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Entretien

La femme est-elle un homme comme les autres?

Posté le : 12 mai 2010 09:09 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison


Nils Öhlund est le metteur en scène d’Une maison de poupées d’Ibsen actuellement à l’Athénée.

Comme il était également acteur dans Les mains sales et Les Justes passés l’année dernière, j’avais déjà eu l’occasion de l’interviewer.

Nous avions encore pourtant beaucoup de choses à nous dire hier soir, et c’est la raison pour laquelle cet entretien paraîtra en deux fois.

 



« Lors du café débat qui a eu lieu le 27 mars à l’Athénée sur le thème “Peut-on échapper à sa famille?”, Jean-Louis Ezine tentait d’expliquer la profusion de Maisons de poupées cette saison par la nostalgie qu’éprouveraient ces metteurs en scène (dont toi, donc) vis-à-vis d’un état des relations homme-femme aujourd’hui révolu.
Alors Nils, nostalgique du temps où les femmes ne pouvaient pas ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari?
— Non, évidemment… Je ne suis pas dans la nostalgie mais bien dans l’observation d’un héritage —car contrairement à ce que dit Monsieur Ezine, ce temps est loin d’être terminé! Il s’agit d’interroger son propre comportement: de quoi avons-nous hérité aujourd’hui?  Quels réflexes continuons-nous à avoir dans nos relations de couple?
C’est la raison pour laquelle j’ai mis en avant le rôle de Torvald, le mari, pour le mettre au même niveau que celui de Nora. Qu’il s’agisse d’un couple et non plus seulement d’une héroïne a été un axe de travail assumé et profond, présent à la genèse du spectacle. Je cherche à voir ce dont on a hérité en tant qu’hommes, mais aussi ce que je peux comprendre et observer d’une femme…

— Beaucoup définissent Une maison de poupées comme une pièce féministe. Restes-tu d’accord avec cette étiquette?
— Non, définitivement pas, je pense qu’on a fait une confusion. La pièce est plutôt égalitariste, elle ne me semble pas appeler à la prise du pouvoir des femmes sur les hommes…

— Euh… Le féminisme non plus…
— Ben si ?! La définition du féminisme, c’est l’attribution du pouvoir aux femmes… Enfin c’est vrai qu’il y a sans doute autant de définitions du féminisme qu’il y a de féministes…

— Et que tu parles ici d’un féminisme très radical.
— C’est quoi pour toi, la définition du féminisme ?

— Celle du dictionnaire que j’ai sous les yeux, ça tombe bien! Un mouvement qui vise à égaliser le statut de la femme avec celui de l’homme, en particulier dans le domaine juridique, politique et économique...
— Il y a eu des féminismes bien plus radicaux, mais qui sont totalement compréhensibles: l’oppression est telle qu’il y a parfois besoin de la violence ou de la provocation pour y répondre… C’est vrai qu’au fondement, le féminisme est un mouvement égalitariste, mais que beaucoup de choses se sont mélangées.

