Entretien avec Paul Golub
Ancien comédien pour le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine, Paul Golub est le directeur du Théâtre du Volcan Bleu et metteur en scène de La Puce à l'oreille de Feydeau actuellement joué à l'Athénée. Conversation mâtinée d'un très léger accent américain :
Le rire et ses petites contrariétés
"_ J'ai été surprise de voir que vous aviez créé des spectacles appartenant à des genres plutôt sérieux, avec des auteurs comme Shakespeare, Edgar Allan Poe, Vercors ou Federico Garcia Lorca, ainsi que des auteurs contemporains tels que Marc Dugowson, Koulsy Lamko ou Mohammed Kacimi. Comment en êtes-vous arrivé à monter du Feydeau?
_ J'ai aussi monté des comédies, avec Le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare ou des farces de Molière, mais c'était il y a longtemps, c'est vrai. J’avais un besoin presque physique de revenir à la comédie et au rire : c’est important pour moi d'alterner les genres et les écritures en essayant de comprendre quel texte ou sujet s’impose comme une nécessité à creuser.
_ Et en quoi La Puce à l'oreille correspondait-elle à vos envies?
_ Dans sa manière de parler du couple, sur comment les gens se rencontrent ou non, se méprennent et se déchirent : elle donne une vision terrifiante des relations humaines! Sous ses abords légers, La Puce à l'oreille interroge des sujets graves, notamment autour de la question du désir et du manque : comment comblons-nous nos désirs dans l'autre et par rapport à l'autre? Si Feydeau en tire une conclusion, c'est une vision très sombre de la rencontre à l'autre! Finalement tout le monde se pourchasse et personne ne fait rien : sexuellement parlant, c'est le vide... C'est une situation qui a son corollaire dans le langage des personnages qui dérape et se dérègle, entraînant des méprises, des quiproquos et une forme d’incompréhension donc de solitude très radicale, à laquelle l’être humain est réduit.
_ Quelque part, vous vous inscrivez donc en faux par rapport à une certaine vision du rire : car beaucoup d'amateurs de théâtres déprécient les comédies sous prétexte que cela n'est que du divertissement…
_ Oui, et si je peux me permettre, c'est un peu caractéristique de la France. Chez les Anglo-saxons, il n'y a pas de jugement de valeur séparant comédies et tragédies, et d'ailleurs Shakespeare mélange toujours les deux! J'ai l'impression, même si je ne suis pas spécialiste de la question, que cela tient à la domination des règles et du ton néoclassiques, avec l’idée, un peu hautaine, que la comédie est une sorte de sous-produit culturel. Je pense au contraire que Feydeau est un génie et qu’il n’y a rien de plus noble et plus difficile que de faire rire les gens.
L'inquiétant Feydeau
_ Justement, qu'est-ce qui différencie Feydeau des auteurs de théâtre de boulevard que l'on ne joue plus aujourd'hui? Est-ce parce qu'il soulève des interrogations que le boulevard n'aborde pas habituellement?
_ Feydeau et le théâtre de boulevard abordent effectivement la même thématique des problèmes amoureux et de la tromperie, mais il y a chez Feydeau une préoccupation très profonde et urgente avec un vrai souci d'identité : il a connu un divorce très douloureux, ne savait pas qui était son père et est mort fou en se prenant pour Napoléon III -qui était peut-être son vrai père, d'ailleurs. Dans ses pièces, la question de la folie est omniprésente. En somme, on retrouve toutes ses problématiques dans son théâtre où, en prenant une forme théâtrale conventionnelle et préexistante, le vaudeville, Feydeau fait quelque chose de très personnel, d’unique et de quasiment miraculeux dans la finesse et la complexité de sa construction.
_ Vous êtes donc sensible à l'interprétation psychanalytique des œuvres artistiques, comme Sigmund Freud avait pu le faire avec Léonard de Vinci ou Gustav Mahler?
_ La psychanalyse et la psychologie peuvent être très réductrices en matière d'art : il y a tout un tas de gens qui ont des problèmes et qui ne sont pas des génies! Mais cela convient bien à La Puce à l'oreille où le personnage principal, Chandebise, a un sosie qui apparaît dans l'hôtel : Freud parlait justement dans L'inquiétante Étrangeté du double qui surgit dans la vie ordinaire (et qui peut être un autre soi-même, d'ailleurs), créant ainsi un sentiment d'inquiétude. De même, il y a tout un dédoublement entre l'appartement et l'hôtel qui est le lieu de tous les fantasmes, la face cachée de la vie bourgeoise que Feydeau critique de manière très virulente.
Puce-moumoute
_ On l'a vu sur ce blog la semaine dernière, vous avez utilisé beaucoup de matières différentes à poils, à plumes et à moumoute pour votre décor : pourquoi tout ce travail sur le toucher?
_ Je me suis notamment inspiré des photos de Bettina Rheims pour ce décor. Cette pièce est aussi une description sociale du milieu de la haute bourgeoise française et dépeint les mœurs d'une époque, même si ce n'est pas traité de manière réaliste, ou plutôt naturaliste : je souhaitais mettre en avant ce souci du détail propre aux intérieurs bourgeois en insistant sur l'hôtel qui reste le lieu de l'outrancier, kitsch, tout en le modernisant en reflet de notre époque."
Pour attraper la puce à l'oreille, c'est jusqu'au 7 février à l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet! Bonne journée.