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Entretien

L'opéra tragique - interview !

Posté le : 07 avr. 2009 08:35 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Riders to the sea

Entretien avec Christian Gangneron

Christian Gangneron est le metteur en scène de l’opéra Riders to the Sea qui commence demain soir à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet :

_ Qu’est-ce qui vous a particulièrement plu dans Riders to the Sea, qui est une pièce de John Millington Synge mise en musique par Ralph Vaughan Williams?
_ C’était un véritable coup de foudre. Cela me semble difficile de ne pas avoir de choc en écoutant cet opéra : comme il n’est pas connu, ce n’est pas toujours évident de convaincre  le public de venir le découvrir, mais les spectateurs sortent tous en état de choc.
C’est réellement un opéra à part, très puissant et extrêmement ramassé : il dure trente-cinq minutes (aux représentations à l’Athénée, il sera précédé de Songs of the Travel, des poèmes de Robert Louis Stevenson mis en musique par Ralph Vaughan Williams), et il n’y a ni un mot ni une note de trop!  Cela arrive comme des embruns dans le visage, c’est vivifiant au sens fort du mot.

_ Riders to the Sea montre des personnages habitant sur les îles d’Aran, au large de l’Irlande, et plus particulièrement une famille dont les hommes se noient en mer. Est-ce une nouvelle forme de tragédie?
_ Oui, et en ce sens je m’inscris en faux par rapport à Steiner lorsqu’il parle de mort de la tragédie : certes, peut-être que les conditions favorables au développement de ce genre ont disparu, mais Steiner ne parle pas de Synge dans son livre La Mort de la tragédie… Il y a pourtant une place pour le renouveau de la tragédie et Synge en a été le pionnier. Ce qui a miné l’esprit de la tragédie, c’est sans doute le triomphe des idéologies religieuses ainsi que l’idée de progrès : mais la ruine de ces idéologies, autant politiques que religieuses, associée aux questions sur l’absence de salut et de progrès, a réinstallé le tragique.
Riders to the Sea est une tragédie du quotidien, sans roi et sans reine, pour détourner le titre d’un film : il n’y a pas de héros, pas de démesure, pas de faute. Il y a tragédie car on dépasse l’état psychologique et social d’une situation historique déterminée pour se sentir appartenir à la race des mortels. On est confronté à la mort et à des choses terrifiantes, mais c’est une forme de paix qui se dégage à la fin.

_ En cela, le phénomène de catharsis, ou purification de l’âme par la tragédie, existe bien dans Riders to the Sea ?
_ Oui, il y a une catharsis, incontestablement : malgré la présence de la mort et les événements épouvantables qui surviennent, les spectateurs se sentent apaisés en sortant. Ce n’est pas triste! À travers l’horreur, les personnages purgent le ressentiment qu’ils pouvaient avoir et trouvent enfin le repos, et parvenir à cette acceptation apaisée est justement la fonction principale de la tragédie!
À partir du quotidien difficile de ces gens habitant sur des confettis perdus au large de l’Irlande, cultivant une terre hostile et mangeant des bouts de poissons pourris lorsque la mer est trop mauvaise pour aller pêcher, Riders to the Sea nous propose une leçon de vie incroyable.
L’esprit de l’œuvre dépend étroitement du lieu même des îles d’Aran qui fascinent énormément : Synge s’y est rendu sur les conseils du poète Yeats, Robert Flaherty en a fait un documentaire magistral, Nicolas Bouvier en a tiré des récits de voyage magnifiques… Il y a une fascination pour la force de vie admirable des habitants de ces îles, et l’amour des gens du peuple est trop rare dans la littérature occidentale pour que l’on puisse se permettre de passer à côté…

_ Y a-t-il une connivence entre le genre de la tragédie et celui de l’opéra?
_ Oui, et d’ailleurs l’opéra est né, avec Orfeo de Monteverdi, du désir de retrouver les conditions de représentation de la tragédie grecque! Il s’agissait de revenir aux sources, de recréer ce genre : et en cherchant la tragédie grecque, on a trouvé l’opéra, un peu comme Christophe Colomb a débarqué aux Amériques en visant les Indes…

