N'oubliez pas, c'est une histoire d'amour...
Catégorie : Vénus
Gina Djemba est comédienne: c’est elle que vous avez beaucoup vue en photo sur le blog ces derniers temps et qui tient le rôle-titre de Vénus actuellement à l’Athénée.
Conversation à 16h dans le foyer des comédiens de l’Athénée, avant que Gina se prépare pour la représentation.
«_ Tu dînes déjà?
_ Oui, je ne peux pas manger juste avant une représentation, sinon je me sens trop lourde. J’ai besoin d’être vide pour prendre…
_ Jouer, c’est prendre?
_ C’est à la fois prendre et donner, que cela soit avec ses partenaires ou avec le public. Les relations avec les spectateurs ou les autres comédiens sont différentes chaque soir, et je suis particulièrement attentive aux réactions du public: un regard, un rire, cela n’a l’air de rien, mais c’est déjà énorme. C’est une forme de don.
_ Les réactions des spectateurs sont-elles différentes d’un soir à l’autre sur Vénus? Y a-t-il des choses qui t’étonnent?
_ Non, les réactions sont assez égales sur Vénus. Mais il m’est déjà arrivé sur d’autres pièces de sentir des salles glaciales… J’ai le sentiment que le public de Vénus est extrêmement impliqué. Il y a tout de même une chose qui m’a étonnée au début, c’est l’absence de rires sur les scènes de la pièce intérieure, Pour l’amour de la Vénus [passages d’un vaudeville écrit au 19e siècle sur la vénus hottentote et réintégrés dans la pièce par Suzan-Lori Parks. Extrait vidéo publié sur le blog le 17 mars]; ces scènes grotesques nous faisaient beaucoup rire en répétitions, et je me suis rendue compte lors des représentations que cela ne prêtait en fait pas nécessairement à rire: finalement, ne serait-ce pas être complice du drame vécu par la vénus hottentote que de s’esclaffer devant cela?
De même, il m’arrive d’entendre des rires nerveux lors de certaines scènes très dures: parce que parfois, devant la violence, on ne peut avoir aucune autre réaction que celle-ci… C’est par ce genre de signaux que je sens que le public de Vénus est impliqué dans ce qu’il voit -le texte étant assez complexe, l’écoute est de toutes façons nécessaire...
J’aime beaucoup la scène où je descend en salle pour raconter l’histoire du chocolat et en offrir quelques-uns aux spectateurs: je perçois à ce moment-là une écoute extrême de la part du public et me sens entièrement connectée à lui. Cette écoute attentive m’aide d’ailleurs beaucoup, car il s’agit d’un passage où je dois sortir du personnage de Vénus pour raconter l’histoire du chocolat: je m’appuie beaucoup sur les spectateurs pour me dégager de toute l’agitation de mon personnage.
_ C’est un rôle qui me semble difficile à endosser, parce qu’il porte la pièce, qu’il demande une certaine nudité et qu’il ne ressemble à aucun personnage “classique”. Tu n’as pas eu peur en découvrant la pièce?
_ Je ne connaissais pas l’histoire de Saartje Baartman, la véritable vénus hottentote, avant de lire la pièce. Je me suis sentie mise en confiance dès l’audition: d’habitude, un casting, c’est très expéditif. Là, Cristèle Alves Meira, la metteure en scène, a pris le temps de m’expliquer sa démarche, de me faire faire des improvisations… Elle m’a fait jouer différents stades de la vie de Vénus, a abordé mon rapport à la nudité, m’a fait travailler sur l’obscénité, le monstrueux… Elle a une véritable vision: avec elle, tout a un sens, et la nudité, lorsqu’elle apparaît, est nécessaire.
_ Quelles sont les difficultés propres au rôle de Vénus?
_ Tout d’abord, il faut lui donner une forme de naïveté, ou de simplicité: elle a des difficultés à parler et évolue par étapes. Il y a donc quelque chose de primitif, ou d’élémentaire, d’animal, chez elle, qu’il fallait jouer sans pour autant la rendre bête.
C’est d’ailleurs la deuxième difficulté: ne surtout pas en faire une femme stupide, car elle est loin de l’être. S’il existe une ambiguïté d’une femme qui se laisse exploiter, on sent tout de même qu’elle possède un fort caractère: elle a décidé de partir, quand même… Ce paradoxe entre la détermination et la soumission d’une femme contrainte et forcée qui se retrouve face à ce qu’elle n’aurait jamais imaginé est très intéressant à jouer.
