le blog de l'athénée

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Entretien

L'histoire de la pierre blanche

Posté le : 24 nov. 2011 06:11 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Shaga

Comme je vous le racontais mardi, un problème de son m'empêche de vous livrer l'interview vidéo de Philippe Sireuil que j'avais commencé à fabriquer pour vous
(je lance d'ailleurs un appel aux âmes charitables : si vous avez un micro avec une prise jack 3,5 mm dont vous n'avez pas usage, pensez à moi, c'est bientôt Noël). 

Voici donc l'entretien quand même, mais par écrit.

Philippe Sireuil est le metteur en scène de Savannah Bay de Marguerite Duras actuellement présenté à l'Athénée.

«—Avant de la découvrir vraiment, j'avais quelques a prioris négatifs sur l'écriture de Duras, comme beaucoup de gens, je crois. Ce n'est pas la première fois que vous montez ses textes, mais aviez-vous également des idées reçues à leur sujet ?
—Oui, bien sûr. Il y a trois décennies d’ici, je disais même de son théâtre qu’il s’agissait d’un "boulevard pour intellos". J’étais venu à Marguerite Duras par certains de ses romans, et j’avais le sentiment que son écriture s’était anémiée au contact de la scène.
Je ne suis toujours pas un "durassien" même si j’ai fait mienne cette magnifique recommandation aux acteurs qu’elle a écrite : "Dites-vous ceci : la pièce n’agira pas tout de suite mais le lendemain pour la plupart  des gens. Faites votre boulot. Laissez la pièce agir à un autre moment. Vous venez proposer quelque chose. Les gens ne peuvent pas dire oui ou non tout de suite. Laissez les tranquilles. Être troublé prend du temps." [Premier état des Recommandations aux comédiens (texte inédit), publié dans les Cahiers de l’Herne]
Avec Marguerite Duras, on est toujours dans une position inconfortable, entre dénuement dramatique et tension émotionnelle.  Comme toutes les grandes écritures, la sienne ne se laisse pas apprivoiser facilement par la scène.
Il y a chez elle un appétit du scandale que je trouve beau : dans Savannah Bay par exemple, l’acte de cette jeune femme qui, alors qu'elle vient de mettre au monde le fruit d'une passion exceptionnelle —un crime, comme l’écrit Duras—, se jette dans les flots pour ne pas survivre à cet amour, pour qu’il ne puisse pas prendre fin dans l’accommodement et le flétrissement, et qui, dans le même temps, laisse derrière elle le fruit de cet amour, un bébé de quelques jours, aux mains d'une fragile destinée. Geste forcément sublime, "forcément coupable" qui contient et contredit dans le même temps la figure généreuse de la maternité.

— La question de la transmission, de l'héritage et du récit est très présente dans Savannah Bay. Est-ce que c'est cette problématique de la mémoire qui est au centre de la pièce ?
— Une dame âgée et une jeune fille se croisent dans un espace que j'ai voulu être un théâtre vide, prenant en compte le fait que la dame âgée a été (et est peut-être toujours) actrice. Une énigme les relie. Une tension les sépare : il y a d’un côté celle qui ne se souvient plus, ou plutôt qui refuse de se souvenir, qui dénie au passé le pouvoir d’expliquer (c’est du moins l’hypothèse que j’ai prise dans la manière de construire le spectacle),  de l’autre celle qui veut savoir, qui veut comprendre, qui demande à l’histoire, aux histoires de lui donner la clé de son identité. La jeune fille, avec opiniâtreté, va conduire la dame âgée à rejouer, à déjouer l’énigme du geste insensé de Savannah, à se réapproprier la douleur d’une histoire qu’elle avait voulu enfouir. Mémoire, transmission, mais aussi quête d’identité.
Comme toujours chez Duras, rien n'est totalement dit, "rien n’est totalement joué" comme elle le fait dire à la dame âgée, tout est dans les filigranes de l’écrit : il faut sans cesse creuser dans les mots et entre eux pour retrouver comment l'histoire s'est tissée au travers des différents possibles de l’écriture, qui use (et ruse) du glissement constant des temps grammaticaux : présent ou passé, futur ou conditionnel ; du passage tout aussi soudain du vouvoiement au tutoiement.
La jeune fille, in fine, comprendra qu’il n’y a pas d’explication à ce qui s'est passé, qu’il ne peut y avoir que des hypothèses ou des incertitudes, qu’il n’y a jamais une vérité, mais des vérités. Là est la beauté de la pièce qui nous renvoie à cette question sans réponse : comment se fonde l'acte d'amour, et comment, au travers de cet acte d'amour, se fonde l’acte de mourir de cet amour.»


