le blog de l'athénée

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Entretien

L'histoire de Monsieur Sommer

Posté le : 31 oct. 2008 08:20 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Tribun/Finale

Entretien avec Jean Lacornerie

Jean Lacornerie, le metteur en scène du Tribun/Finale, est un petit homme à l'air tout à la fois inquiet et souriant qui ressemble à Boris Vian, ou à un tableau d'Edward Hopper, ou à un dessin de Sempé, ou aux trois à la fois. Conversation assis sur un canapé dans un couloir, avant une répétition de l'Ensemble 2e2m.


Ensemble 2e2m

L'Ensemble 2e2m. De dos, Christian Loret, directeur technique de l'Ensemble.


"_ Comment mettre en scène la musique ?
_ Vous avez raison, la musique se met effectivement en scène. Elle apporte au théâtre quelque chose d'essentiel, une émotion qu'on ne peut atteindre avec les mots : la musique emmène ailleurs, d'autant que le geste des musiciens en train de jouer est toujours spectaculaire. Concernant la mise en scène de la musique, tout dépend du compositeur, de l'oeuvre en question et surtout de son équilibre entre théâtre et musique. Chez Mauricio Kagel, toute la pensée musicale est spectaculaire : le spectacle fait partie de la musique, et tout a été conçu ensemble. En fait, la mise en scène existe déjà dans le dispositif de Kagel : c'est souvent le cas aussi avec l'opéra où le compositeur a déjà une idée du spectacle, où théâtre et musique ne sont pas indépendants. Je cherche à monter des oeuvres musicales où la théâtralité est intéressante, où le théâtre et la musique sont au même niveau, comme chez Kurt Weill par exemple."


Ensemble 2e2m

C'est très animé, dans ce couloir : les musiciens de l'Ensemble 2e2m vont et viennent en se préparant pour leur répétition.


"_ Aurait-il été envisageable d'utiliser une bande enregistrée pour Le Tribun?
_ Définitivement, non. La musique enregistrée n'apporterait rien. C'est la présence des instrumentistes qui est intéressante : ces types qui jouent cette espèce de marche militaire déglinguée font contrepoids à l'orateur qui déclenche les sons. La musique va peu à peu au-delà du martial, et cette étrangeté emmène le spectateur ailleurs que là où l'orateur aimerait le situer. Ainsi, Le Tribun porte un propos politique mais nous transporte aussi dans l'imaginaire. Il y a quelque chose de grotesque dans la figure de l'orateur que Kagel a très bien rendu : ils ont un culot effréné, et c'est ce caractère excessif où tout est permis qui fascine. Ecoutez parler n'importe quel homme politique, vous verrez qu'il y a quelque chose de ridicule."


Ensemble 2e2m

En plus d'être animé, ce couloir, il est près de la scène : on entend d'ici les musiciens  de l'Ensemble 2e2m discuter et s'accorder.


"_ Pourquoi avoir couplé Le Tribun et Finale ?

_ C'est une idée de Pierre Roullier, le directeur musical de l'ensemble 2e2m. Le chef d'orchestre est également une figure du pouvoir, et ses relations avec les membres de l'orchestre oscillent entre fascination et détestation : il était donc intéressant de mettre en regard cette incarnation de la puissance dans Finale avec celle du Tribun.

_ Vous avez été secrétaire général de la Comédie Française pendant deux ans : pourquoi avoir voulu vous occuper de communication et de relations avec le public ?
_ J'étais jeune à l'époque, et je n'étais pas encore sûr de vouloir faire de la mise en scène,  même si j'ai finalement quitté ce poste pour fonder ma propre compagnie à Lyon. Aujourd'hui je dirige le Théâtre de la Renaissance à Oullins, près de Lyon, et je crois que tout est lié, qu'il est important de voir ce qui se passe dans un théâtre à tous les niveaux. Une relation de longue durée s'instaure avec les équipes et les spectateurs, et cela donne du sens à ce que l'on fait."

Ensemble 2e2m

Pierre Roullier, chef d'orchestre de l'Ensemble 2e2m, est arrivé lui aussi : c'est parti!

Je vous laisse en compagnie de Nighthawks d'Edward Hopper… Lorsque je reviendrai lundi, les représentations du Tribun/Finale seront finies : il vous reste jusqu'à samedi!
Bon week-end et à lundi.

Nighthawks

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Coulisses

Elémentaire, mon cher Jouvet (2)

Posté le : 30 oct. 2008 08:15 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Tribun/Finale

Certains se souviennent peut-être de la caverne d'Ali Martinet, directeur de l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet, et de la promesse que je vous avais faite de vous montrer quelques objets.

