le blog de l'athénée

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La corde verte du lapin qui siffle

La jupette 51 en forme de banane fait fondre les gélatines à 6000 degrés Kelvin

Posté le : 23 oct. 2008 08:17 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : L'opéra de 4 notes

La première de L’Opéra de quatre notes a bien eu lieu hier soir, et dans la bonne humeur (j’avoue, les rires de certains spectateurs sont tellement caractéristiques que parfois je ne savais plus si ce qui me faisait rire était sur scène ou dans la salle, mais je m’égare).
Bref disais-je, ceux qui étaient présents ont pu entr’apercevoir ce qui fait les coulisses d’un opéra sur le principe de la mise en abyme, mais plutôt côté chanteurs. Pour ma part, lors des diverses répétitions et montages, j’ai aussi vu le côté technique et son petit vocabulaire, employé dans un certain contexte et pas toujours défini de manière orthodoxe. Voici donc ce que l'on a pu entendre ces derniers jours :

"_ Tu peux pivoter le projecteur de ce côté-là ?
_ Non, si je fais ça, je vais retourner la banane."
Définitions compilées de Gérard Vendrely, créateur lumières de L'Opéra de quatre notes, et de Denis Léger, directeur technique de l'Athénée : "le projecteur diffuse une lumière de forme oblongue. Ou, plus exactement, le rond de lumière qui apparaît au sol est plus intense dans une partie centrale en forme d'ovale, et c'est cette partie que l'on appelle banane."
Confidence de Dominique Lemaire, directeur technique de l'Athénée adjoint : "franchement, on appelle ça comme ça, mais ça n'a pas du tout une forme de banane, ou alors tu manges vraiment des bananes bizarres"

Voix d'homme : "_ Qu'est-ce que tu penses de ma jupette?
_ Pardon, c'est vrai que je ne t'ai rien dit sur ta jupette alors qu'elle est très bien, cette jupette."
Définition de Denis Léger : "une jupette est une bande de tissu servant à cacher quelque chose."
Précision de Dominique Lemaire : "c'est exactement comme pour les filles, en fait."

"_Elles sont bien ces lumières, ça me fait penser au 51.
_ Oui c'est vrai, ça me rappelle des souvenirs."
Définition de Denis Léger : "Le 51, c'est le rose mistinguette qui donne bonne mine"
Remarque indispensable de Dominique Lemaire : "Alors que le bleu 17, c'est la lumière du jour."
Prise de conscience de Denis Léger : "Dominique, je crois qu'elle comprend rien, là."
Effort de Dominique Lemaire : "on peut mettre des filtres sur les projecteurs afin de donner des couleurs à la lumière, et chaque couleur a son nuancier avec un numéro pour chaque teinte. Le bleu 17 et le rose 51 correspondent aux nuanciers des gélatines, ces petites feuilles translucides de couleur que tu mettais sur les projecteurs."
La petite pédagogie de Denis Léger : "le problème des gélatines, c'est qu'elles ne résistaient pas à la chaleur et fondaient sur les projecteurs. On utilise donc aujourd'hui des filtres, qui sont plus fins, durent plus longtemps et présentent beaucoup plus de nuances de couleurs que les gélatines. Le rose 51 et le bleu 17 n'existent donc plus en tant que tels."
Je sens que Dominique Lemaire cherche à m'embrouiller : "il y a également des filtres correcteurs qui te permettent de modifier la température de chaque nuance de couleur afin de créer une couleur beaucoup plus fine. Plus la température est élevée, plus c'est bleu. Plus elle est basse, plus c'est rouge. Par exemple, la lumière du matin est à 6000 degrés, alors que la lumière du coucher de soleil est à 2500 degrés. Je te parle en degrés Kelvin, bien sûr.
Complément de Denis Léger, qui lui aussi, cherche manifestement à m'embrouiller : "on ne parle pas en degrés Fahrenheit ni Celsius, effectivement."
Dominique Lemaire a raté une carrière de professeur : "Kelvin est un scientifique irlandais extrêmement brillant qui a mis au point une mesure de la température. C’est lui qui a inventé le zéro absolu : en fait, quand la température monte, les électrons s’agitent autour de l’atome. Le zéro absolu, c’est quand les électrons s’arrêtent complètement autour de l’atome : cela correspond à -273,15 degrés celsius, mais c’est une température que l’on n’a jamais pu atteindre sur terre, c’est l’un des grands défis de la physique !"

Je vous passe ensuite les développements qui ont suivi sur l’accélérateur de particules et le thermomètre à confiture (cette fois c’est sûr, il voulait vraiment m’embrouiller).

Pour L’Opéra de quatre notes, c’est jusqu’à samedi, et je vous souhaite un bon jeudi!

