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Entretien

Interview par procuration

Posté le : 27 mai 2011 07:18 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Récit de la servante Zerline

Brice Cousin joue le rôle d'Andreas, le personnage qui écoute Zerline durant tout son récit.

Alors que nous nous étions donné rendez-vous au foyer des comédiens à l'heure où les technicien(ne)s ont à y passer pour préparer la représentation du soir, Brice m'a proposé un nouveau genre d'interview : l'interview par procuration.

Pour chaque question que j'ai posée, Jano, Richard et Thomas, régisseur et techniciens, se sont installés sur une chaise pour répondre à la place de Brice. Même moi d'ailleurs, je me suis fait avoir en me retrouvant à devoir répondre à mes propres questions.
Brice a ensuite répondu lui-même. Appréciez les petits décalages !



« Clémence : —Brice, tu joues un rôle où il y a peu de répliques et où l'écoute est essentielle. On a tendance à considérer cela comme un petit rôle alors que je pense au contraire que jouer l'écoute est un exercice extrêmement difficile...

Thomas, technicien : —Dans ce genre de rôle, c'est un peu des deux. Il faut rester concentré en ne faisant rien, et le moment venu il ne faut pas se planter. Je trouve qu'il y a une pression liée à la concentration que cela nécessite et au fait qu'il ne faut surtout pas rater les moments où l'on parle. Et en plus, il faut meubler l'espace alors qu'on n'a rien à dire...

Brice : —Clémence, pourquoi tu penses que c'est si difficile d'écouter ?

Clémence : —Parce que je souviens de mes cours de théâtre et de ce dialogue entre un élève et un professeur : "—Mais qu'est-ce que je fais pendant qu'elle parle ? —Ben, tu l'écoutes".
Écouter des gens dans la vie, on le fait tous les jours sans se demander ce qu'on pourrait bien faire en même temps : et tout d'un coup au théâtre, on se sent démuni. Parce que la parole n'est plus là pour donner une contenance, le corps devient soudainement encombrant…

Brice
: —Je vais continuer à faire répondre les autres à ma place. Lorsque cette question a été posée par un spectateur lors d'une rencontre, c'est Marilu Marini [NDLR : qui joue avec Brice dans Le Récit de la servante Zerline] qui a répondu : "Il y a trois choses difficiles au théâtre : entrer, sortir et écouter".
Parler ou écouter, c'est différent car il ne s'agit pas du même engagement. Nous ne sommes que deux : c'est elle qui tient le spectacle et l'attention du public, et en cela sa partie est très difficile. Ma partie est dure également, car je reste 1h20 sur un plateau sans rien dire. Il ne faut jamais se relâcher, il faut être là.
Pour faire des petits rôles, il faut de grands acteurs (je ne dis pas que j'en suis un) : être au fond et ne rien dire, c'est difficile, tu ne peux pas prendre quelqu'un dans la rue et le poser là… On le voit bien lorsqu'on prend des cours de théâtre : marcher, rester assis, se laisser regarder, courir, tout est différent à partir du moment où tu es sur scène.
II y a des petits rôles et des grands rôles, c'est vrai, mais les petits rôles font la pièce. Le spectateur suit le grand rôle, mais il n'existe que dans ses interactions avec les petits rôles ; quelle que soit la taille du rôle, c'est important d'en faire quelque chose et de mettre l'histoire en avant. Tous les rôles sont importants, tous doivent apporter leur pierre à l'édifice. Quand tu es jeune, tu veux beaucoup jouer, mais souvent on ne te donne que des crevettes. C'est compliqué d'avoir une crevette, certains en font des dépressions : tu passes deux mois en répétition, tu ne dois rien faire ou presque, tu finis par en conclure que donc tu ne sers à rien, et tu ne t'investis pas. Pourtant, dans une pièce, ce sont les petits rôles qui donnent l'élan. Quand un nouveau personnage entre, il remue quelque chose, crée un rebondissement : si l'acteur ne le fait pas bien, la tension de la pièce retombe.


Clémence : —Brice, la gestuelle que tu adoptes dans le spectacle est très particulière, assez expressionniste, pas du tout… réaliste, je dirais. Est-ce que tu peux nous en dire davantage ?

Richard, régisseur : —Ah, tu trouves que ce n'est pas réaliste ? Je ne me suis pas posé la question en ces termes. Ce que je trouve étonnant, c'est la force de mon personnage malgré le peu de texte que j'ai à dire : j'ai une vraie présence et un vrai engagement tous les soirs

Jano, régisseur général, en passant : —Mais tu pourrais quand même faire plus souvent les carreaux. (Il sort)

Richard : —Pour moi, cette gestuelle est plus fantomatique qu'expressionniste. C'est quelque chose qui est très présent pour le public.

Brice : —Clémence, tu peux préciser ce que tu entends par "expressionniste" ?

Clémence : —Je ne sais pas trop comment expliquer… Disons que la façon dont tu utilises ton corps, si elle ne parasite pas le monologue de Zerline, le ponctue. Ou plus exactement, elle lui donne du relief avec des gestes un peu décalés… Je ne sais pas si "expressionniste" est le mot, mais cela donne en tout cas une sensation d'étrangeté.