Commençons plutôt par les choses qui n'y sont plus, car même si Patrice Martinet, à l'instar de Denis Léger, aime collectionner les objets, il sait aussi s'en débarrasser. J'en prends pour exemple cet énorme canapé légué par Pierre Bergé, ancien directeur de l'Athénée. Enorme machin à la structure défoncée et très peu élevée, ce canapé était si  bas et si confortable que personne ne semblait pouvoir un jour s'en relever. Et voilà notre Patrice Martinet condamné à supporter des rendez-vous interminables avec des interlocuteurs donnant l'impression qu'ils ne s'en iraient jamais.

Lassé de ces conversations au temps illimité car ayant un emploi du temps de directeur très occupé, Patrice Martinet prit un jour une décision raisonnée : se débarrasser du canapé. Il fut expatrié dans la coursive pour permettre aux techniciens de s'y reposer. Souvent, en fait, ils y dormaient.

Patrice Martinet fit ensuite un deuxième choix tranché : il fallait vendre ce canapé. On le mit donc sur E-Bay, mais il était tellement énorme que personne n'en voulait. C'est donc Yoann Perez, régisseur son à l'Athénée, qui l'a acheté. Pour son petit salon, le mastodonte semble vaguement démesuré, mais Yoann me dit sur un ton très enjoué : "non mais attends, il est très bien, ce canapé! C'est un endroit de squat où se reposer, et je suis très fier de posséder un canapé où tant de gens illustres ont pu poser leur fessier!".

Des photos suivront, je vous le promets. En attendant, ceux qui étaient à la première du Tribun/Finale hier sont invités à me dire ce qu'ils en ont pensé!

Bonne journée...

Entretien

Apéro Tribun

Posté le : 29 oct. 2008 08:42 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Tribun/Finale

Mauricio Kagel, l'auteur et compositeur des deux pièces Le Tribun et Finale qui seront jouées à l'Athénée à partir de ce soir, est décédé le 18 septembre dernier : les cinq représentations qui arrivent prennent ainsi une forme d'hommage à cet artiste germano-argentin empreint d'humour et d'intelligence. Extraits d'une conversation téléphonique avec Bernard Bloch, acteur du spectacle :

"_ Salut Stephen, c'est sympa de me rappeler si rapidement!
_ (silence puis gros éclat de rire) Raté, c'est Bernard Bloch !"
(Ou comment briser sa crédibilité professionnelle en une phrase, au prochain numéro inconnu je dirai "allô" comme tout le monde)

"_ C'est la première fois que vous jouez Le Tribun/Finale ?

_ Il s'agit en fait d'une collaboration entre trois compagnies : l'ensemble musical 2e2m, la compagnie Ecuador de Jean Lacornerie et ma propre compagnie, le Réseau (théâtre). Nous en avons joué une maquette au festival des Arcs puis à La Friche la Belle de Mai à Marseille. Le plus frappant reste la résonance politique rencontrée par Le Tribun. Ecrit en référence à la dictature argentine, il a trouvé son écho dans la montée en puissance de Jean-Marie Le Pen aux Arcs, puis dans l'élection de Nicolas Sarkozy qui avait eu lieu une semaine avant les représentations à Marseille : aujourd'hui, cela évoque immanquablement la crise financière dont on nous disait péremptoirement depuis deux ans qu'elle ne nous concernait pas. Le Tribun est un délire poético-politique assez déjanté, une déconstruction des discours populistes de tous bords."

"_ Qu'est-ce que la musique apporte à cette parodie du discours politique?
_ Toute parole est musicale! D'ailleurs, lorsque j'ai refait la traduction du texte de Mauricio Kagel puisque l'existante ne nous satisfaisait pas, j'ai accordé beaucoup d'importance aux sonorités.
(Je l'entends expliquer au serveur du restaurant où, manifestement, il se trouve, qu'il veut sa viande à point, "enfin pas trop cuite quoi") Pour en revenir aux liens entre musique et politique, disons que les hommes et femmes politiques cherchent à toucher la même chose que la musique, c'est-à-dire autre chose que la raison, une partie de notre inconscient, là où les gens ne se rendent pas compte de ce qu'on essaie de leur fourrer dans la tête. Même si, évidemment, il y a du sens dans la musique, la musique touche l'émotion avant l'intelligence : exactement comme le discours démagogique, sauf que, en ce qui concerne la musique, les conséquences sont le plus souvent bénéfiques... Et puis la musique de Kagel amène de l'ironie et de la dérision et renforce la fascination."

"_ Avez-vous spécialement visionné des meetings politiques pour jouer ce texte?
_ Non, je connaissais déjà bien la chose… En fait, j'ai beaucoup milité moi-même, dans la politique et le syndicalisme.
_ Au vu du texte, je vous aurais plutôt vu comme un artiste refusant tout engagement politique, justement pour ne pas être lié à ce type de discours : un "artiste dégagé", pour citer Pierre Desproges…
_ Et non, encore une fois, c'est raté! J'ai connu tout cela de l'intérieur."