— Le féminisme plus radical dont tu parlais au départ et qui consisterait à donner le pouvoir exclusivement aux femmes me semble davantage relever de la misandrie, le pendant de la misogynie: la haine des hommes… Mais pour en revenir à Une maison de poupées: pièce féministe (dans le sens d’égalitariste), alors?
— Ce qui me gêne dans cette notion, c’est que la pièce est loin de se résumer à une interprétation féministe: fondamentalement, c’est l’histoire d’un couple qui arrive dans une impasse et qui explose.
Ibsen est un humaniste et, quand Nora revendique l’égalité, c’est pour se trouver elle-même, mais ce n’est pas pour autant qu’elle souhaite se conformer aux critères sociaux faits par les hommes. Nora n’a pas de revendication en tant que femme: elle veut juste être un être humain; elle ne dit pas: “en tant que femme j’ai droit à”, mais bien: “tu as toujours été gentil, mais je ne t’aime plus”.
Il est aussi question de violence d’hommes, dans cette pièce: Krogstad ne veut pas faire de mal, retient d’abord sa violence et n’agit que parce qu’il se sent obligé de le faire. De même, Rank livre une description de la société absolument effarante...
En fait, Une maison de poupées parle de deux personnages principaux entourés de trois autres personnes, et elle interroge autant les rapports homme/femme que l’image sociale que l’on dégage et sa corrélation avec notre être profond… Il s’agit de se libérer de l’image que l’on donne de soi. Alors que le personnage de Kristine se contrefiche de l’image qu’elle renvoie, Torvald se demande pour qui il va passer si l’on sent que sa femme le commande, Krogstad cherche à reconquérir une légimité et son statut après avoir commis un impair, Nora exige qu’on arrête de la prendre pour une idiote, Rank se demande ce qu’il est pour ses amis et ce qu’il restera de lui quand il sera parti… Il existe une lutte entre ce que l’on est et l’image que l’on donne, et la fin de cette lutte est synonyme de paix absolue... C’est bien de se libérer de cela avec l’âge, petit à petit.
[Silence]
Si la pièce avait été contemporaine, je l’aurais sans doute montée avec deux femmes ou deux hommes homosexuel(le)s, ou alors j’aurais inversé les rôles mari/femme voir si cela peut tenir. La clé de la pièce, c’est bien que Nora ne peut plus, elle ne peut physiquement plus rester là. Le poison a été distillé pendant douze ans et Torvald et Nora se sont construit une vraisemblance du bonheur petit à petit: c’est pour ça que je n’ai pas fait de Nora une petite alouette superficielle dans les deux premiers actes, car le ver est dans le fruit depuis longtemps!... L’on voit d’ailleurs dès le début que la nomination de Torvald au poste dont il rêvait provoque un soulagement; ils se disent “enfin, plus de souci!”, ce qui prouve bien qu’il y en avait, des soucis… Ils s’imaginent d’ailleurs que l’argent est la solution, alors qu’il s’agit d’un leurre…

— Justement, dans ce même café-débat du 27 mars sur le thème “Peut-on échapper à sa famille?”, Nicole Prieur déclarait que le proverbe “quand on aime, on ne compte pas” était finalement assez faux et qu’en fait, plus on aime, plus on compte. En quoi cette affirmation éclaire Une maison de poupées où le naufrage du couple se révèle d’abord par l’argent?
— Les bons comptes font les bons amis... Non sérieusement, je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut à mon avis éviter que l’argent soit un problème: l’argent n’est qu’un moyen, un outil du quotidien que l’on partage. Au sein du couple, il faut que chacun contribue à hauteur de ses capacités… En cela aussi, je suis égalitariste. Je déteste me faire avoir.
[Silence]
Cette notion de “se faire avoir”, c’est intéressant… On ne veut souvent pas donner sans attendre en retour: donner sans rien attendre témoigne d’une générosité rare. Tu n’attends pas forcément exactement la même chose en retour, mais plutôt une reconnaissance, d’être accepté, d’avoir l’ascendant sur quelqu’un… Il y a presque toujours un échange, et ne pas attendre de retour est un acte d’une telle gratuité, un acte de folie sans doute...