Pleins feux

Quatre notes et des lumières

Posté le : 22 oct. 2008 09:33 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : L'opéra de 4 notes

Entretien avec Paul-Alexandre Dubois

Paul-Alexandre Dubois est chanteur et metteur en scène de L'Opéra de quatre notes, et c'est en regardant Marie-Noëlle Bourcart, régisseure générale à l'Athénée, s'attelant à la mise en place des projecteurs avec Gérard Vendrely, créateur des lumières, que nous avons pu avoir une conversation entrecoupée de "c'est ce projecteur-là ou pas? Ah non celui-ci il faut juste le remettre de face" ou "tu veux pas que je te desserre la poignée?".

Opéra de quatre notes 1

L'Opéra de quatre notes commence dans une cave de Besançon. Une aide de l'Arcadi permet de jouer le spectacle en Île-de-France tout en menant des interventions pédagogiques dans les écoles afin de sensibiliser à ce qu'est l'opéra.

"_ On vous pose donc la question, Monsieur Dubois, qu'est-ce que l'opéra ?
_ C'est un théâtre où la façon de parler est traitée majoritairement dans une optique musicale.
_ Ce qui est une définition très claire pour un élève de CE2.
_ Oui bon, c'est un spectacle où le texte est plus souvent chanté que parlé, c'est mieux là?

(Pendant ce temps, Marie-Noëlle Bourcart monte tranquillement vers les projecteurs)

Opéra de quatre notes 2

_ Au-delà des définitions, je veux que le maximum de gens se sentent invités. Il y a encore de gros clichés sur l'opéra, et parce que c'est marqué "opéra", beaucoup de gens refusent de venir au spectacle. On ne peut pas reprocher à quelqu'un d'être ignorant, en revanche ce genre d'attitude m'agace lorsque je la trouve chez les personnes qui sont dans une position d'éducateur : certains ne veulent pas connaître l'opéra pour ne pas avoir à le transmettre…

(j'ai le mal de mer pour Marie-Noëlle)

Opéra de quatre notes 3

_ Et vous avez choisi un opéra sur l'opéra dans l'espoir de conjurer ce mauvais sort?
_ Je l'ai surtout choisi parce que je le trouvais drôle et parce que cette oeuvre contient en elle-même à la fois l'amour et la critique de l'opéra.

_ Qu'est-ce qui est critiquable, dans l'opéra?
_ Il y a quelque chose qui pourrait toucher à la pornographie dans l’opéra (plus tard, Paul-Alexandre Dubois gémira : "non mais quand je pense qu'elle a réussi à me faire parler de pornographie !"). Ce que je veux dire, c'est que le chant extériorise quelque chose d'intérieur, une matière intime, et que cette extériorisation apparaît parfois comme obscène. Et le pire, c'est qu'en plus le chanteur fait comme s'il ne chantait pas! Car l'opéra est fondé sur cette convention incroyable : on chante en faisant comme si de rien n'était. Pourtant le chanteur lyrique ne parle pas, il chante, et il chante d'une manière qui peut faire peur -j'ai déjà fait pleurer des enfants comme ça!

(Moi, c'est Marie-Noëlle qui commence à me faire peur avec son projecteur)


Opéra de quatre notes 4


_ Rassurez-moi, vous ne comptez pas faire pleurer tout le monde demain soir?
_ Ah non! Certes, c'est un opéra qui parle de lui-même, du temps et de l'art, et je crois même que, quelque part, Tom Johnson l'a écrit pour déplaire. Mais malgré la gravité fondamentale du sujet, c'est une oeuvre pleine d'humour qui se moque aussi d'elle-même."

(Quand j'ai dû laisser Paul-Alexandre Dubois se préparer, Marie-Noëlle et Gérard Vendrely en étaient là:

Opéra de quatre notes 5


Soeur Marie-Noëlle voyait-elle quelque chose venir? Une chose est sûre, les lumières de L'Opéra de quatre notes sont maintenant prêtes et les sièges n'attendent plus que vous! A ce soir, et bon mercrely.)

Perspective

Une porte peut être ouverte ou bleue

Posté le : 21 oct. 2008 08:31 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : L'opéra de 4 notes

L'étymologie du mot "ouvreur" n'est pas clairement établie : un sens attesté en 1572 le définit comme un ouvrier qui ouvre la soie pour devenir, après la première révolution industrielle, une machine à éplucher le coton. Mais dès 1611, on parle également de celui qui ouvre les portes, dont les portes des loges de salles de spectacle.

On ne sait donc pas réellement si le mot provient d'ouvrier ou d'ouvrir : c'est de toutes façons un ouvrier qui vous ouvre, d'où, peut-être, les salopettes dessinées par Agatha Ruiz de la Prada pour les ouvreurs de l'Athénée -certains spectateurs ne se sont en effet pas privés de faire remarquer la dimension "travailleur manuel" des tenues en question, qu'elle leur plaise ou non.

Habillés par de grands couturiers, les ouvreurs de l'Athénée ne sont donc pas tout-à-fait des ouvriers comme les autres. Ils sont là pour vous accueillir, vous donner un programme, vous placer, vous renseigner et, parfois écouter vos confidences ou coups de colère : donc les portes s'ouvrent, et les spectateurs aussi.

