Jessica Perrin interprète le rôle de la jeune fille dans Minetti actuellement joué à l’Athénée: quasiment muette, la jeune fille écoute Minetti assise sur un canapé de l’hôtel d’Ostende où celui-ci attend le directeur de théâtre de Flensburg.
Jessica Perrin - Minetti - Athénée Théâtre Louis-Jouvet
«_ J’ai tendance à penser que les rôles d’écoute, sous leur apparente simplicité, sont en fait les plus difficiles: comment as-tu travaillé ton personnage?
_ J’ai d’abord beaucoup lu le texte pour bien le comprendre et l’intégrer: en fait, je connais celui de Serge Merlin par cœur, mais c’est valable pour tous les rôles. C’est essentiel de connaître le texte de ton partenaire pour pouvoir travailler avec l'autre et réagir justement, voire pallier un éventuel trou… La quantité de texte de l'acteur ne signifie pas grand-chose: ce qui compte, c'est surtout la qualité du texte et l'interprétation de l'acteur. Pour mon personnage, je devais travailler ma présence scénique et son univers.
Pour chaque personnage à interpréter, il faut pouvoir s'exprimer avec son corps et son regard. Dans Minetti d’ailleurs, les regards que lance la jeune fille éveillent l’attention des spectateurs, c’est-à-dire que son attitude à elle peut les engager à être particulièrement attentifs à un moment ou à un autre du texte de Serge Merlin: c’est en tout cas en ce sens que nous avons travaillé avec Gerold Schumann, le metteur en scène.
C’est vrai que, lorsqu'on a un texte important, on peut plus facilement se cacher derrière -comme dans la vie où, lorsqu'on manque de confiance, on a tendance à se dissimuler derrière un flot de paroles. Pour interpréter la jeune fille, c’était vraiment difficile au début de trouver la justesse, car on a très peu de renseignements sur elle dans le texte: on sait qu’elle a un amoureux de dix-sept ans, qu’elle a deux frères, qu’elle aime la musique et que son père était conducteur de train à Liège, mais c’est tout! J’ai donc imaginé sa vie afin d’appuyer mon jeu..
_ Alors pour toi, comment s’appelle-t-elle, quel âge a t-elle, que fait-elle dans cet hôtel?
_ Elle s’appelle Clarisse, elle a quinze ans, elle aime le jazz, sa mère était couturière mais elle est décédée dans un accident. Et si elle a quitté Liège, c'était pour suivre son amoureux mais aussi parce que, sa mère étant morte, son père toujours sur les rails et ses grands frères travaillant loin, rien ne l’y rattachait plus. J'ai décidé qu'elle était femme de chambre dans l'hôtel où se déroule la pièce afin de justifier le fait qu'elle y reste si longtemps sans aucune gêne.
Là, elle a terminé son service et s’est mise dans un coin désert de l’hôtel pour attendre son amoureux qui est aussi l’extra de l’hôtel, celui qui sert le champagne à la dame en rouge au début de la pièce. Vu son métier et l’âge avancé de la population de l’hôtel, elle a l’habitude que des personnes âgées viennent lui parler: c’est pour cela qu’elle n’écoute pas spécialement Minetti au début.
_ Mais son attitude va changer petit à petit..
_ Oui: de l’indifférence, elle passe à l’écoute puis à la sympathie. Et même si elle laisse Minetti pour courir dans les bras de son amoureux lorsqu’il arrive, elle lui donne tout de même son poste de radio pour qu’il ait de la musique...
Serge Merlin et Jessica Perrin - Minetti - Athénée Théâtre Louis-Jouvet
NB : admirez l'effet de la poursuite précédemment évoquée sur le visage de Serge Merlin
_ Thomas Bernhard avait-il indiqué que la jeune fille lisait un journal ou est-ce vous qui l’avez ajouté?
_ Gerold Schumann, le metteur en scène, l’a ajouté -c’est un magazine de 1976 consacré au réveillon! Dans le texte de Bernhard, la jeune fille a sa radio sur ses genoux et la regarde: Gerold estimait que cela lui donnait un côté un peu trop autiste, alors il a préféré le journal pour qu’elle soit une jeune fille comme les autres, une jeune fille avec ses préoccupations, son univers. C’est la jeunesse qui ne s’intéresse pas tellement à la vieillesse...
_ La jeune fille signifierait donc l’incommunicabilité entre la jeunesse et la vieillesse?
_ De manière plus générale, Minetti est une pièce sur la solitude. Pendant trente ans, Minetti a vécu dans la mansarde de sa soeur sans parler avec qui que ce soit. Arrivé dans cet hôtel d’Ostende, la dame en rouge ne lui répond quasiment pas, il y a peu d’échanges avec le portier et l’extra, les gens qui passent font la fête entre eux… La jeune fille s’intéresse un peu plus à lui, mais elle le quitte précipitamment quand son amoureux arrive… C’est une pièce assez pessimiste où l’on est toujours seul au monde même si on lie quelques amitiés fugaces…
Mais c'est peut-être à relier avec l'oeuvre de Thomas Bernhard dans sa globalité. Autrichien du 20e siècle, il est bien conscient que si l'homme est capable du meilleur, il est aussi capable du pire. La présence de la jeune fille me semble cependant être un message d’espoir: dans ce monde déglingué où tous portent des masques, y compris la dame en rouge qui parle d’aller se coucher avec un masque de singe et Minetti avec son masque de Lear fait par Ensor, elle est la seule à ne pas trouver cela nécessaire. Lorsque Minetti lui demande quel masque elle portera au bal de la saint-sylvestre, elle répond qu’elle n’en mettra aucun. Être pur peut suffire, et il n’est pas forcément nécessaire de se cacher pour exister...»
Minetti se joue encore plus d’une semaine. Bon week-end à tous!