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Entretien

Tu vas te faire appeler Arthur

Posté le : 21 sept. 2016 06:00 | Posté par : Clémence Hérout
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Arthur Lavandier a moins de trente ans : c’est lui qui a transcrit / réorchestré / arrangé / réécrit (bref, vous verrez) la Symphonie fantastique de Berlioz dont je vous parlais hier et que vous entendrez samedi et dimanche pour la réouverture de l’Athénée. Il a bien voulu nous raconter comment il travaille :
 
« — Peux-tu expliquer comment tu as travaillé concrètement ? Tu es parti de la partition de Berlioz avant d’ajouter, réécrire, couper… Ou tu as écouté Berlioz avant d’écrire complètement autre chose  ?
— J’ai d’abord longuement regardé la partition d’origine et beaucoup écouté la Symphonie, dans des versions différentes. J’ai ensuite essayé de dégager des grandes idées d’arrangement en me servant de l’argument littéraire de la Symphonie comme base de réflexion : c’est ainsi l’idée du décalage qui a guidé mon travail. J’aime bien commencer à écrire assez rapidement, à tout de suite entrer dans la partition et, une fois les doigts dedans, beaucoup jeter, transformer, partir dans des extrêmes… J’ai travaillé sur les mouvements dans l’ordre, avec des allers-retours constants entre Maxime Pascal [le directeur musical du Balcon]. Une fois la direction artistique définie, beaucoup de choix comme la guitare électrique, les sons synthétiques ou les instruments amateurs se sont facilement imposés. Il faut aussi préciser que le projet est né de Bruno Messina [qui, en tant que directeur du Festival Berlioz, a commandé cette version de La Symphonie fantastique], Maxime Pascal et moi-même : il s’agit donc d’un arrangement que j’ai écrit, mais que je n’ai pas fait tout seul.
L’effectif est très différent de celui souhaité par Berlioz : il est similaire car organisé sur scène de la même manière avec les cordes devant et les percussions derrière en gros, mais très différent car j’ai ajouté des instruments et choisi de mettre un soliste par instrument. Une importante partie du travail a consisté à régler cette distance par rapport à l’original en termes de sons, de timbres… Avec cette question centrale : est-ce que j’essaie de créer un son qui ressemble au son original ou est-ce que je vais ailleurs -et, dans ce cas, très loin ailleurs ? Si j’essaie de me rapprocher du son original, est-ce que j’utilise des effets pour faire masse, ou est-ce je choisis le parti de la musique de chambre ? Toutes ces questions se sont posées régulièrement et ont influencé le choix des instruments ou leur quantité, par exemple.
J’ai aussi réalisé des choix plus radicaux en coupant des passages de Berlioz pour en ajouter à moi, car je trouvais que cela fonctionnait beaucoup mieux par rapport à l’arrangement que j’étais en train de faire. Le dialogue avec l’œuvre de Berlioz était constant : je ne pouvais pas m’en détacher complètement, même dans la partie la plus libre de la création. C’est sans doute dû au fait qu’il s’agit d’une œuvre étonnante, puissante, très à part, et avec laquelle j’entretiens un certain rapport de fascination.
 
— En quoi considères-tu la Symphonie fantastique comme une œuvre à part ?
— C’est une symphonie qui arrive très tôt dans le 19e siècle et fait appel à des effets que l’on retrouvera plus tard dans l’orchestre (ou alors bien plus tôt dans l’histoire de la musique) : notamment le fait de considérer l’orchestre comme un espace, c’est-à-dire avec des distances, mais aussi comme une scène de théâtre. L’œuvre symphonique n’est pas seulement conçue comme de la musique pure et a des liens avec le théâtre. La Symphonie fantastique raconte en effet une histoire, mais les effets instrumentaux, la masse orchestrale ou la construction de l’œuvre expriment également des aspects dramatiques à l’époque réservés à l’opéra. Berlioz ouvre le concert vers autre chose.
C’est en outre un geste de jeunesse : il n’a pas encore trente ans et n’a qu’une dizaine de pièces derrière lui. Cette partition est le témoignage d’un souffle créatif très puissant, surtout à l’époque. Berlioz a ouvert beaucoup de portes, posé des questions, créé un espace de liberté -il ne suit d’ailleurs pas certaines règles qu'il s’était pourtant fixées, et fait preuve d’une grande irrévérence sur les plans techniques, harmoniques, mélodiques, orchestraux…
 
— Pourquoi sortir le son de l’orchestre au quatrième mouvement ? [vous comprendrez ce week-end]
– Sortir le son de l’orchestre en faisant en outre appel à un ensemble amateur [qui sera à l’Athénée l’Académie de musique de rue Tonton a faim] s’est fait naturellement : cela fonctionne dramaturgiquement, car le personnage est amené à l’échafaud par un orchestre militaire. Le travail avec des amateurs est également partie intégrante de l’engagement du Balcon et de Maxime Pascal, qui dirige aussi un orchestre amateur qui s’appelle l’Impromptu.
 
– Peux-tu en dire davantage sur le cinquième mouvement ? Dans un texte de présentation, tu as écrit que ce mouvement, c’était « tout en même temps »…
– Chaque mouvement pose un degré supplémentaire de distance par rapport à l’oeuvre originale. Le premier mouvement est très proche de la musique de Berlioz, le deuxième navigue de style en style, le troisième s’accorde beaucoup de libertés harmoniques et s’éloigne de l’original, et l’orchestre change au quatrième. Je ne rajoute pas de palier dans le cinquième mouvement, mais je me permets tout ce que je ne me suis pas permis avant, aussi parce qu’il raconte une fête macabre et hallucinée.
 
— Est-ce que tu as senti des résistances au projet dans le milieu de la musique classique  ?
— S’attaquer au méga tube de Berlioz expose évidemment aux critiques. J’avais naturellement peur de me faire crucifier par le public du festival Berlioz où a été créée l’œuvre, mais me suis posé aussi un certain nombre de questions : qui suis-je par rapport à Berlioz pour me permettre un tel travail ? Suis-je en train de faire une énormité sans m’en rendre compte ?
Nous n’avons finalement eu que des bons retours, car je crois que nous sommes restés dans l’esprit berliozien : on nous a aussi dit que Berlioz aurait sans doute aimé cet arrangement. C’est enfin un projet vivant, que nous avons envisagé comme une fête : le rapport avec l’œuvre tient du respect, mais aussi de la convivialité et du partage très fort. L’œuvre s’ouvre du fait qu’elle est divertissante et que nous avons travaillé avec un orchestre amateur. On le ressent à chaque fois qu’on joue : il y a une joie communicative, l’ambiance dans la salle est géniale. C’est cela que nous avons cherché à faire. »
 
 
Venez danser au son de la Symphonie fantastique dans une salle sans sièges samedi et dimanche : pour les places debout, tarif spécial de 10 € en vente le jour même 1h avant le concert. Il reste encore quelques places assises disponibles à la réservation. À samedi !
 
Clémence Hérout