Ici, les ouvreurs vont sont offerts : pas de pourboires à donner, ils sont rémunérés par l'Athénée. Plus ou moins initié par Jean Vilar en tant que directeur du Théâtre National Populaire de Chaillot à Paris, ce principe de gratuité est partagé par tous les théâtres publics français, et il est ainsi hors de question que vous payiez autre chose que votre place, vos consommations au bar et votre trajet jusqu'au théâtre, tout cela dans l'idée de faciliter l'accès de tous à la culture.

La salle à l'italienne de l'Athénée, toute en dorures et en velours rouge, jure étrangement avec cette gratuité, et l'on oublie souvent qu'ici, le vestiaire n'est pas à payer. Je vous en parlais le 26 septembre, le principe de la salle à l'italienne ne s'inscrit pas franchement dans les principes d'égalitarisme républicain et de démocratisation théâtrale : une salle à l'italienne est conçue pour que les spectateurs soient vus, là où les salles frontales construites dans la deuxième moitié du vingtième siècle sont censées permettre à tous de voir le spectacle de la même manière. L'Athénée ne manque pas de charme, mais la visibilité est parfois bien peu optimale : l'équipe du théâtre essaierait donc de se faire pardonner en vous offrant les programmes et douze ouvreurs dirigés par Aline, directrice de salle...

Si vous venez mercredi à L'Opéra de quatre notes, vous les verrez en costumes de première. Si vous voulez contempler les salopettes, c'est pour la suite des représentations qui auront lieu jusqu'à samedi!

Bon mardi.

 

PS : J'emprunte mon titre et son jeu de mots à la spiritualité indubitable (si si) à Pierre Desproges dans son spectacle de 1988.

 

PS du 26 février 2009 : une interview d'Agatha Ruiz de la Prada est parue sur ce blog le 24 février! Pour la lire, cliquez ici.

Pleins feux

"Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre mais nous l'avons oublié."

Posté le : 20 oct. 2008 08:41 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : L'opéra de 4 notes

La sortie du Chanteur de jazz (Jazz Singer) en 1927 fait passer le cinéma du côté du parlant -ou plutôt du chantant, car le film est une comédie musicale avec peut-être une minute de passages parlés au total. Neuf ans plus tard, Charles Chaplin sort lui aussi du cinéma muet par la chanson : c'est dans Les Temps Modernes où il entonne un air aux paroles inintelligibles -entrer dans le présent par une langue inconnue était sans doute le plus approprié pour un Charlot devenu universel.

Le Dictateur continue la révolution en faisant presque table rase : Charles Chaplin s'installe dans le cinéma parlant en même temps qu'il abandonne le personnage de Charlot qui a fait sa renommée. Chaplin interprète à la fois le dictateur et un barbier, et Charlot est toujours présent par petites touches dans ce dernier avant de définitivement s'effacer dans le discours final : c'est la première fois que Charles Chaplin parle, et c'est la dernière fois que Charlot apparaît.

Appel au réveil des démocraties autant que charge violente contre la dictature, le discours paraîtrait naïf aujourd'hui si l'on oubliait le contexte du film, sorti en 1940 à une époque où les Etats-Unis se tiennent à l'écart des troubles européens et où la France et la Grande-Bretagne sortent à peine de la "drôle de guerre" : Charles Chaplin ne parlerait jamais pour ne rien dire...

Son film suivant, Monsieur Verdoux, continue donc dans le parlant en évoquant la crise financière : Henri Verdoux, employé de banque parisien réduit au chômage après la crise de 1929, décide de gagner sa vie en épousant de riches dames âgées qui meurent rapidement après les noces -pour surmonter la crise actuelle, vous savez ainsi ce qu'il vous reste à faire.

Le Dictateur et l'Athénée donc, quel rapport? Après L'Opéra de quatre notes joué à partir de mercredi, c'est Le Tribun / Finale qui prendra la relève la semaine prochaine.
Dans le style du théâtre musical, ces deux pièces écrites et composées par Mauricio Kagel (Le Tribun en 1978, Finale en 1981) n'hésitent pas entre texte et musique pour lier indissolublement les deux. Posant également la question de la tyrannie et de la soumission, Le Tribun et Finale opèrent, pour reprendre les mots de Bernard Bloch, l'acteur unique des deux pièces, une "déconstruction poétique du politique" en montrant combien la démagogie et le populisme sont aussi fondés sur la musique d'un discours.

Le théâtre musical de Mauricio Kagel monté par Jean Lacornerie résonne ainsi étrangement avec Le Dictateur de Charles Chaplin : le film est projeté ce soir à 20h30 au cinéma Le Balzac, situé rue Balzac dans le 8e arrondissement de Paris. Seront présents à cette projection l'acteur et les musiciens du Tribun et de Finale, Bernard Bloch et L'Ensemble 2e2m.

Bon film, bon lundi et, pour la première de L'Opéra de quatre notes, à mercredi!

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