La suite de l'entretien avec Philippe Sireuil paraîtra demain sur le blog! Pour voir Savannah Bay et Le Shaga qui se jouent en ce moment à l'Athénée, c'est jusqu'à samedi.

Coulisses

L'Athénée s'étend

Posté le : 23 nov. 2011 05:50 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Shaga

L'Athénée ne respecte pas toujours les règles de la proportionnalité : si la petite salle Christian-Bérard où se joue actuellement Le Shaga possède des dessous de scène raccords avec le nombre de spectateurs qu'elle peut accueillir (pas beaucoup, voir ici  et ), les loges dont disposent les artistes qui y jouent sont mieux que celles dévolues à la grande salle.

L'actrice Karine Martin-Hulewicz dans sa loge

 

Une partie des loges attenantes à la salle Christian-Bérard

 

 

En fait, la salle Christian-Bérard étant trop petite pour y aménager des loges, celles-ci ont été installées dans un appartement indépendant situé au dernier étage de l'immeuble attenant à l'Athénée, et qui communique directement avec les coulisses de la salle : les spectateurs fidèles reconnaîtront ainsi en bas de cette photo les magasins Maple, situés en face du Théâtre.

 

L'entrée des loges à droite (la salle Christian-Bérard est sur la gauche)


Il vous reste encore quelques jours pour voir la salle Christian-Bérard côté scène : Le Shaga de Duras s'y joue jusqu'à samedi.

Bon mercredi !

Pleins feux

C'était qu'un lion

Posté le : 20 nov. 2011 06:58 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Shaga

La semaine dernière, je reproduisais sur le blog le début du texte Savannah Bay de Marguerite Duras, actuellement joué à l'Athénée dans la mise en scène de Philippe Sireuil.

Pour vous montrer la grande variété de son style et parce que jusqu'à très récemment, je faisais partie des béotiens pour qui Duras n'était pas exactement une écrivaine cocasse, voici un extrait du Shaga :

"A : J'avais déjà bien des avantages… une maison, un mari, des enfants, une personnalité, une automobile, une situation, un âge, un nom, deux automobiles, une réputation, un chien, une instruction, un pays, une patrie, un chef, un ciel, une vie, yeux marron, cheveux idem, un vison, une religion, trente ans…
trente et un an un vison… trente-deux ans, trente-trois ans, trente-quatre ans deux visons, trente-cinq ans quatre amants, deux astrakans, trente-six ans, trente-sept ans… trente-sept ans…
à trente-sept ans, je me suis dit : un lion. C'est ce qu'il me faut... Un lion vivant. Normal. Vous pouvez me regarder… Un lion. Je l'ai eu. Il ne disait rien. Il rugissait. Cinq cent quarante-sept kilos. Six kilos de viande par jour. Il faut des moyens, d'accord. Je les avais. (temps)
Eh bien, non... Il est devenu une loque. On nous a séparés. (temps)
Et depuis, toutes choses égales d'ailleurs, même si rien n'a remplacé ce lion, je dis non. C'était qu'un lion. Et sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt.

H :
C'est différent, un oiseau…"

 



Je précise qu'il existe plusieurs versions du Shaga, et que j'ai tiré cet extrait de l'édition parue chez Gallimard.
La version jouée à l'Athénée a été établie par Claire Deluca, mais ce passage précis n'est pas très différent d'un texte à l'autre.


