre la musique de Voyage d'Hiver et certains symptômes observés en psychiatrie.

Il s'est particulièrement concentré sur deux parties du Voyage d'Hiver, La Girouette et Sur le fleuve. Aujourd'hui, il commence par nous parler de Sur le fleuve, que vous pouvez écouter ici


— Les éléments mis au jour dans La Girouette se retrouvent-ils dans le deuxième Lied que tu as étudié?

— Le deuxième Lied qui a initié cette réflexion est Sur le fleuve [traduction ci-dessous]. Il constitue pour moi une sorte de variation morbide du mythe de Narcisse : le sujet se mire mais dans une eau glacée. Il semble morceler lui-même son propre reflet dans la glace avec la pierre qu'il utilise pour graver le nom de sa bien-aimée…
L'on observe aussi dans ce Lied un des moments les plus intéressants du Voyage d'Hiver à mon sens. À la moitié précisément : la musique se fige littéralement pour se déchaîner dans la deuxième partie.
Ce vide entre ces deux parties me semble être un des moments les plus intenses du Voyage d'Hiver. C'est le moment où l'angoisse est telle que le sujet ne peut plus dérouler sa pensée. Plus que l'emploi d'une contre note aiguë, c'est ce silence, ce barrage dirait-on en psychiatrie qui est employé pour exprimer l'angoisse terrible du voyageur, angoisse immense qui ne trouve plus de support dans la rhétorique musicale et littéraire usuelle.


— Si ta démonstration est très bien appuyée, ces aspects apparaissent-ils pour autant de manière évidente dans Voyage d'Hiver ?
— Non, même si le voyageur dit qu'il exprime sa souffrance, l'expression de sa souffrance est bien moins exubérante que dans l'opéra en général où un chanteur hurle qu'il souffre pendant un acte et une chanteuse met vingt minutes à mourir…
Comme je le disais au début, le Voyage d'Hiver est une page blanche où l'on projette ce que l'on est, et aussi une œuvre qui comporte des zones d'ombres. Pour moi, c'est une sorte de monochrome presque blanc où tout apparaît en négatif ou en contrepoint et sur lequel l'interprète et l'auditeur continuent à créer. Pour ma part, j'ai juste proposé une interprétation (une de plus!), pas une vérité ni médicale ni musicale.

Voyage d'Hiver est-il l'incarnation musicale de la mélancolie et de la dépression, comme on le dit si souvent ?
— L'hiver se situe-t-il à la fin de la vie ou se pose-t-il comme le maillon d'une circularité, une étape avant le renouveau ? Le voyageur n'est selon moi pas mélancolique au sens psychiatrique du terme : s'il connaît des souffrances, il révèle aussi une charge vitale et des soubresauts de vie. Ce mélange de fougue et de moments noirs me semble plutôt typique de l'état que l'on peut connaître à l'adolescence.
À la fin du Voyage d'hiver, que se passe-t-il? Le voyageur meurt-il, devient-il fou, trouve-t-il dans le joueur de vielle à roue le dépositaire de sa souffrance, est-ce le sujet lui-même ? On n'en sait rien : Voyage d'Hiver reste ouvert à toutes les interprétations...»


Yoshi Oïda, metteur en scène, et Takenori Nemoto, directeur musical, vous proposent leur interprétation du Voyage d'Hiver pour huit instrumentistes et trois chanteurs à l'Athénée : dernière représentation ce soir !


De mon côté, je prends une semaine de vacances. Rendez-vous lundi 27 février !




Sur le fleuve
Toi qui si gaiement murmurait,
Toi, fleuve clair et sauvage,
Comme tu es devenu calme,
Tu pars sans adieux.

D'une croûte plus dure, plus raide
Tu t'es recouvert
Tu es froid et immobile
Enfoncé dans le sable.

A ta surface je grave
Avec une pierre acérée
Le nom de ma bien-aimée,
Et l'heure et le jour:

Le jour de la première rencontre,
Le jour de mon départ;
Autour du nom et des chiffres
Se mêle un anneau anneau brisé.

Mon cœur, en ce fleuve
Reconnais-tu ton image?
Sous sa croûte
S'enfle t-il aussi tumultueusement?




Sur le fleuve in Voyage d'Hiver, texte de Wilhelm Müller et musique de Schubert.
Traduction par Pierre Mathé disponible sur Recmusic, publiée avec son aimable autorisation.