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Pleins feux

Les mots et les choses

Posté le : 29 mai 2009 08:02 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Les Mains sales

Curieux genre que l’autobiographie, qui n’a qu’un seul mot pour désigner des écrits fort différents puisque par définition personnels: Les Mots, que Jean-Paul Sartre publie en 1964 après l’avoir élaboré pendant plus de dix ans, est un récit de l’enfance de l’écrivain et philosophe divisé en deux chapitres, “lire” et “écrire”.

Car c’est surtout son rapport aux livres que Jean-Paul Sartre retrace, faisant le deuil de la prétendue singularité de sa personnalité, qu’il juge factice. Rétrospectivement, le culte qu’il a voué à la littérature lui apparaît comme un leurre et sa vocation d’écrivain comme une imposture: il aurait confondu les mots avec la réalité et serait devenu écrivain pour faire plaisir à son grand-père.

Si Jean-Paul Sartre entend dresser un bilan à la manière d’un Jean-Jacques Rousseau dans ses Confessions, on ne peut s’empêcher de se poser la question de la sincérité de cette autocritique où point la mauvaise foi, confirmée par le ton souvent ironique et la distanciation comique.
En fait, plus Jean-Paul Sartre entend démonter la supercherie qui l’a conduit à la littérature en essayant de nous faire croire qu’il est un homme ordinaire et plus on ne peut s’empêcher de sourire en pensant aux écrits magistraux qu’il a engendrés, comme L’Être et le Néant, La Nausée, Les Mains sales, Critique de la raison dialectique ou Situations.

Mais Jean-Paul Sartre se méfie des mots, et c’est surtout ce soupçon qu’il met en scène dans son autobiographie, à la manière d’un tableau bien connu de Norman Rockwell:

 

 

Norman Rockwell, Triple autoportrait, 1960

Autrement dit, Jean-Paul fait se rejoindre passé et présent et réalise une mise en abyme où, dans le même temps, il regarde sa vie, écrit sur lui-même et se regarde en train d’écrire: “j’ai passé beaucoup de temps à fignoler cet épisode et cent autres que j’épargne au lecteur” ou “aujourd’hui, 22 avril 1963, je corrige ce manuscrit au dixième étage d’une maison neuve”, écrit-il par exemple. Renonçant à la chronologie, il conteste le genre autobiographique de l’intérieur et déconstruit la culture aliénante qui serait la sienne en mettant la littérature en danger.

Règlement de comptes avec son passé et bilan d’une vocation d’intellectuel, Les Mots a aussi une portée politique. Au-delà d’une psychanalyse, il s’agit ainsi de dénoncer la littérature en la ramenant à ce qu’elle est, c’est-à-dire seulement des mots, tout en désacralisant sa fonction d’écrivain.

La littérature est alors démystifiée au profit de l’action et de l’engagement, et l’on ne peut s’empêcher de voir en filigrane le personnage de Hugo dans Les Mains sales à la lecture de ce parcours d’écrivain: rédacteur du journal du Parti, Hugo, l’intellectuel, le gosse de riches, ne rêve que d’action concrète. Contrairement à Jean-Paul Sartre, il ne peut accepter qu’il pourrait “commenc[er] sa vie comme [il] la finir[a] sans doute: au milieu des livres”…

Pour suivre les tentatives de Hugo d’échapper à ce qu’il est et découvrir comment Jean-Paul Sartre a intégré sa réflexion aux
Mains sales, il vous reste trois représentations de la pièce dans la mise en scène de Guy-Pierre Couleau: ce soir et samedi à 15h et 20h!

L’Athénée confronte ensuite la philosophie de l’engagement de Jean-Paul Sartre à celle d'Albert Camus en vous proposant une reprise des Justes de Camus, un spectacle donné en 2007 à l’Athénée, déjà dans la mise en scène de Guy-Pierre Couleau… Les représentations auront lieu du 3 au 6 juin prochains.

Bon week-end à tous.