— Tu disais que Kristine était le seul personnage de la pièce à ne pas se préoccuper de l’image qu’elle renvoie. Est-ce pour cela que tu lui as réservé un traitement si particulier?
— Oui, car Kristine est la seule qui agit en fonction de ses nécessités et non de l’image qu’elle souhaite donner.
Mais il y a aussi autre chose: dans ce microcosme de la société qui comprend le couple, l’ami et l’employé, Kristine est l’élément étranger qui devient le relais du public.
Pour moi, elle est également la voix d’Ibsen, car l’on sait qu’Ibsen s’est inspiré pour cette pièce de l’histoire vraie de l’une de ses amies qui avait emprunté de l’argent pour sauver son mari: Ibsen s’était retrouvé dans le rôle de conseil, comme Kristine, et avait suggéré à cette amie de tout révéler à son mari. Résultat, le mari en question a fait enfermer sa femme en hôpital psychiatrique —alors que dans la pièce, n’oublions que le mari laisse partir sa femme!
C’est ce rôle un peu transversal qui donne une autre dimension à Kristine qui n’entre pas par la porte mais bien en traversant les lignes de démarcation tracées au sol, comme si c’était quelqu’un du public qui montait sur scène.
J’avais envie de flouter la frontière entre ce qui est du théâtre et ce qui ne l’est pas, de créer une théâtralité très forte avec ce décor et ces lignes pour mieux la casser ensuite. On voit d’ailleurs le côté complètement faux des panneaux dès le début... Plus exactement, j’ai cherché à créer une sorte de rituel où l’on restitue des morceaux de vie, comme si les acteurs avaient été choisis parmi le public pour rendre compte ce que l’on vit tous: il n’y a pas besoin d’aller chercher ailleurs, seulement de se regarder soi, et les situations que l’on a vécues, honnêtement.
Cette pièce consiste à pénétrer dans l’intimité profonde d’un couple: j’ai construit ma mise en scène comme si je proposais aux trois enfants de Torvald et Nora de voir le film de ce qui s’est déroulé entre leurs parents au moment de leur séparation. Je suis convaincu que le théâtre est un acte politique qui porte un regard sur le monde et nous interroge: c’est pourquoi cela me fait plaisir lorsque des spectateurs me disent qu’ils comprennent autant Nora que Torvald…
Les deux ont des défauts: Nora ment tout le temps, par exemple, mais c’est aussi une question de survie —pour vivre en équilibre avec quelqu’un, tu passes obligatoirement par le mensonge. Je peux comprendre la réaction de Torvald: il est dans sa fonction et obtient le poste dont il rêvait depuis des années! Il ne peut pas être avec sa famille à ce moment-là. Et quand la lettre de Krogstad met tout en péril, il devient fou et dit des vérités profondes qu’il lâche alors que c’est le genre de vérités qu’on garde toujours pour soi… Je ne l’excuse pas car il est égoïste, mais je le comprends. D’ailleurs, il se rend compte lui-même de ce qu’il vient de faire et essaie de le rattraper…

— Ce qui apparaît clairement en t’écoutant et en voyant ta mise en scène, c’est vraiment le refus du dogmatisme et l’exploration de la finesse des rapports de couple...
— La plus grande difficulté, c’est peut-être que ces personnages ne deviennent pas des caricatures et appartiennent au vraisemblable. C’est pratique de faire de ces personnages des caricatures, car cela évite de nous poser des questions sur ce qui nous ressemble chez eux... Qu’est-ce qui est de l’ordre du réflexe dans notre vie de couple? De quoi avons-nous hérité?
La pièce interroge les rapports entre hommes et femmes, mais aussi notre masculinité. D’ailleurs, le public masculin a souvent plus de mal à s’exprimer en profondeur après le spectacle: j’ai parlé à beaucoup de spectatrices qui reconnaissaient un peu de leur propre mari dans Torvald, alors que du côté des maris, le déclic ne semblait pas se faire, ou en tout cas la parole n’est pas venue après le spectacle.
Il faut que les hommes prennent les choses en main, aussi. J’ai eu envie de hurler en entendant un groupe de spectateurs d’une cinquantaine d’années environ dire que la situation décrite dans Une maison de poupées était aujourd’hui dépassée, et qu’il n’y avait plus de problème d’égalité entre hommes et femmes aujourd’hui: mais au secours!