"_ Et Finale?

_ Je préfère ne pas trop en dire : l'oeuvre, musicalement bouleversante, se fonde sur le suspense. Sans texte, Finale répond au Tribun dans un esprit plus malicieux en posant la question de la réaction d'une foule face à un événement absolument inattendu... Dans les deux pièces, nous voyons deux chefs en action : le chef des mots dans Le Tribun et celui de la musique dans Finale."

J'ai ensuite laissé Bernard Bloch manger son steak bien mérité après des heures de répétition, pour mieux le retrouver ce soir lors de la première représentation... Bon mercredi à vous !

Perspective

Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles

Posté le : 28 oct. 2008 09:03 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Tribun/Finale

En arrivant à l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet, vous trouverez sur votre gauche la caisse où acheter vos billets, sur votre droite le coin "invitations" (là où se trouvait la perruque de vendredi dernier) : dans le monde du spectacle en général, à qui sont-elles destinées? Essentiellement aux journalistes, aux représentants des tutelles, aux mécènes ou aux membres de l'équipe du théâtre. Parfois aussi aux professionnels de la culture, à la femme du metteur en scène ou aux petits débrouillards.

Avec les récents débats sur la gratuité des musées, l'on pourrait imaginer le coin de gauche condamné et le coin de droite pris d'assaut : des invitations pour tous, après tout pourquoi pas? Cette proposition de la gratuité (essentiellement des musées) était la pierre angulaire du volet culturel du programme présidentiel de Nicolas Sarkozy et a ensuite été confirmée dans la lettre de mission qu'il a adressée à Madame la ministre de la culture Christine Albanel. Un seul but : favoriser l'accès de tous à l'art.

La démocratisation est devenue une obsession française au point d'absorber la question de la politique culturelle dans son ensemble, et étudier les programmes politiques des candidats à la présidence était en ce sens assez parlant : hormis José Bové et Frédéric Nihous (à ma connaissance), tous les prétendants en appelaient à la démocratisation culturelle en termes relevant souvent davantage de l'incantation que du véritable programme. L'accès à la culture finit par devenir une sorte de tarte à la crème hexagonale, le passage obligé de tout projet relatif aux arts, mais souvent sans que l'on se pose la question des moyens à mettre en oeuvre. La proposition de la gratuité a le mérite de casser le caractère prophétique des appels à la démocratisation en soulevant un vrai débat de fond.

On part donc de l'idée que la culture est un bien commun auquel tout le monde doit pouvoir accéder, ce qui n'est pas forcément le cas dans d'autres pays. On associe ainsi l'art à l'utile en estimant que la culture est un droit fondamental permettant l'avènement d'une pleine citoyenneté -le préambule de notre Constitution le rappelle d'ailleurs explicitement. Ce présupposé est rarement remis en cause en France et se continue logiquement dans le débat sur les moyens de diffusion et de compréhension de la culture : éducation artistique à l'école, diffusion massive des oeuvres d'art par les nouvelles technologies, développement des services de développement des publics dans les structures culturelles, baisse des prix, gratuité…

J'attends avec impatience les suites de l'expérience de gratuité menée de février à juin dans quatorze musées et monuments nationaux français, même si les enjeux ne sont pas exactement les mêmes pour le spectacle vivant. Formidable idée généreuse et démocratique, la médaille de la gratuité a aussi son revers. Elle semble résoudre la question de l'accès matériel, mais sans prendre en compte l'intégralité des dépenses liées à une sortie culturelle comme le transport, le verre au bar du théâtre ou l'achat d'un livre à la boutique du musée. Elle paraît répondre au credo de la démocratisation mais peut-être sans poser la question de l'accès intellectuel aux oeuvres d'art ; certes, la gratuité augmente la fréquentation, mais beaucoup de visiteurs reviennent plusieurs fois, et l'on ne peut s'empêcher de penser que quelqu'un qui n'a jamais eu l'idée d'aller à l'opéra n'ira pas davantage si l'entrée est gratuite : en clair, la gratuité semble avoir peu de sens si elle n'est pas liée à un processus d'accompagnement et de sensibilisation du public. Enfin, tout en posant la question des ressources à trouver pour compenser la baisse des recettes propres qu'elle induit, la gratuité sous-entend que la culture ne coûte rien (et de là à affirmer qu'elle ne vaut rien, il n'y a peut-être qu'un petit pas).

Certains d'entre vous ont peut-être également leur avis sur cette question : je vous attends en commentaire sur le blog!
Et ceux que la démagogie et la rhétorique politique intéressent peuvent donc aller voir Le Tribun/Finale à partir de demain….

Bonne journée à tous.

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