Ce qui m’a beaucoup motivée, c’est sans doute le fait que Vénus soit tiré de l’histoire d’une femme qui a réellement existé: je me sens au service de Saartje Baartman, et c’est sans doute pour cela que j’ose beaucoup de choses sur scène. Je me suis aussi beaucoup documentée sur sa véritable histoire.
_ Dans l’interview qu’elle m’a accordée, Cristèle Alves Meira, la metteure en scène, me parlait de la prothèse des fesses en disant qu’il était indispensable que tu en sentes bien le poids. Es-tu d’accord avec cela?
_ Entièrement. D’ailleurs, la prothèse des fesses a mis beaucoup de temps à se construire, et j’ai eu l’impression de devenir Vénus au fur et à mesure qu’elle prenait forme… Ces fesses sont comme un masque : elles me donnent l’impression d’être habillée et sans elles, je n’aurais pas pu être Vénus.
_ Les différentes perruques que tu portes agissent-elles aussi comme une forme de masque?
_ Les coiffures apportent un port de tête, et elles montrent également l’évolution du personnage. La perruque à la Brigitte Bardot est le signe extérieur d’appartenance à une certaine bourgeoisie. À ce sujet, la scène où elle se maquille a été très difficile [extrait vidéo de la scène en répétition sur le blog le 8 mars], car je ne voulais pas singer les bourgeoises de cette époque: mais c’est une scène où c’est l’imaginaire de Vénus qui parle, c’est son échappatoire, sa respiration… Cela permettait de faire exister sa fantaisie et ses espoirs autant que sa désillusion. Dans cette scène, on voit en fait qu’elle a quitté sa prison pour une cage dorée où elle se conduit comme une enfant qui joue à la grande dame… La poudre que je mets fait aussi office de masque en transformant Vénus en une sorte de clown triste. Pour moi, c’est la scène la plus difficile à vivre, bien plus que celles où je me fais battre, car elle intervient après le premier avortement, après qu’elle se soit fait couper les cheveux… Ce moment où elle se fait couper les cheveux correspond à une perte d’identité, à une négation de sa féminité, à une déchéance: elle est entièrement devenue un objet d’études au point de se faire couper les cheveux pour qu’ils soient analysés. C’est le dernier stade, on ne peut plus aller plus loin…
_ Lorsqu’elle a rencontré Cristèle Alves Meira, Suzan-Lori Parks, l’auteure du texte, lui a dit: “n’oubliez pas que c’est une histoire d’amour”. Vénus, c’est une histoire d’amour, pour toi?
_ Oui, mais c’est l’histoire d’amour la pire qui soit! Vénus et le Baron-Docteur sont deux individus tous les deux perdus dans leur solitude qui se retrouvent parce que chacun espère devenir quelqu’un grâce à l’autre. C’est donc davantage une histoire sur l’idée d’amour qu’une histoire d’amour proprement dit…
_ Le lieu même de cette histoire d’amour, le lit, est d’ailleurs à l’image de ce que tu viens d’expliquer: de loin, il a l’air confortable, et puis quand on se met dedans, quelle horreur...
_ Oui, c’est un lit formé d’un matelas gonflable, de poufs avec des billes en polystyrène et d’oreillers en plume. C’est un lit où tu sombres comme dans un gouffre… Le lit devrait évoquer quelque chose de paisible, mais c’est en fait l’endroit où se déroulent les choses les pires: rien de ce que l’on fait d’habitude dans un lit ne s’y passe! Ils n’y font pas l’amour, et lorsqu’ils dorment, ils font des cauchemars… À la fin, le lit devient d’ailleurs le tombeau de Vénus…
_ Je crois que tu tournes également une série télévisée pendant la journée, ce n’est pas fatiguant de tout cumuler?
_ Si, mais le théâtre est à la base de tout. J’aime beaucoup tourner pour le cinéma et la télévision car c’est un autre exercice tout à fait intéressant et complémentaire. Mais au cinéma, c’est aussi le montage qui détermine ce que sera un film. Au théâtre, tu agis en fonction du public, de tes partenaires et des imprévus. Il y a une véritable marge personnelle. Je suis d’ailleurs assez désespérée de voir que pour beaucoup de gens, le travail du comédien consiste juste à apprendre un texte...»
Pour voir Gina Djemba et ses partenaires dans Vénus, vous avez jusqu’à samedi!
Samedi aura également lieu le troisième café-débat de la saison sur le thème "peut-on échapper à sa famille?". Pour écouter débattre Jean-Louis Ezine, Nicole Prieur et François de Singly, rdv à 17h à l'Athénée! L'entrée est libre.
Bon jeudi.