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Les doigts dans le nez

Posté le : 05 janv. 2017 13:30 | Posté par : Clémence Hérout
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La création des Chevaliers de la table ronde de A à Z, suite et fin ! Aujourd’hui, dernier épisode : la création du spectacle proprement dite, c’est-à-dire les répétitions qui ont commencé quelques semaines avant la première.
Se sont retrouvés à l’Opéra de Bordeaux pour cinq semaines de travail sur scène les chanteurs, le chef d’orchestre, le chef de chant, le metteur en scène et ses assistants, les chorégraphes, le créateur des lumières ainsi que l’équipe technique et administrative.


Pierre-André Weitz, le metteur en scène, scénographe et costumier, explique avoir réglé une grande partie de la mise en scène en amont : « je travaille beaucoup au préalable les intentions de jeu et ce que les chanteurs feront sur scène. Les chanteurs sont ainsi très libres, car une fois qu’ils savent par où ils entrent et ce qu’ils doivent faire concrètement, la marge d’interprétation leur revient. Nous avons d’ailleurs eu la chance de répéter très vite avec les décors et accessoires sur le plateau. » Il faut dire que Pierre-André Weitz a passé l’année précédente à fabriquer les décors et costumes lui-même avec l’aide de ses assistant•es.

Damien Bigourdan, qui tient le rôle du doc Rodomont, rappelle que les chanteurs doivent se présenter au premier jour des répétitions « avec texte et partition sus. Cela ne veut pas dire qu’on les sait parfaitement : c’est même presque impossible – voire pas recommandé, car si on les sait trop bien, on ne peut plus inventer.
J’arrive avec une connaissance très précise du livret : je le connais quasiment par cœur, mais j’ai besoin de l’avoir en main pendant encore deux ou trois jours. À la deuxième répétition de chaque scène, je me libère du texte. Le par cœur arrive avec le travail de plateau.
J’ai donc travaillé seul chez moi pendant plusieurs mois sur la partition et le livret. Cela consiste beaucoup à lire, relire et rerelire à voix haute... Les gens se font souvent une montagne du par cœur, mais c’est en fait c’est le plus facile : il s’agit simplement d’une mécanique de mémoire. »

Christophe Grapperon, le directeur musical, rappelle que l’on alterne d’abord des sessions musicales, où sont abordés uniquement les aspects musicaux, et les sessions scéniques, où l’on se concentre sur les aspects théâtraux. L’alliance des deux se met ainsi en place peu à peu : « dès que l’on pense à la musique, la scène disparaît. Il faut essayer de gagner dans l’un et dans l’autre. En s’attardant sur des passages, en remettant le métier sur l’ouvrage, les deux finissent par se rejoindre.
Je n’aime pas travailler tout d’emblée, préférant poser d’abord un cadre musical qui sera ensuite oublié en scène avant d’être réintroduit au fur et à mesure. La scène changera naturellement des choses dans la musique : il n’est pas possible de plaquer la musique sur la scène. Cette construction est passionnante. Il n’y a pas une seule manière de faire la musique. »

Les instrumentistes rejoignent la production seulement six jours avant la première : les quatre premières semaines, les chanteurs ont été seulement accompagnés par le pianiste et chef de chant Nicolas Ducloux, qui explique : « les musiciens arrivent normalement avec la partition déchiffrée au préalable chez eux. Deux répétitions avec l’orchestre seul sont consacrées à lire l’intégralité de la partition, avant de passer aux répétitions scéniques.
Les instrumentistes répètent beaucoup moins dans un spectacle lyrique mis en scène, car ils ne jouent pas la musique par cœur, ils n’ont pas de rôle à interpréter, ils ne dansent pas, ils ne jouent pas la comédie, ils ne se déplacent pas, ils ne changent pas de costumes… »

Christophe Grapperon complète : « quand l’orchestre arrive, tout est réglé : on n’a plus de doute sur ce qu’on va jouer ni comment. Il y a malgré tout des ajustements à apporter, car c’est différent de jouer avec un piano seul et avec un orchestre, qui prend plus d’espace autant physique que sonore, introduit des variétés de timbres, peut modifier des tempos... Il faut faire en sorte que les ajustements à apporter avec l’arrivée de l’orchestre soient d’ordre marginal. »

Le chanteur Damien Bigourdan ayant glissé tout à l’heure que retenir le texte et la partition constituait la partie la plus facile, on l’interroge sur la tâche la plus difficile : « le plus difficile, c’est la gestion de l’énergie : c’est très éprouvant physiquement, au point qu’on n’arrive pas à finir les scènes au début. Ça va vite, c’est dur… C’est purement technique, mais il faut que le corps comprenne comment gérer les énergies et la voix de bout en bout. L’énergie de la troupe était tellement impressionnante qu’on pouvait se porter les uns les autres. Le soutien permanent offert par Pierre-André Weitz et Christophe Grapperon était également essentiel.
Le talent est une chose, mais il faut bosser tous les jours. Notre métier consiste à faire en sorte que tout ce travail réalisé en amont disparaisse lors des représentations, à donner l’impression que cela a été fait les doigts dans le nez. »

Pierre-André Weitz ajoute : « nous avons travaillé dans la joie et la bonne humeur, sans réelles difficultés. On a énormément ri, ça c’est sûr. Mais tous les metteurs en scène doivent vous dire la même chose… » [Non, NDLR].


