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Entretien

1h14

Posté le : 25 nov. 2011 06:03 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Savannah Bay

Hier paraissait sur le blog la première partie de mon entretien avec Philippe Sireuil, metteur en scène de Savannah Bay de Duras actuellement à l'Athénée. Voici la suite et fin :

«— On sait que personnage de la dame âgée dans Savannah Bay était une actrice (ou l'est peut-être encore), et vous avez choisi de placer l'action dans le décor un théâtre vide. Savannah Bay, est-ce du théâtre dans le théâtre, ou est-ce autre chose ?
— La pièce est un don de Marguerite Duras à Madeleine Renaud, cette femme "dans la splendeur de l’âge", qui a créé la pièce avec Bulle Ogier sous la direction de l’auteure et dont l’auteure a emprunté le prénom pour définir le personnage de la dame âgée. Il ne me semble cependant pas qu’on puisse dire qu’il s’agisse d’une énième mise en abîme du théâtre.
Pour ce qui est de mon choix, l’espace vide du plateau, ce n’est pas pour sursignifier le lieu de l’écriture. La nudité du théâtre me semblait au contraire l’endroit le plus approprié pour échapper à la figuration, pour "convoquer" les fantômes de Savannah Bay.
Cela me paraissait le meilleur moyen pour immerger doucement le spectateur dans l’écriture et l’histoire, de laisser affleurer ces filigranes  —dont j’ai déjà parlé— à son entendement, de donner à écouter les mots, la langue, les silences, à l’aide de quelques accessoires —une servante, un rocking-chair, un vieil enregistreur et une robe rouge. Au travers de ces derniers et du personnage de la dame âgée, le théâtre est là, bien entendu, mais il irrigue sans noyer, du moins je l’espère ; il va et il vient, comme l'écriture de Duras fluctue entre la possibilité d'un réel et la réalité d'autres possibles.
J’ai dit ailleurs à propos de La Musica deuxième, autre texte de Duras que j’ai mis en scène, que trop de concret écrasait son théâtre, mais que trop d’éther risquait de l’assommer. Le choix d’un théâtre vide pour offrir à Savannah Bay l’écrin le plus adéquat cherchait à éviter ces deux écueils.

— Vous me disiez que la représentation de Savannah Bay devait durer très exactement 1h13 ou 1h14. Pourquoi ce respect du temps à la minute près est-il si important pour vous ?
— La pièce de Marguerite Duras est un objet rare, mais c’est un objet fragile fait de multiples petites pièces, comme un puzzle, ou un rébus. Chez Duras, il y a les mots, mais il y a aussi les silences entre les mots qui sont consécutifs de son écriture, comme chez Beckett, Sarraute, Jon Fosse, et d’autres encore. Mettre en scène, c’est donc aussi chercher un temps, le rythme de son déroulement, un équilibre entre ce qui est dit et ce qui est tu qui puisse faire écouter l’un sans étouffer l’autre, et réciproquement.
Au bout des répétitions, cette durée de soixante-quatorze minutes s’est imposée aux deux actrices et à moi-même comme étant la durée "juste" de notre  représentation. Elle s’est de plus révélée comme la balise étalon qui allait nous permettre de mesurer si nous étions "au dedans" ou "au dehors" du spectacle que nous avions construit : en effet, quand, pour une raison ou une autre, les actrices dérogeaient à cette durée, je me disais que quelque chose n’allait pas, n’allait plus. Pareil que la musique : suffit pas de jouer la mélodie, faut encore choisir le bon tempo… 
Comme je ne fais pas partie de ces metteurs en scène qui viennent se ronger les ongles tous les soirs dans la salle ou en coulisses (Jean-Pierre Vincent dit joliment que mettre en scène c’est savoir faire, mais c’est aussi laisser vivre !), pouvoir me renseigner à distance sur le temps de la représentation me permet de voir si notre travail reste sur ses rails ou s’il me faut revenir pour aider les actrices à conserver ce délicat équilibre auquel nous sommes parvenus. Cela étant, il ne faut pas exagérer : ces soixante-quatorze minutes peuvent maigrir ou grossir d’une ou d’une et demie, je n’en ferai pas une maladie. L’acteur n’est pas un robot aux ordres, bien entendu, il ne s’agit pas ici de mécaniser quoique ce soit, c’est même tout le contraire qui est recherché ici. »

Pour voir Savannah Bay mis en scène par Philippe Sireuil, c'est jusqu'à demain à l'Athénée. Vous pouvez également voir Le Shaga mis en scène par Claire Deluca et Jean-Marie Lehec, donné en même temps dans la salle Christian-Bérard.