le blog de l'athénée

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Coup de théâtre

Avant le démantèlement

Posté le : 17 mai 2018 22:35 | Posté par : Clémence Hérout
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23 rue Couperin se joue jusqu’à samedi à l’Athénée. Le spectacle part de l’expérience de son auteur et metteur en scène Karim Bel Kacem, qui explique que c’est la destruction programmée des barres d’immeubles du quartier d’Amiens Nord, où il a grandi, qui a constitué le point de départ du spectacle :

« il s’agit de profiter de que ce qui est appelé à disparaître en tant qu’espace uniforme, et d’interroger les gens avant l’éclatement. J’anticipe une forme d’introspection, car il y a plus de choses à observer maintenant, aux portes du démantèlement, qu’après le démantèlement — même si j’aurais aussi pu réaliser le projet après l’éclatement des barres. Qu’est-ce que la prévision du démantèlement crée chez les gens ? »


 (c) Isabelle Meister
 
 
Pour autant, Karim Bel Kacem ne souhaite pas définir son travail comme du théâtre documentaire : « je n’ai rien contre le théâtre documentaire. C’est simplement que, dans l’expression scénique, je ne souhaitais pas adopter cette forme ». Il emploie en revanche le terme de « théâtre documenté », car le spectacle utilise bien un matériau documentaire.

Pour écrire le texte et le spectacle, Karim a ainsi mené des entretiens avec les gens du quartier, mais aussi des bandes vidéos tournées par un couple d’Amiénois qui a créé l’association Canal Nord en 1984, au 9e étage de la barre Couperin. Si Karim ne connaît pas le but initial de leur démarche, ces deux personnes ont filmé le quartier pendant vingt ans.

« Ils ont TOUT filmé, y compris des choses anecdotiques. J’ai regardé les bandes en sélectionnant des extraits qui me touchaient, sachant que je voulais aussi donner à entendre les habitants de chacune des barres et des gens d’âges, origines, conditions… différents. Mais même un extrait où quelqu’un commente juste les flocons de neige qu’il voit par la fenêtre, ça me touche. »

Quant aux entretiens, ils ont été menés sans grille de questions prédéterminées et ont visé autant des copains d’enfance de Karim que l’aujourd’hui député François Ruffin, le représentant de la communauté des harkis ou un ancien maire adjoint. Ces interviews ayant été filmées, Karim confie sa volonté d’en faire une exposition. « En tout cas, je voulais partir de l’individu pour aller vers le collectif ».

Karim souligne aussi qu’il souhaite développer un « regard idiot » : nous verrons plus en détail ce qu’il veut dire dans le prochain article, sachant qu’il ne reste plus que deux représentations de 23 rue Couperin qui se termine ce samedi !

Bonne soirée.

Clémence Hérout

Entretien

Les pigeons sont nos amis

Posté le : 15 mai 2018 21:30 | Posté par : Clémence Hérout
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La première de 23 rue Couperin a eu lieu ce soir.
Une heure avant le début du spectacle, je filmais au bar de l’Athénée l’éleveur d’oiseaux Tristan Plot avec Mimosa, l’un de ses pigeons -car oui, des oiseaux jouent aussi dans le spectacle.

Nous avons parlé avec Tristan de la façon dont il éduque ses oiseaux, comment il vit avec eux, des différences entre espèces, et bien sûr de cette question fondamentale : les pigeons sont-ils vraiment aussi cons qu’on le dit ?


La vidéo a été diffusée en direct sur Facebook et Twitter, et est disponible en différé sur YouTube.
 
 
23 rue Couperin écrit et mis en scène par Karim Bel Kacem et dirigé par Alain Franco et l'ensemble Ictus se joue jusqu’à samedi !

 
Clémence Hérout

D'hier à aujourd'hui

Restez avec moi

Posté le : 09 mai 2018 19:45 | Posté par : Clémence Hérout
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Le lundi est souvent musical à l’Athénée : lundi prochain, rendez-vous donc avec un pianiste, un baryton et un altiste (Tanguy de Williencourt, Edwin Fardini et Adrien La Marca) pour des œuvres de Franz Liszt, Guy Ropartz, Johannes Brahms et Gustav Mahler, toutes composées sur des poèmes.
On retrouve ainsi les auteurs Henrich Heine chez Liszt et Ropartz, et Friedrich Rückert chez Brahms et Mahler.

Journaliste et poète considéré comme l’un des grands écrivains de l’Allemagne du 19e siècle, Henrich Heine s’installa en France après avoir fui l’Allemagne, où il fut beaucoup attaqué pour ses origines juives et ses prises de positions politiques notamment publiées dans le quotidien Allgemeine Zeitung.