Une fois la première passée, « le plus gros travail arrive », comme le détaille Christophe Grapperon. « On joue un répertoire bouffe, et on le joue de nombreuses fois. Réussir à rester frais et neuf à chaque représentation est une tâche colossale. Il faut avoir cette perspective en tête dès le début : on va jouer ce morceau soixante fois, et il faut trouver de quoi moudre soixante fois.
On fait très souvent des raccords, c’est-à-dire des répétitions de moins d’une heure sur des détails, avant les représentations. Un raccord est d’abord là pour se dire bonjour en musique et être ensemble. Il consiste ensuite à éviter de tomber dans la routine. Si une chose est faite par automatisme sur scène, on essaie de la refaire en raccord pour trouver un élément nouveau. D’un point de vue technique, le raccord sert enfin à mettre un peu d’huile si quelque chose s’est un peu grippé, ou à résoudre un problème ».

Pierre-André Weitz précise que, contrairement à beaucoup de metteurs en scène, il ne fait pas de séances de notes, qui consistent principalement à pointer les problèmes survenus sur une représentation : « les acteurs et chanteurs savent quand ils ne sont pas bons, donc je n’en rajoute pas. Il m’arrive parfois de faire des rappels, en soulignant à l’équipe qu’on est là pour parler aux étoiles, faire revivre les morts, faire rire, être heureux et être ensemble avec le public. Nous ne sommes pas des bourgeois, mais des saltimbanques. Si les artistes ont de la joie d’être sur scène, le public le verra. Le fait d’être là, de traîner dans les loges, suffit : les mots ne sont pas toujours nécessaires. »


Il faut ensuite partir en tournée, qui se réalise dans des lieux très différents.
Selon les salles, Pierre-André Weitz pouvait « retravailler la mise en place. Pour les grandes scènes, j’ouvrais l’image, c’est-à-dire que les places des acteurs étaient changées pour remplir le cadre de scène. J’opérais des vérifications d’espace et d’acoustique, en m’installant par exemple au dernier rang pour vérifier qu’on entendait bien. Mais il n’y a jamais eu de grand changement : en tant que scénographe, j’avais travaillé chaque plan avec mes assistants ».

L’équipe administrative et de production a beaucoup de travail après la première : il faut organiser la tournée, qui consiste à faire se déplacer une trentaine de personnes, des décors et des costumes, mais aussi gérer les éléments comptables, financiers et juridiques. Concrètement, cela consiste à assurer les transports, hébergements et repas, la location de camion, les contrats avec les salles, les contrats de travail de l’équipe, la paie, la gestion d’imprévus et tout un tas de petites choses allant du nettoyage des costumes au rachat de maquillage en passant par les retards de train et l’heure du petit déjeuner à l’hôtel.

Les responsables de la production sont en effet les premiers interlocuteurs de toutes les personnes intervenant sur le spectacle, mais aussi du personnel des théâtres accueillant les représentations, et sont présents tous les jours. Loïc Boissier, le délégué artistique de la compagnie des Brigands, raconte : « après la première, on apporte surtout des réponses : est-ce qu’il y a du gluten, est-ce qu’on a été bons, est-ce que la salle est pleine, est-ce que l’hôtel est loin… Il faut aussi pouvoir donner des éléments aux personnes chargées de la presse et des relations au public ».
Dans la continuité de Christophe Grapperon, il estime aussi que le spectacle est un « organisme vivant qu’il faut accompagner, voire parfois violenter pour éviter de rentrer dans une routine. L’enjeu d’une tournée n’est pas d’accumuler des dates, mais de raconter l’histoire d’un spectacle, d’une compagnie, d’une salle. Chaque nouvelle soirée est une pierre supplémentaire dans un itinéraire que je ne veux jamais banaliser. J’aime bien me dire que rien n’est acquis : si le public chauffe le spectacle, il peut parfois le cuire : j’aime qu’on fasse en sorte de continuer à trouver une certaine fraîcheur ».

La tournée de la saison suivante se prépare également, car Les Chevaliers de la table ronde se sont joués sur 2015-2016, puis 2016-2017. Il faut convaincre des directeurs/trices de salle de venir voir le spectacle et de le programmer dans la saison suivante, mais, et c’est l’une des principales difficultés, à une date où tous les artistes sont disponibles !... Cela peut conduire à renoncer à des dates ou décider de remplacer certaines personnes.
Après les représentations à l’Athénée (qui se terminent après-demain : ne tardez pas !), Les Chevaliers de la table ronde se joueront à Besançon, Limoges et Sénart en février-mars.

Bonne fin de semaine à tous !

Clémence Hérout