_ Est-ce que vous pourriez expliquer ce qu’est le keening?
_ Oui, c’est effectivement essentiel dans Riders to the Sea. Le keening est un chant de deuil traditionnel : lorsque l’on retrouve un homme noyé, les femmes de l’île se rassemblent et chantent des lamentations sans texte : ce sont des chorals sans mots, juste des syllabes. Il y a une grande solidarité entres les habitants des îles d’Aran, et la catharsis passe par la prise en charge ritualisée et communautaire de la mort d’un individu. Dans la pièce de Synge, il y a un choeur pour le keening, mais c’est impossible à réaliser au théâtre! Vaughan Williams a mené un réel travail d’ethnomusicologue et a retranscrit ces chants de pleureuses dans son opéra.

_ Qu’y a-t-il de caractéristique dans la langue de Synge?
_ Elle nous a posé problème, et il nous a fallu travailler avec des comédiens irlandais connaissant à la fois l’anglais et le gaélique pour qu’ils nous aident à sentir les spécificités, les couleurs et la rythmique de la langue de Synge qui a eu le génie de se servir des images et des couleurs d’une langue populaire pour en faire une langue poétique.
La traduction française que Françoise Morvan a fait de la pièce est superbe et nous a également beaucoup aidé : d’origine bretonne, elle a vécu la période où, parce qu’il était interdit de parler la langue bretonne, celle-ci a été incluse au français qui a été déformé et restructuré par une syntaxe et des images qui viennent du breton. C’est une langue qui s’est faufilée dans une autre, exactement comme chez Synge qui intègre le gaélique à l’anglais. Grâce à l’aide des deux comédiens irlandais, les chanteurs de Riders to the Sea ont vraiment vu comment donner une force et du sens aux récitatifs, ces passages chantés très proches de la parole. En se réappropriant le gaélique, c’est toute la violence de l’océan qui apparaît, mais aussi la violence de la vie.”

Riders to the Sea dans la mise en scène de Christian Gangneron et la direction musicale de Jean-Luc Tingaud commence demain à l’Athénée, tenterez-vous la découverte? Bon mardi.

Coulisses

Le zootrope (3)

Posté le : 06 avr. 2009 07:32 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Riders to the sea

Lorsqu’il y a des opéras à l’Athénée, comme Cosi fan tutte la semaine dernière et Riders to the Sea à partir de mercredi, les chanteurs ont la plupart du temps la possibilité de suivre le chef d’orchestre par écran interposé : disposé dans un coin de la scène, il permet aux artistes d’être ensemble sur la musique sans avoir besoin de lorgner sans arrêt du côté de la fosse.

Voici donc à quoi ressemble François Bazola, directeur musical de Cosi fan tutte, découvert jeudi par ses légendes photographiques improvisées et ici en répétition, sur ce petit moniteur : à partir de mercredi, c’est Jean-Luc Tingaud qui prendra sa place pour Riders to the Sea !

 

 

Je vous rappelle que l’Athénée organise une projection du documentaire L’Homme d’Aran de Robert Flaherty en partenariat avec le cinéma Le Balzac : c’est ce soir à 20h en présence de l’équipe du spectacle!
Quant à l’opéra Riders to the Sea, il dure une heure et se joue de mercredi à samedi à l’Athénée . Bonne journée!

Pleins feux

Documentons-nous

Posté le : 03 avr. 2009 09:04 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Riders to the sea

Les îles d’Aran sont un archipel au large de l’Irlande : vierges de végétation, battues par les vents, on a du mal à imaginer que des hommes aient choisi de s’installer sur ce qui était au départ inhabitable. Six cents kilomètres de murets de pierre parcourent l’île pour la protéger des vents et les terres ne sont devenus cultivables qu’après l’action acharnée de l’homme.

Robert Flaherty est considéré, avec Dziga Vertov, comme le créateur du documentaire : c’est un peu ainsi que le cinéma a commencé, les frères Lumière ayant choisi de capter de courts instants de réel, même un peu arrangés, pour les premiers films de cinéma comme La Sortie de l’usine Lumière à Lyon ou L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat.

Une vingtaine d’années après les frères Lumière et leur invention du cinéma, Robert Flaherty tourna plus de 18 000 mètres de pellicule lors de deux ans passés dans une famille esquimau pour en filmer la vie quotidienne : en 1922, Nanouk l’Esquimau, commandité par une marque de fourrure, sort sur les écrans et invente pleinement le genre du documentaire.

