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Entretien

Vivons heureux en attendant la mort

Posté le : 16 nov. 2016 06:00 | Posté par : Clémence Hérout
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Les deux premières parties de ma conversation avec Clémence Massart, qui joue son Asticot de Shakespeare dans la petite salle de l’Athénée, sont déjà parues sur le blog (ici et )

Nous avons parlé de sa jeunesse, de son passé de trapéziste, de sa mère, de son travail avec Jean Babilée ou Ariane Mnouchkine, de ses représentations au Théâtre du Globe à Londres… Aujourd’hui, nous parlons des textes qu’elles a choisis pour son Asticot de Shakespeare et de sa collaboration avec Philippe Caubère.


« – Un recueil de Pierre Desproges s’appelle Vivons heureux en attendant la mort : est-ce que cela vous correspond ?

– Oui. Je dirais même : vivons joyeux, heureux c’est une autre affaire ! Il avait raison. Il était un homme ironique, drôle, lunaire, élégant. C’était un esprit vif, libre et poétique, qui n’avait pas peur de penser, jouait avec l’absurde, et qui s’exprimait comme nul autre. Oui je m’y retrouve tout à fait. Il était une sorte de fou du Roi, un Yorick (dans Hamlet) de l’époque. Coluche aussi en même temps, dans un autre style. Il s’en trouvait quelques autres dans le monde, comme Lenny Bruce ou Woody Allen à New York. 


– D’ailleurs, pourquoi n’y a-t-il pas de texte de Pierre Desproges dans le spectacle ? Je pense en particulier à son réquisitoire contre Jean-Marie Le Pen dans l’émission Le Tribunal des flagrants délires, où il déclarait entre autres :
« on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? Est-ce qu’elle ne pratique pas l’humour noir, elle, la mort ?
Regardons s’agiter ces malheureux dans les usines, regardons gigoter ces hommes puissants boursouflés de leur importance, qui vivent à cent à l’heure. Ils se battent, ils courent, ils caracolent derrière leur vie, et tout d’un coup ça s’arrête, sans plus de raison que ça n’avait commencé, et le militant de base, le pompeux PDG, la princesse d’opérette, l’enfant qui jouait à la marelle dans les caniveaux de Beyrouth, toi aussi à qui je pense et qui a cru en Dieu jusqu’au bout de ton cancer, tous, tous nous sommes fauchés un jour par le croche-pied rigolard de la mort imbécile, et les droits de l’homme s’effacent devant les droits de l’asticot. »

– Cet extrait est formidable, mais lisez Hamlet et vous le retrouverez presque point par point ! Desproges a dit ce texte, voilà qui est fait. Je ne peux plus rien en faire. Le dire ne serait-il pas me justifier ? Nul besoin. Ou alors il faudrait jouer Desproges ! Et Desproges était un humoriste, même de haute volée, c’était encore du domaine de la variété, le début du stand-up en France. J’adore ça quand c’est fort comme avec lui, mais c’est un domaine qui n’est pas le mien, et si je suis tentée par la variété et le music-hall, c’est au bout du compte pour en faire du théâtre. Je demeure au théâtre, même quand je chante Ne chantez pas la mort de Jean-Roger Caussimon ou des chansons réalistes dans mon précédent spectacle La Vieille au Bois Dormant.
Je ne fais pas de déclarations sur l’actualité ni sur les hommes politiques du moment. Je ne sais pas le faire. Je me déguise, parfois seulement intérieurement, pour jouer des personnages qui jouent des textes, et cela devient des pièces.
Je préfère jouer le personnage de Vladimir Jankélévitch, à la manière d’un clown qui s’indigne, tempête, hors d’haleine, échafaude sa pensée peu à peu avec fièvre, avec le souci frénétique d’être compris, qui fait le tour complet de la question, jusqu’au bout du bout pour ne rien laisser au hasard. Le public qui a tout suivi est émerveillé d’avoir compris, s’amuse enfin du spectacle de sa réflexion funambulesque, et pour finir, il peut rire de ses lapalissades en cascade. Le texte sur la mort extrait des Carnets d’un jeune homme de Philippe Caubère contient aussi celui de Desproges, mais de manière plus personnelle, plus imagée, et un autre (à mon intention) qu’il fallait jouer, si drôle, et dont l’esprit m’est si proche. Il y a des textes extraordinaires sur la mort dans le monde. J’en aurais trouvé de quoi faire un spectacle d’un mois sans m’arrêter. 


– Vous avez travaillé avec Philippe Caubère pour monter L’Asticot de Shakespeare. Était-ce incontournable ?

– Cela s’imposait, oui. C’est difficile de travailler avec quelqu’un qu’on ne connaît pas. Lorsqu’il a commencé à improviser ce qui allait devenir La Danse du Diable, Le Roman d’un acteur et L’Homme qui danse, j’étais là, fatiguée par les tournées du Magic Circus, mais j’étais là surtout au début et ensuite par vagues. J’avais refusé pour cela un beau rôle dans un spectacle de Jérôme Savary. Je n’ai pas réfléchi. Ce devait être comme ça. Une évidence.

Il m’a vraiment aidée à faire L’Asticot. Nous avons passé 3 mois entiers à composer le spectacle, les personnages, les traductions, les accents… Tout a été travaillé dans le moindre détail. Puis on a retravaillé cet hiver, et au printemps, on n’a pas arrêté. Je ne vois personne d’autre pour faire cela, absolument personne d’autre. J’ai eu de la chance d’avoir pu travailler avec lui, qu’il ait été libre alors.

On ne se comprend pas toujours sur la manière, nous n’avons pas le même rythme, mais au bout d’un temps on arrive au même point. On finit toujours par se marrer. Le rire, et les larmes, tous proches, une émotion qui permet de comprendre qui rapproche et réunit. C’est l’esprit qui passe dans le corps, c’est physique, nerveux… Ça secoue, ça réveille. Cela relève d’une connivence intime.


– Est-ce que vous imaginez être à deux sur scène avec Philippe Caubère ?

– Oui. C’est possible. Nous avons un projet, une pièce que personne ne connaît, mais nous ne sommes pas encore assez vieux pour la jouer. La jouerons-nous jamais ? "Deo volente" comme disait Churchill, ou "Inch’Allah", comme on dit en arabe. Si le diable le veut. »


Il ne vous reste plus que quelques jours pour voir Clémence Massart et Philippe Caubère à l’Athénée ! Bonne semaine à tous.

Clémence Hérout