Pour découvrir une Marguerite Duras teintée d'absurde, c'est jusqu'à samedi dans la petite salle de l'Athénée dans la version de Claire Deluca et Jean-Marie Lehec ! Dans la grande salle se joue en même temps Savannah Bay.

Perspective

Il y a beaucoup de parachutistes qui s'ignorent

Posté le : 18 nov. 2011 06:49 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Le Shaga

Il y a quelques années, en cours de cinéma, un professeur nous montrait à moi et mes camarades le court-métrage Césarée réalisé par Marguerite Duras.

C'est en cherchant ce court-métrage pour vous le montrer que je suis tombée sur une interview de Duras qui m'a semblé plus intéressante : comme son évocation de l'an 2000 frappait par sa clairvoyance (c'est ici sur le blog), ses propos sur l'insolence, le pouvoir ou l'industrie culturelle résonnent toujours pleinement aujourd'hui et témoignent d'un réel engagement.


Pour ceux qui n'auraient pas le temps d'écouter 15 minutes d'entretien, voici quelques morceaux choisis :


"— Est-ce qu'il vous arrive de cultiver l'insolence pour votre plaisir ?
Pour ma santé peut-être. [...]
Dans l'insolence, je trouve tout de même qu'il y a quelque chose de douteux : c'est quand même un dialogue avec l'ennemi.  [...]

Tout le monde se dit marxiste aujourd'hui de nos jours. Même la droite. [...]

Il y a des producteurs [de cinéma] fauchés, ça existe. Mais il y a les producteurs qui produisent les grosses productions du samedi soir, ce que j'appelle le cinéma des travailleurs, celui qui ne se choisit pas, ces salles dans lesquelles les gens s'engouffrent comme on va à l'usine… Ces gens se disent qu'il y a du fric là et qu'ils vont le prendre, qu'ils vont le piquer… C'est déjà un comportement de droite. Vous, ça ne vous intéresserait pas de faire une chose abominable, très très ennuyeuse, uniquement pour gagner de l'argent… [...]
Je ne connais pas les cinéastes en place : toute cette clique commerciale, je ne la connais pas, pensez-vous, j'aurais honte de sortir avec. [...] [Il faudrait instaurer] un mot d'ordre très bref : insultez-les. [...]

Les films sur la guerre m'ont toujours parus suspects : quand vous avez envie de faire un film sur la guerre, c'est ce que vous traînez derrière vous une sorte de nostalgie —peut-être pas de la guerre à proprement parler, mais en tout cas de la violence. [...]
Ces films ont beaucoup de succès, toujours : il y a beaucoup de parachutistes qui s'ignorent. [...]

Elle est tout, notre époque. C'est un chaos. Mais la place de l'insolence y est peut-être moins grande que celle de la colère ou du refus. [...]

Bien sûr qu'il faut se battre contre la tour, contre tout ce qu'elle suppose. Mais on peut se battre avec humour : on peut dire qu'elle penche par exemple. Ce que tout le monde sait. La tour penche. Maintenant qu'elle est faite, on peut bien l'avouer. [...]

Je n'insulte personne dans la rue. Je fais comme beaucoup d'autres femmes par exemple, je déclare que je me suis fait avorter. Dans ce cas-là, on m'insulte dans la rue. Les gens m'insultent parce que j'ose le dire."

 

 

Vous pouvez écouter l'entretien ici ou cliquer ci-dessous, sur l'image :


Je ne connais pas l'origine exacte de l'interview, la description sous la vidéo étant rédigée en vietnamien
(véridique) et rien ne m'ayant permis d'en trouver une autre occurrence. D'après un autre site internet, il s'agirait d'un entretien avec André Halimi réalisé en décembre 1973, mais rien d'autre ne me permet de le confirmer : peut-être serez-vous vous meilleur détective que moi ?


Ce soir, je pars interviewer Philippe Sireuil, le metteur en scène de Savannah Bay : l'entretien paraîtra la semaine prochaine sur le blog ! Savannah Bay et Le Shaga de Duras se jouent jusqu'à samedi prochain. Bon week-end.

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