— Bien sûr. Rien qu’en France, sept travailleurs pauvres sur dix sont des femmes, les femmes sont en moyenne 30% moins bien payées que les hommes à poste égal, on voit des femmes nues à longueur de journée dans la publicité, les femmes réalisent la quasi-totalité des tâches ménagères à la maison, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon et l’on dit toujours “un patron” et “une secrétaire” mais il n’y a aucun problème…
— Même sans aller jusqu’aux problèmes de société, il subsiste encore de nombreux archétypes qui relèvent certes du domaine de l’anecdotique, mais qui sont toujours présents dans notre sphère intime, sans même que l’on s’en rende compte… C’est comme la galanterie, ou même la question de l’invitation au restaurant: si tu es un homme et que tu n’invites pas la femme, tu passes pour un radin; mais si tu l’invites, tu passes pour un macho... Dans les pays scandinaves, c’est très mal vu et considéré comme très rétrograde d’inviter une femme au restaurant…
Il reste beaucoup de travail, des deux côtés: il ne suffit pas de dire aux femmes de prendre leur indépendance, il faut aussi leur donner!… De même du côté des femmes, certaines se laissent sans doute aller à se conformer à ces archétypes ancestraux qui sont somme toute assez confortables…

— Oui, il suffit de lire certains journaux féminins pour s’en rendre compte. On parle souvent des difficultés à être une femme, mais jamais de celles à être un homme. Si les hommes ne sont sans doute pas confrontés aux mêmes problèmes, la position masculine est-elle si facile à tenir?

— Je n’ai pas le sentiment que c’est dur d’être un homme…

— Tu n’as pas le sentiment qu’il faut être plus grand que sa compagne, gagner davantage, avoir un rôle protecteur, aller draguer, ne pas pleurer et aimer regarder du foot en buvant de la bière?
— Moi, personnellement, non. Mais c’est vrai que tu vois ce genre de démonstrations viriles chez certains hommes et que c’est franchement pathétique…. Je me fiche de gagner moins que ma compagne et je ne m’interdis pas de pleurer. Dans les pays scandinaves, ce sont les femmes qui draguent: alors fais la même chose, cela te permettra de faire le tri entre ceux qui sont sortis des schémas et ceux qui ont encore la tête trop encombrée...

— Pourquoi avoir traduit le texte d’Ibsen toi-même?»

 

La réponse (et le reste de l'entretien) sont à lire dans le billet de demain, ici.

Bon mercredi.

Entretien

Mais qu'est-ce que c'est que ce cirque?

Posté le : 19 mars 2010 06:01 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison

Cristèle Alves Meira est la metteure en scène de Vénus actuellement à l’Athénée.

Si vous aviez déjà pu voir sur le blog une vidéo où elle expliquait l’histoire de la vénus hottentote et le projet de mécénat citoyen lancé pour soutenir le spectacle, voici cette fois une discussion où elle explique ses choix artistiques de mise en scène.

 

«_ Le texte de Suzan-Lori Parks est très particulier: non seulement il intègre des documents historiques concernant la vraie vénus hottentote ou des scènes de pièces de théâtre écrites à l’époque, mais il est entièrement construit sur un flash-back et ne suit pas de linéarité au sens habituel du terme.
Que se dit-on lorsqu’on lit ce texte pour la première fois dans la perspective d’en faire une mise en scène?

_ Ce qui m’a immédiatement frappée, c’est son aspect hybride et morcelé: l’architecture, extrêmement complexe, crée différents niveaux de jeu. Rendre cet espace-temps bouleversé fluide et abordable pour le spectateur est un véritable défi de mise en scène…
J’ai également eu une intuition très forte pour un univers de cirque ou de fête foraine, une atmosphère de fantasmagorie et de cauchemar… La question des corps, du rendu de la monstruosité des personnages, s’est aussi posée tout de suite: où se situe le monstrueux? Qui l’est, qui ne l’est pas? Comment montrer la différence physique de Vénus tout comme celle des bêtes de foire qu’elle côtoie? Comment traiter ces corps difformes, observés, tripotés, volés, vendus?
Et juste après la lecture du texte, je me suis évidemment plongée dans l’étude des faits historiques qui ont inspiré la pièce…