 

Heinrich Heine sur une ancienne pièce allemande de 10 marks éditée en 1972

 
Lizst a par exemple choisi le poème Ein Fichtenbaum steht einsam publié dans le recueil Intermezzo lyrique dont je vous livre la traduction en français réalisée par Jacky Lavauzelle.

Un sapin reste seul
Au nord du sommet décharné.
Il dort dans sa couverture blanche
De glace et de neige.
Il rêve d’un palmier,
Là-bas, dans le lointain orient,
Solitaire et pleurant en silence
Sur sa paroi rocheuse brûlante.

Pour le plaisir de la comparaison, voici la traduction de Gérard de Nerval :

Un sapin isolé se dresse sur une montagne aride du Nord. Il sommeille ! la glace et la neige l’enveloppent d’un manteau blanc.
Il rêve d’un palmier, qui, là-bas, dans l’Orient lointain, se désole solitaire et taciturne sur la pente d’un rocher brûlant.


Friedrich Rückert était quant à lui un professeur d’université dont on dit qu’il maîtrisait quarante-quatre langues (je vous laisse trois secondes pour crier en silence). Ses poèmes ont beaucoup été adaptés en musique, notamment par Schubert, Robert et Clara Schumann ou Richard Strauss.
Très affecté par la mort de deux de ses enfants, il écrit le recueil Chants des enfants morts, dont cinq poèmes sur les quatre-cent-vingt-huit seront mis en musique par Mahler, contre l’avis de sa femme Anna qui s’interrogeait sur l’opportunité de tenter le diable en composant des chants funèbres sur la mort d’enfants quand on en a soi-même, des enfants.

 

 Statue représentant Friedrich Rückert dans la ville de Schweinfurt en Bavière (Allemagne)
 

Voici la traduction collective (disponible sur wikisource) des deux derniers poèmes choisis par Mahler.

IV
Souvent je pense qu’ils sont seulement partis se promener,
Bientôt ils seront de retour à la maison.
C’est une belle journée, Ô n’aie pas peur,
Ils ne font qu’une longue promenade.
Mais oui, ils sont seulement partis se promener,
Et ils vont maintenant rentrer à la maison.
Ô, n’aie pas peur, c’est une belle journée,
Ils sont seulement partis se promener vers ces hauteurs.
Ils sont seulement partis avant nous,
Et ne demanderont plus à rentrer à la maison,
Nous les retrouverons sur ces hauteurs,
Dans la lumière du soleil, la journée est belle sur ces sommets.

V
Par ce temps, par cette averse,
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors.
Ils ont été emportés dehors,
Je ne pouvais rien dire !
Par ce temps, par cet orage,
Jamais je n’aurais laissé les enfants sortir,
J’aurais eu peur qu’ils ne tombent malades ;
Maintenant, ce sont de vaines pensées.
Par ce temps, par cette horreur,
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors.
J’étais inquiet qu’ils ne meurent demain ;
Maintenant, je n’ai plus à m’en inquiéter.
Par ce temps, par cette horreur !
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors !
Dehors ils ont été emportés,
Je ne pouvais rien dire !
Par ce temps, par cette averse, par cet orage,
Ils reposent comme dans la maison de leur mère,
Effrayés par nulle tempête,
Protégés par la main de Dieu.

Pour entendre ces textes en langue originale et chantés par Edwin Fardini, c’est ce lundi 14 mai à l’Athénée !

Bonne fin de semaine.
 
Clémence Hérout

Perspective

Occupés à des choses qui ne servent à rien

Posté le : 04 mai 2018 06:00 | Posté par : Clémence Hérout
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L’Athénée accueillera bientôt le spectacle 23 rue Couperin, qui porte sur une cité d’Amiens nord en particulier et sur la banlieue en général.
C’est en prévision de ce spectacle qu’était organisée une rencontre sur l’architecture et la banlieue il y a trois semaines à l’Athénée. Y participaient Karim Bel Kacem, auteur et metteur en scène du spectacle, Patrick Bouchain, architecte et scénographe, Antoine Nochy, écologue et philosophe, et des spectateurs encore plus nombreux qu’espéré (quand je pense qu’on pensait faire la rencontre au foyer-bar…).
Filmée et diffusée en direct sur nos réseaux sociaux, la rencontre peut être regardée en différé ici.

