Hors-jeu - Interview !
Catégorie : Les Mains sales
Nils Öhlund est l’acteur qui interprète Hugo dans Les Mains sales de Jean-Paul Sartre qui se joue en ce moment à l’Athénée dans la mise en scène de Guy-Pierre Couleau. Conversation dans sa loge avant une représentation :
«_ Tu as l’air fatigué…
_ Oui, il y a Les Mains sales bien sûr, mais je m’occupe en plus de la production d’Une Maison de Poupées d’Ibsen que je mettrai en scène l’année prochaine : on le jouera à l’Athénée en mai 2010, d’ailleurs.
_ Puisque la présentation de la saison 2009-2010 de l’Athénée a lieu ce soir à 18h30, parlons un peu de Maison de Poupées... Pourquoi avoir voulu mettre ce texte en scène?
_ J’ai toujours voulu faire de la mise en scène. Comme pièce, je voulais choisir quelque chose de personnel, réalisable et en fonction d’acteurs précis, et je suis tombé sur ce texte qui constituait le terrain le plus proche de moi, d’autant qu’il rappelle mes origines scandinaves... J’ai un rapport très personnel à ce texte tout comme aux acteurs que j’ai choisis: tout se connecte, et il y a pour moi une nécessité de le monter, de raconter tout cela. Quand tu montes un Shakespeare, tu es plus ou moins obligé de te projeter: là, je suis dans quelque chose d’intime qui concerne la famille, le mensonge, le compromis… C’est une sorte de chronique de la vie conjugale, pour plagier Bergman…
Être acteur et metteur en scène sont deux choses intimement liées pour être metteur en scène je me nourris de mon parcours d’acteur, et j’essaie de creuser l’art du jeu en faisant de la mise en scène. Cela fait vingt ans que je fais du théâtre, et l’on pourrait croire qu’on accumule beaucoup de choses, alors qu’en fait il faut en lâcher beaucoup, se dépouiller… Je préfère me rendre disponible pour le spectateur, qu’il soit attiré par la part de mystère plutôt que de lui donner trop de signes: cela passe par du micro-travail, c’est de la dentelle, mais si le jeu est incarné et juste, tout se voit. Finalement, sur scène, les choses les plus fabriquées, les plus grosses, sont peut-être les moins visibles. Pour moi, il ne faut pas vouloir capter les regards: juste se laisser regarder plutôt que vouloir être regardé...
_ On te parle souvent de ton physique en tant qu’acteur, non? Ce n’est pas gênant?
_ C’est ça, remets-en une couche! Cela fait forcément plus plaisir qu’une lycéenne me dise que je suis beau à une rencontre que l’inverse, mais je ne me raccroche pas du tout à cela, pas du tout… J’ai mis quinze ans à accepter d’avoir un physique de jeune premier.
Mais ce qui est important, c’est Hugo, mon personnage dans Les Mains sales : l’essentiel chez lui, c’est sa jeunesse, sa sincérité, et je ne voulais pas passer à côté de cela. J’ai donc renoncé à lui donner la maturité que je peux avoir. L’émotion de Hugo, il faut qu’elle jaillisse à mon corps défendant.
Tu sais, souvent, les émotions fortes qu’on éprouve dans la vie, c’est quand on est touché sur une partie de notre enfance, quand l’enfant qu’on a gardé en nous est ébranlé : c’est notre socle. Hugo est un garçon pas encore fini, il est en construction, et il le dit qu’il est entre la jeunesse et l’âge d’homme, et il est même embarrassé par sa jeunesse… J’ai donc travaillé en allant contre ce que je suis ou ce que je prétends être, en allant vers la jeunesse…
_ Justement, tu pourrais expliquer un peu comment tu as concrètement travaillé le rôle de Hugo dans Les Mains sales?
_ Sur la proposition de Guy-Pierre Couleau, le metteur en scène, qui sait avoir ce genre d'intuitions très forte, j’ai appréhendé le rôle de Hugo par l’humour et la légèreté -ce qui est également lié à sa jeunesse, d’ailleurs. Il y a tout un travail secret d’appropriation pour faire rencontrer mon expérience avec celle du personnage afin de lui donner chair. Je passe par des choses intimes : c’est ma petite tambouille… Mais ce n’est pas si difficile car c’est un garçon qui aimerait être aimé et qui se bagarre pour cela. C’est Anne Le Guernec, qui joue Jessica, qui le faisait remarquer: Hugo est aimé par Olga, Jessica, Hoëderer et Louis, mais il croit que personne ne l’aime. Et si ce n’est pas si difficile de comprendre ce mécanisme, c’est aussi parce que c’est un ressort de l’acteur fondamental: se mettre devant cinq cents personnes et vouloir être aimé… (Silence) Comment tu vas faire pour réécrire un entretien construit avec tout ce que je te dis?
_ Moi aussi j’ai ma petite tambouille… Disons en tout cas que je ferai cette retranscription très rapidement, pour toujours avoir ta voix dans ma tête. Et donc, puisqu’on parlait de ton physique en tant qu’acteur puis de l’appropriation du personnage de Hugo, est-ce que tu pourrais expliquer comment tu as construit physiquement le personnage ?