_ Concernant la difformité des corps, comment as-tu finalement fait le choix de mettre une prothèse de fesses au personnage de Vénus?
_ J’ai immédiatement écarté l’idée de choisir une comédienne métisse et callipyge: nous ne sommes pas habitués à voir des corps ronds dans notre société, et montrer des rondeurs nues sur scènes aurait immanquablement, à mon avis, provoqué un effet pervers de voyeurisme -et vu l’histoire dont traite la pièce, il était évidemment d’autant plus impossible de tomber dans ce travers… De toutes façons, ne montrer que des grosses fesses aurait fermé toutes les autres possibilités de lecture de la pièce: au-delà de l’histoire tragique de Saartjie Baartman, Vénus traite aussi des prostituées forcées, des esclaves sexuelles et des femmes-objets… Il fallait donc, à mon sens, éviter de retomber dans le voyeurisme tout en élargissant les lectures pour évoquer toutes ces femmes.
Le théâtre est aussi le lieu du masque: cette prothèse en est une forme. La couleur or de la prothèse fut une évidence, car ces fesses sont un moyen de gagner de l’argent, un bijou, une mine d’or, un trésor, un fétiche devenu l’objet d’un rituel….
Mais ces fesses sont également la cause du calvaire de Vénus, et elles deviennent pour elle une croix très lourde à porter, d’où la ceinture en cuir cloutée qui permet de l’attacher. La prothèse est également très lourde, pour que Gina Djemba, qui interprète le rôle de Vénus, en sente tout le poids…

_ Dans les fêtes foraines où elle est exhibée, Vénus côtoie d’autres bêtes de foire, que Suzan-Lori Parks appelle “le choeur des merveilles humaines”. Elles sont interprétées dans ton spectacle par le trio Céline Fuhrer, Mickaël Gaspar et Xavier Legrand qui semblent former comme un corps unique. Peux-tu nous expliquer ton choix?

_ Je ne voulais surtout pas faire interpréter ces freaks*, ou bêtes de foire, par des comédiens arborant des masques d’Elephant man ou de femmes à barbes: pour moi, la monstruosité se situe ailleurs. À vrai dire, j’ai été inspirée par certains photomontages du photographe Pierre Molinier (1900-1976) pour inventer une espèce de corps à six jambes et trois têtes, cette forme étrange créée à partir de trois corps normaux… Céline, Mickaël et Xavier, en plus d’être comédiens, sont également acrobates, trapézistes ou contorsionnistes…

_ J’ai diffusé mercredi sur le blog une vidéo de ce que vous appelez la “pièce intérieure”, ces passages d’une pièce écrite au 19e siècle sur Saartjie Baartman et réintégrée par Suzan-Lori Parks dans son texte. Dans cette mise en abyme, tu superposes vidéo et comédiens en chair et en os, pourquoi?
_ La vidéo était d’abord là pour répondre à une contrainte financière, car ces passages de Pour l’amour de la Vénus auraient demandé cinq comédiens supplémentaires. Mais elle agit, elle aussi, comme une sorte de masque en jouant sur un glissement constant entre ce que l’on montre et ce que l’on cache: le corps des comédiens est masqué par la vidéo, mais ce sont leurs visages qui jouent… C’était d’ailleurs un véritable défi à relever et  beaucoup de problèmes techniques à résoudre pour travailler sur l’interactivité entre un corps filmé et des comédiens qui jouent en temps réel! Au final, on obtient de nouveaux freaks*, des marionnettes, des personnages à moitié réels et à moitié virtuels…
De manière générale, la vidéo agit comme un révélateur dans le spectacle: je te disais au début que l’image du cirque m’était immédiatement venue à la première lecture, parce que j’ai tout de suite pensé à une galerie de miroirs déformants. La pièce traite d’un corps que l’on juge difforme, et la vidéo, soit en projetant des diapositives d’anatomie sur le corps de Vénus, soit en déformant des corps, soit en faisant des gros plans, crée cette galerie de miroirs déformants.

_ Le personnage de Vénus change plusieurs fois de coiffure pendant le spectacle: est-ce dans le sens de cette idée de déformation?