En parfaite empathie avec les gens qu’il filme, Flaherty tient non pas à proposer le regard que lui porte sur ses sujets mais bien à restituer le regard que Nanouk et sa famille portent sur eux-mêmes : en d’autres termes, que le film ne porte pas sur la vision du cinéaste mais qu’il rende compte au plus juste du combat de l’homme contre la nature.

C’est toujours dans cette idée d’aborder l’harmonie (ou le désaccord) entre l’humain et son milieu naturel que Flaherty se rend deux ans, de 1932 à 1933, sur les îles d’Aran pour y tourner L’Homme d’Aran, considéré encore aujourd’hui comme l’un des plus grands documentaires de l’histoire du cinéma : les hommes y luttent chaque jour pour leur survie dans un milieu hostile et Flaherty invente l’anthropologie cinématographique.

Moins de cinq ans plus tard, John Millington Synge écrit la pièce à l’origine de l’opéra Riders to the Sea qui commence la semaine prochaine à l’Athénée : il a vécu trois ans sur l’une des îles d’Aran et y situe l’action de Riders to the sea. Pêcheurs perdus en mer, tempête et rochers sont au cœur de l’opéra qui évoque avec intensité la violence des conditions de survie sur ces îles à la fois impitoyables et féeriques.

Lundi soir à 20h, vous pourrez voir au cinéma Le Balzac, dans le 8e arrondissement de Paris, l’immense Homme d’Aran de Flaherty : faites d’une pierre deux coups et découvrez des extraits de Riders to the sea interprétés avant la projection par l’équipe du spectacle...

L'opéra Riders to the sea commencera mercredi à l’Athénée dans la mise en scène de Christian Gangneron et la direction musicale de Jean-Luc Tingaud : le spectacle dure une heure, et des extraits et photos sont disponibles sur le site de l’Athénée.

Bon week-end avec Cosi fan tutte à l’Athénée et à la semaine prochaine pour L’Homme d’Aran et les débuts de Riders to the Sea !

Pleins feux

Irish Plays

Posté le : 16 mars 2009 08:06 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Riders to the sea

Beckett, Saint Patrick, Synge : il y a au moins trois Irlandais à l’Athénée -sans compter ceux qu’il y a parmi les spectateurs, vous vous en doutez : d’ailleurs, que ceux-ci n’hésitent pas à se manifester, de préférence en anglais (croire que je maîtrise le gaélique serait vraiment se leurrer…)


Samuel Beckett, vous connaissez : l’auteur d’En attendant Godot est régulièrement programmé à l’Athénée, et présentement jusqu’au 28 mars dans la mise en scène de Bernard Levy.


Saint Patrick, vous avez sans doute une petite idée : ordonné évêque en Gaule au 5e siècle, Patrick évangélisa l’Irlande et y organisa l’Église. Sa vie est l’objet de nombreux mythes difficiles à vérifier, mais toujours est-il qu’il est aujourd’hui le saint patron de l’Irlande dont la date de la fête nationale a été fixée le jour de la sienne.
La Saint Patrick est ainsi l’objet de joyeuses festivités célébrées par les Irlandais du monde entier, et vous avez sans doute en tête des images de trèfles à trois feuilles, vêtements verts, chopes de bières ou bouteilles de whisky irlandais.

La Saint Patrick est le 17 mars, c’est-à-dire demain : l’Athénée ne pouvait pas accueillir une pièce de Samuel Beckett sans fêter sa patrie, aussi ceux qui viendront voir En attendant Godot demain soir auront-ils le privilège de se faire offrir quelques surprises et de fêter l’Irlande au bar à l’issue de la représentation!


Sur John Millington Synge enfin, vous en savez peut-être un peu moins : l’auteur du Baladin du monde occidental a également écrit Cavaliers de la mer, adapté en musique par le compositeur britannique Ralph Vaughan Williams.
Pour voir le théâtre musical de  Riders to the sea mis en scène par Christian Gangneron, rendez-vous à l’Athénée dans trois semaines !


Bonne veille de Saint Patrick, et à demain!

 

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