Brice : —Oui, mais je ne sais pas si c'est voulu. Cela se dessine tout seul. En deux mois de travail, tu as le temps de proposer des choses et d'en refuser beaucoup. Je partage d'abord mes impressions avec Yves Beaunesne, le metteur en scène, et il ressort des sources : Tarkowski, Kusturica, Tati, Depardon, Zweig… Ensuite il reste la trace : je dirais qu'aujourd'hui, mon personnage est un mélange entre Tati et Rowan Atkinson —il y a même un mouvement  en particulier que j'ai emprunté à Tati.
C'est difficile d'expliquer par où je suis passé, ce sont des parcours très compliqués. C'est une gestuelle à laquelle j'ai abouti après plusieurs mois de travail. Se mettre sur un plateau et essayer de ne rien faire, cela ne marche pas. On commence souvent par en faire énormément pour en enlever petit à petit, et à la fin il ne reste rien sauf une trace à l'intérieur de soi qui permet de ne plus rien faire car la sensation est en soi. En méditation zen, on dit : "Un homme regarde une montage,et dit:  c'est une montagne. Puis il décide de pratiquer le zen, se remet devant la montagne, et dit: ce n'est pas qu'une simple montagne, c'est autre chose, beaucoup d'autres choses. Enfin après 50 ans de pratique, il revient devant la montagne, et dit : c'est une montagne". Tu comprends ?

Clémence : —Je vais avoir besoin de réfléchir, là…

Brice : —Quand tu commences à travailler ce genre de rôle, tu te dis "écoute", et tu écoutes. Quand tu le refais en répétition, tu te demande si c'est suffisant, ce que tu dois faire et tu n'écoutes plus. Après l'avoir fait énormément de fois, tu n'as plus besoin de faire toutes ces choses-là et tu en reviens finalement au début : tu écoutes.
D'ailleurs, on ne fait pas la même chose tous les soirs : un jour, ce que dit Marilu va me traverser différemment et donc me faire réagir différemment. C'est une façon d'être présent : sinon on joue seul, on n'est plus en train d'écouter, et cela se sent.
Le Récit de la Servante Zerline, ce sont deux solitudes qui se déplacent et se croisent : pour moi, c'est donc important de donner une silhouette à mon personnage. Je ne peux pas me définir par les mots mais par le corps et par ce qu'il est. Ma manière de bouger devient le texte : c'est en accumulant les détails, comme si je dessinais un croquis petit à petit, que j'ai trouvé ce physique-là, cette étrangeté qui attire l'oeil et qui fait se poser des questions. À partir du moment où l'on se trouve à un endroit où tout le monde nous regarde, tout ce que l'on fait a un sens : on ne peut pas faire comme si ça n'en avait pas. Dès que tu fais un geste sur un plateau, c'est un signe que tout le monde interprète.



Clémence : —Il y a un an et demi, l'Athénée accueillait la pièce Minetti de Thomas Bernhard où le comédien Serge Merlin avait en charge quasiment tout le texte.
J'avais interviewé l'actrice Jessica Perrin, qui écoute Minetti durant tout un acte, pour savoir comment elle avait travaillé. Elle m'a expliqué qu'elle s'était imaginé tout un tas de choses sur son personnage : qu'elle s'appelait Clarisse, qu'elle avait quinze ans, qu'elle aimait le jazz… T'es-tu imaginé des choses sur le tien ?


Jano, régisseur général : —Bien sûr. C'est un étudiant en psychologie puceau, ce qui explique certaines de ses réactions. Il est très seul dans sa tête, sans trop d'amis ni de famille, et il est souvent dans l'observation et la frustration. Il est arrivé dans la chambre de bonne par le toit, en parachute : d'ailleurs, le parachute est encore là. [NDLR : il faut voir le décor pour comprendre]

Brice : — Chacun commence à un endroit différent. En ce qui me concerne, je ne suis pas passé par là car je ne vois pas en quoi cela m'aurait aidé. J'avais lu le roman, je savais comment était le personnage, sauf qu'on peut pas s'accrocher au roman puisqu'il ne s'agit ici que d'un chapitre : cela donne une idée, mais je ne pouvais pas m'y accrocher. Il faut se créer une identité sans limite : cela se dessine tout doucement et cela finit par exister à la fin. C'est un peu compliqué…
On part toujours un peu de soi : en répétition, on cherche des émotions que l'on a ressenties dans sa vie pour ensuite les raccrocher aux situations et aux personnages. On commence à travailler avec cette image que l'on a en soi jusqu'au jour où l'on n'a plus besoin de se rappeler ce souvenir ou cette sensation car l'émotion est dans son corps, elle est là par elle-même. Le plus dur en fait, c'est sans doute de devoir redécouvrir le texte tous les soirs : tous les soirs, je dois jouer à celui qui n'a jamais entendu Zerline… »


Pour entendre ou réentendre Le Récit de la Servante Zerline dans la mise en scène d'Yves Beaunesne, vous avez jusqu'à demain !

Bon week-end.