_ Non, les changements de coiffure de Vénus évoquent plutôt son changement de situation, son embourgeoisement progressif: elle rêve de devenir une dame, et pour cela elle s’achète de nouvelles robes, se coiffe différemment et tente de se blanchir la peau… La scène avec le Baron-docteur où elle lui demande s’il l’aime m’a fait penser à la première scène du Mépris de Jean-Luc Godard avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli: c’est pour cela que la coiffure de Vénus ressemble à ce moment-là à celle de Bardot dans ce film.

_ L’entracte réserve bien des surprises aux spectateurs: sans trop en dévoiler, quel est le sens de cet intermède peu orthodoxe?

_ De rappeler cette ambiance de cirque et de cinéma mélangés -car l’écriture de Suzan-Lori Parks comme ma mise en scène me semblent s’approcher du cinéma. Et comme le texte de Parks explose l’espace-temps, j’avais envie que le spectacle déborde aussi bien le lieu que le temps de la représentation.

_ Tu joues également beaucoup avec le rideau de fer de l’Athénée, comme tu l’avais d’ailleurs fait, d’une autre manière, pour Les Nègres monté à l'Athénée en 2007.
_ Oui, j’avoue que les rideaux de fer de théâtre me fascinent: c’est à la fois lourd, théâtral, industriel… Vénus traite de la pudeur, de ce que l’on choisit de montrer ou non: par exemple, Vénus montre ses seins mais cache ses aisselles, car c’est là que se situe sa pudeur. De même, la boîte en bois où elle est exhibée permet de ne montrer que des bouts de son corps. Le rideau de fer, selon qu’il soit levé ou baissé ou que l’on laisse sa petite porte ouverte, permet de créer comme un cadrage et de jouer sur cette ambivalence montrer/cacher. Il s’agit également de servir le texte qui commence par le finale avant d’entamer un flash-back: le finale, c’est quand le rideau se baisse…»

* monstres, en anglais

 

Vénus se joue encore pour un peu plus d’une semaine! Bon week-end.

Entretien

Encore une histoire de fesses (cette fois en vidéo)

Posté le : 27 janv. 2010 09:10 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison

Cristèle Alves Meira est la metteure en scène de Vénus de Suzan-Lori Parks qui sera donné à l’Athénée en mars prochain.

Elle a eu la gentillesse de m’accorder un entretien vidéo dans l’une des loges du théâtre: elle y évoque l’histoire racontée par la pièce, l’écriture de Suzan-Lori Parks, l’appel au mécénat lancé pour le spectacle, les avantages dont bénéficient les donateurs et les répétitions actuellement en cours.

 

(Durée : 8 minutes)
Pour regarder la vidéo sur YouTube, cliquez ici.

 

Vous pourrez rencontrer Cristèle ce samedi à 17h pour le deuxième café-débat de cette saison à l’Athénée: sur le thème “Moi aussi, je veux être une victime!” et autour des spectacles Julie, Vénus, Une Maison de poupées et Dans la Colonie pénitentiaire, une discussion aura lieu entre Cristèle Alves Meira (metteure en scène de Vénus), Geneviève Fraisse (philosophe au CNRS), Thierry Lévy (avocat pénaliste et auteur) et Richard Rechtman (psychiatre et anthropologue).
Plus d’informations ici.



Bon mercredi!



PS : et ce soir à 17h30, c’est Guillaume Gallienne, auteur et acteur de Les Garçons et Guillaume, à table! actuellement à l’Athénée, que vous pourrez rencontrer à la FNAC des Ternes dans le 17e à Paris. Plus d’informations ici.

Entretien

Vous reprendrez bien des tripes d’alouette avec du coulis de saindoux?

Posté le : 28 déc. 2009 08:13 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison

J’espère que vous avez passé de bonnes fêtes de Noël ou, si vous détestez Noël, que vous êtes contents d’avoir survécu à cette épreuve.