Patrick Bouchain a entre autres commencé par rappeler que la banlieue n’était pas que le lieu d’habitation de l’immigration. Au départ, il s’agissait selon lui de construire pour offrir de meilleures conditions de logement. Les premiers banlieusards sont donc généralement les personnes ayant quitté le centre-ville pour aller en périphérie dans l’espoir d’obtenir de meilleures conditions de vie.
En 1954, il est décidé de créer un organisme central pour rattraper le retard en matière de logement, lié aux destructions intervenues pendant la Seconde Guerre mondiale ou l’absence de rénovation d’avant-guerre. On construit alors massivement en ne se posant la question que de la quantité, sans s’interroger sur l’application d’un même modèle d’architecture de Lille à Marseille.
Dans les années 1970, il devient évident que le modèle ne fonctionne pas comme attendu : et, toujours du point de vue de Patrick Bouchain, au lieu de faire rentrer ces quartiers dans le droit commun, on n’y a appliqué qu’une politique d’exception, par le biais notamment de création de dispositifs spécifiques.
Aujourd’hui, il est d’avis que la destruction des barres d’immeuble mise en œuvre par les pouvoirs publics détruit autant l’histoire et la culture des habitants que le bien commun, la construction ayant été financée par de l’argent public.

Sur la question de la destruction, Karim Bel Kacem a indiqué avoir changé d’opinion avec le temps. Lui aussi a commencé par se dire qu’il fallait mieux raser le quartier où il a grandi dans le nord d’Amiens, et qui fait l’objet du spectacle 23 rue Couperin. Mais où loger les personnes qui habitaient dans ces immeubles ? Elles risquent de se retrouver encore plus éloignées des centres-villes.

Antoine Nochy a aussi signalé qu’étymologiquement, la banlieue était le lieu du ban. Reprenant une remarque formulée par Patrick Bouchain qui avait insisté sur l’impossibilité de prendre possession de son logement (puisqu’il faut le rendre dans le même état à son départ), il a souligné l’impossibilité de se sentir chez soi lorsqu’on habite un logement social. Le chez-soi devient alors le lieu d’exclusion et de la fragilité, entraînant un phénomène de manipulation territoriale où l’on ne s’approprie jamais vraiment son lieu de vie. Revenant sur le fait qu’il était toujours question de la banlieue comme d’un lieu d’exclusion, il a affirmé que 70 % des Français vivaient en banlieue.

À une personne présente dans la salle qui se posait la question du bien-fondé des destructions en soulignant le caractère délétère de ces grandes barres, Patrick Bouchain a noté que la rue de Rivoli à Paris était elle aussi une barre architecturale. Selon lui, le sentiment de mal vivre n’était donc peut-être pas dû à l’architecture, mais à la façon dont la ville était gérée.
En insistant sur l’importance de s’approprier son lieu de vie, il a cité la possibilité de créer des fermes urbaines ou des fermes sur les toits des immeubles, ou de donner le budget nécessaire à la destruction d’un logement (environ 35 000 euros) à ses habitants pour le rénover plutôt que de le détruire.
Évoquant la question économique, trouvant ainsi un écho aux propos d’Antoine Nouchy qui estimait que les habitants des banlieues étaient utilisés de manière informelle dans l’économie, Patrick Bouchain est aussi revenu sur l’impossibilité de domicilier le siège social d’une entreprise dans un logement social.

Lorsqu’une autre personne de l’assistance a interrogé les trois intervenants sur leurs propositions de solution, Karim Bel Kacem a insisté sur la vie sociale dans ces quartiers. Donnant l’exemple d’un musicien du spectacle 23 rue Couperin, « qui vit à Berlin dans un grand bâtiment encore plus dégueulasse que le mien », mais qui, lorsqu’il descend de chez lui, a davantage à sa disposition qu’un kebab et une boulangerie, Karim Bel Kacem a invité à réfléchir à construire des endroits où créer du lien social -tout en reconnaissant la complexité du projet.

Lorsqu’il a été soulevé dans la salle que certaines banlieues pouvaient être plus bourgeoises que les centres-villes où la paupérisation existait également, le caractère central de l’architecture a été interrogé par Patrick Bouchain : le problème est-il l’architecture, ou plutôt l’impossibilité de se créer une identité dans une vie où l’on ne se reconnaît pas ?

Une personne ayant ensuite fait le parallèle entre la gestion résidentielle des banlieues et le processus de domestication, Antoine Nouchy a émis la crainte que l’animalité en nous s’éteigne, en remarquant : « mais qu’est-ce qu’on se fait chier dans cette société à être toujours occupés à des choses qui ne servent à rien… ».

Il fut ensuite rapidement question de l’héritage de la colonisation et des discriminations, mais aussi de la nécessité de laisser la parole aux habitants, avant de conclure sur la notion de culture légitime : si les banlieues sont souvent perçues comme des lieux où la culture est absente, c’est sans doute aussi parce que l’institution leur résiste.

Pour continuer la réflexion sur ces sujets, n’hésitez pas à aller voir 23 rue Couperin, un spectacle théâtral et musical qui se jouera à l’Athénée du 15 au 19 mai.
 
Clémence Hérout

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