_C’est l’intérieur, dont je viens de te parler, qui contamine l’extérieur… Cela passe par le costume, la position, des attitudes.. C’est tout un travail de composition, mais je ne préfère pas parler de ce genre de petits détails parce que j’ai peur que le public ne voie plus que cela après avoir lu cet entretien. Le costume réalisé par Laurianne Scimemi est important, il donne un côté petit étudiant anglais à Hugo.
Il m’a vraiment fallu accepter ma jeunesse pour ce personnage, là où Gauthier Baillot, à mon avis, assoit son jeu pour révéler la maturité de Hoëderer! Nous avons le même âge, et pourtant nos personnages doivent avoir un rapport père/fils. C’est aussi le regard de mon partenaire qui crée mon personnage : le regard que Gauthier et moi nous portons l’un sur l’autre crée cette différence d’âge et ce rapport de filiation…
_ Dans l’entretien qu’il m’a accordé, Guy-Pierre Couleau, le metteur en scène, semblait très touché par ce rapport de troupe que vous avez réussi à créer…
_ Oui, je pense que Guy-Pierre est touché par notre engagement sur le plateau, par notre investissement sur un projet qui venait de lui. Tout ce qu’on fait, c’est pour être moins seul: c’est pour cela que c’est très émouvant quand tout un groupe d’acteurs est sur scène pour ta pièce, pour prolonger ton propre rêve…
_ Tu trouves vraiment que tout ce qu’on fait, c’est pour être moins seul?
_ Oui, dans toute notre relation à l’autre, on est en mouvement pour rencontrer l’autre, toujours… Peut-être que la bataille, c’est aussi le même mécanisme d’ailleurs…
_ Et le théâtre, est-ce un combat?
_ Le théâtre est une bataille contre la facilité, et monter une production est un combat contre les a priori. La scène est un lieu d’action avec des situations et des corps qui agissent et réagissent. C’est pour cela que je préfère le mot d’acteur à celui de comédien: l’expression “jouer la comédie” sous-entend pour moi qu’on revêt quelque chose d’extérieur à soi, comme on enfile un costume ; moi, je préfère la notion d’acte. Mais je ne dirais pas que jouer est une bataille : il y a beaucoup de moments magiques, ces instants ténus où tu es parfaitement en accord avec tes partenaires, où tu es juste au même endroit qu’eux, disponibles pour eux, dans l’écoute absolue de l’autre…
_ Et là, si tu arrives à l’Athénée une heure et demie avant la représentation, c’est pour voir les autres?
_ Oui, je suis là pour prendre contact avec les gens, pour savoir ce qu’ils ont vécu depuis la dernière représentation… On se reconnecte pour s’apprêter à vivre la même chose. C’est bien que cela vive avant et après, je n’aime pas que chacun arrive et reparte de son côté, que cela soit pour mes partenaires de jeu comme pour le public. C’est aussi pour cela que je fais volontiers les rencontres avec des spectateurs, que je reste au bar du théâtre après la représentation… Je ne veux pas que le théâtre soit un produit de consommation, et pour moi la rencontre est nécessaire. Lors des discussions avec les spectateurs, je ne suis pas là pour faire un cours théorique sur Jean-Paul Sartre: j’ai autant à apprendre d’eux, j’ai envie de savoir ce qui leur a plu ou déplu… Ces rencontres ne me coûtent pas du tout, au contraire!
_ Qu’est-ce qui est le plus important pour toi, dans Les Mains sales?
_ Tout est relié, c’est difficile d’isoler quelque chose… Le plus important pour moi, c’est un parcours, une évolution, une transformation. Du point de vue de l’enjeu politique de la pièce, Jean-Paul Sartre s’attache à montrer ce qu’il y a d’intime dans l’engagement : nos convictions sont aussi liées à l’intime, à l’enfance, aux névroses..
C’est ce qui est intéressant chez Hugo: c’est lorsque Hoëderer le touche dans ce qu’il a d’intime qu’il passe à l’acte. Mais ce qui ressort peut-être chez Hugo également, c’est qu’on lui a fait confiance et qu’il a l’impression de trahir, de faillir. Comme j’ai fait beaucoup de sport en équipe, j’ai envie de te parler de rugby: c’est comme si Hugo avait supplié pendant tout le match qu’on lui donne le ballon, et que, au moment où on lui passe enfin, il manque l’essai, ou il le réalise en-dehors des règles. Il n’est pas à la hauteur de la responsabilité qu’on lui a donnée. C’est le petit gringalet qui veut absolument qu’on le prenne dans l’équipe…»
Ce soir à 18h30, venez découvrir les spectacles que l’Athénée accueillera à partir de septembre prochain: Nils Öhlund sera sur scène pour présenter sa Maison de Poupées, évidemment entouré de Patrice Martinet, le directeur de l’Athénée, et des autres artistes programmés.
La présentation aura lieu dans la grande salle et sera suivie d’un petit buffet!
Et demain, vous pourrez discuter de la saison avec Patrice Martinet via le nouveau tchat de l’Athénée: messagerie instantanée qui permet de converser par écrit en temps réel, le tchat sera disponible sur le site internet de l’Athénée demain de 17h à 18h!
Les Mains sales reprend demain jusqu’à samedi, et laissera ensuite la place aux Justes de Camus interprété par la même équipe.
Bonne journée...