Philippe Nicolle, directeur artistique de la compagnie des 26000 Couverts, a mis en scène le spectacle Au Temps des croisades actuellement à l’Athénée.
Discussion dans une loge inoccupée quelques minutes avant une représentation:


«_ D’où vient le nom de votre compagnie, 26 000 Couverts?

_ De l’idée d’avoir beaucoup de monde à sa table! Il s’agit au départ d’un collectif plus que d’une compagnie, d’ailleurs.

_ Et c’est quoi, ce décor en carton pâte pour Au Temps des croisades?

_ Nous avons souhaité recourir aux clichés de l’opérette et du Moyen-Âge en mettant en avant la fausse perspective, le donjon, la cheminée, la muraille…

_ Comment expliquer cette fascination pour le Moyen-Âge et la propagation de tous les clichés qui l’accompagnent?

_ Vaste question…

_ C’est la question Sciences Po du jour.
_ Il y a des clichés sur toutes les époques… Dans le cas du Moyen-Âge, les peintures qui nous sont parvenues ne connaissent pas la perspective et ont donc pour nous un aspect naïf, presque enfantin, qui a déteint sur notre représentation de cette époque.
Le Moyen-Âge a ainsi été très utilisé dans des œuvres légères comme Au Temps des croisades, alors que c’est une époque en fait assez violente.

_ Que mange-t-on dans les châteaux féodaux?
_ Ce sont surtout les tripes d’alouette au saindoux que j’aimerais goûter! Nous avons ajouté une partie dialoguée à partir de ce passage sur la nourriture: comme le dit lui-même le texte, bien manger est la seule distraction du château…
Nous avons également ajouté un entracte au cours duquel nous proposons aux spectateurs de goûter à certaines spécialités médiévales… Sans grand succès! Après l'entracte, quand le rideau se relève, rien n’a bougé, alors que la vocation d’un entracte est d’abord de permettre de changer le décor: c’est un acte gratuitement gratuit…

_ Quelle a été la ligne directrice de ton travail de mise en scène sur Au Temps des croisades?
_ Les comédiens et chanteurs ont beaucoup apporté au spectacle. En ce qui me concerne, il m’a semblé important d’aller à la rencontre de l’esprit potache, irrévérencieux, et un peu kitsch aussi, de l'écriture. J’ai essayé de fonder la mise en scène, au-delà du cahier des charges (suivre l'histoire, mettre la musique en valeur, etc.) sur la digression et la transgression afin de refléter ce "pré-surréalisme", cette loufoquerie de l’œuvre.
On a beaucoup joué avec les conventions: on a détourné quelques codes de l’opérette et du théâtre en salle afin que des choses se passent vraiment avec le public, car le public constitue en fait la moitié de la distribution!


_ Il a pourtant bien fallu que la musique soit respectée…

_ Oui, il était essentiel de rendre cette œuvre dans sa relative intégrité. C’est parce que je suis  amateur de musique jouée en concert que j’ai tenu à ce que les musiciens soient visibles. Pour moi, c’est une vraie frustration de ne pas voir les musiciens lorsque je me rends à l'opéra: il s’agissait donc de mettre en scène la musique et ce corps de métier, de poser l’orchestre au centre de l’action…
De toutes façons, la musique donne une couleur qu’il est vain de vouloir combattre: nous avons d’abord répété avec un piano seul, puis l’arrivée de l’orchestre sur les dernières répétitions a fait évoluer le spectacle ! La musique a imposé sa puissance. Je dois d’ailleurs préciser à ce sujet que Christophe Grapperon est un chef d’orchestre exceptionnel dont la générosité et la présence m’ont beaucoup soutenu.»


Pour explorer la "gratuité totalement gratuite", hormis le prix des places, c’est jusqu’à dimanche.

Après-demain, vous pourrez discuter par tchat avec Loïc Boissier, directeur artistique des Brigands, et Christophe Grapperon, directeur musical d'Au Temps des croisades: rendez-vous mercredi sur le site internet de l'Athénée de 19h à 20h!

Bon début de semaine...

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