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Coup de théâtre

Portrait de spectateur (1) : Alekssandre

Posté le : 25 juin 2010 05:55 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Archives

En novembre dernier, je vous avais annoncé à la fois des écrits et des portraits de spectateurs à paraître sur le blog.

Si Laetitia, Pierre et Jean, tous trois lecteurs du blog, se sont lancés pour publier un texte sur l'Athénée en particulier ou le spectacle vivant en général, je n'avais pas encore pu réaliser un portrait de spectateur. Pour cette fin d'année, voici donc le premier qui inaugurera, je l'espère, une petite série la saison prochaine :



Lorsque je contacte Alekssandre pour la première fois en octobre dernier, je ne sais rien de lui à part que son prénom a dû faire soupirer plus d'un employé de mairie, qu'il a laissé des commentaires réguliers sur le blog en changeant parfois de nom (le fourbe), et qu'il m'a fait parvenir un gentil courrier à l'Athénée un jour de février 2009.

Les brefs messages qu'il m'a adressés ne témoignent pas vraiment d'une personnalité aimant s'étaler, mais je ne sais pas pourquoi, je lui écris tout de même un mail pour lui proposer de faire son portrait lors de sa prochaine venue à l'Athénée.


À vrai dire, je m'attends à un refus ou à quelques tergiversations, mais son accord sans réserve tombe quelques minutes plus tard.
Bon, les tergiversations viendront tout de même un peu après : alors que j'entre dans la phase agenda, il me donne les dates de ses prochaines venues à l'Athénée et finit par me demander l'air de rien, en fin de mail : "À propos du portrait. Souhaitez-vous que nous parlions de théâtre ou de la pièce que j'aurais vue ?".
Je lui réponds que "pour le portrait de spectateur, je compte parler de vous en fait, ou plus exactement d'avoir une conversation sur les sujets qui viendront naturellement et de synthétiser ensuite la chose... Cela peut donc aller de vos goûts culinaires à la couleur de vos chaussettes en passant par les pièces que vous aurez vues à l'Athénée ou votre première fois au théâtre………".

Je m'attends à ce que le bernard l'ermite rentre dans sa coquille (ne me dites pas que les bernard l'ermite n'ont pas de coquille, j'ai vérifié : certes, ils n'en ont pas une à eux, mais ils se logent dans celles que leurs congénères ont abandonnées), mais sa réponse me parvient le lendemain, le 19 novembre : "D'accord pour le portrait ! Et puis parler de mes chaussettes est toujours un vrai plaisir. En effet, j'ai toujours grand soin à les choisir :

"


                                                      
Là, j'ai conscience d'être tombée sur un vrai challenger, un concurrent à ma propre succession au blog de l'Athénée, un homme prêt à en découdre, un type qui n'hésite pas à m'envoyer une photo de ses pieds alors qu'on ne s'est jamais vus.
Rassure-toi Papa, je n'ai pas cédé à la surenchère, je sais qu'il ne faut pas communiquer avec des inconnus, j'aurais pu envoyer une photo pire en retour, je ne l'ai pas fait (ou presque).

En fait, preuve qu'on se fait toujours une image plus ou moins vraie des gens que l'on n'a pas encore rencontrés, le vouvoiement autant que le "bien cordialement" et le ton général des mails d'Alekssandre me faisaient l'imaginer en respectable père de famille de plus de quarante-cinq ans. Le coup des chaussettes m'a mis la puce à l'oreille, confirmée par la consultation du fichier de billetterie de l'Athénée : jusqu'à récemment, le bougre achetait ses places au tarif "moins de trente ans".
(J'en profite pour préciser à ceux qui m'imaginent en blonde de cinquante-cinq ans avec trois chats qu'ils se trompent)

Lors de notre première rencontre quelques semaines plus tard, il me tutoie rapidement tandis que je m'englue dans un tuvoiement longue durée, dans le genre "et toi, ça fait longtemps que vous faites ce métier ?" et autre "vous croyez que tu vas aller voir Guillaume Gallienne ?". La conversation se fait facilement, tellement facilement que je ne sors même pas mon carnet et que je ne lui pose aucune question pour le portrait.

Nous nous revoyons à l'occasion de sa venue à l'Athénée pour Les Garçons et Guillaume, à table! de et par Guillaume Gallienne. Cette fois, j'ai un sursaut de conscience professionnelle et prends donc des notes dans mon carnet au fur et à mesure des questions que je lui pose.


Alekssandre ne se souvient pas de sa première fois au théâtre, mais de sa première émotion théâtrale, si : il s'agissait de L'Allée du Roi
, adapté du roman de Françoise Chandernagor, avec Geneviève Casile. Il ne souvient ni du lieu ("Marseille, Aix-en-Provence, sûrement… Je ne sais plus") ni de la date [d'après mes recherches, c'était pour la saison 1994-1995], uniquement de son admiration devant une actrice capable de jouer tant de rôles, qu'ils soient masculins ou féminins, avec autant de grâce.
Il cite également Un Fil à la patte de Feydeau, vu à la télévision dans l'émission "Au Théâtre ce soir", et plus particulièrement le jeu de Robert Hirsch dans le rôle de Bouzin.

Dans le même ordre d'idées, il ne se souvient pas non plus de sa première fois à l'Athénée, juste de sa première "claque" dans ce Théâtre, Oh les beaux jours de Beckett dans une mise en scène de Giorgio Strehler en 2006 : "je venais de voir une autre mise en scène d'Oh les beaux jours, une vraie catastrophe qui m'avait donné envie de tous les tuer. Enfin bon, je ne vais pas m'étendre là-dessus…
Celle de l'Athénée était en italien, j'y allais avec un peu d'appréhension. Et c'était incroyable : je comprends tout, je comprends ce que ça veut dire, je comprends même le titre, je me prends tout ça en plein visage, je pleure à la fin, j'ai envie d'embrasser tous les murs de l'Athénée. J'étais vraiment ému. J'ai  également un souvenir incroyable du Roi nu de Schwartz mis en scène par Laurent Pelly [2005], et aussi des Justes de Camus mis en scène par Guy-Pierre Couleau [2007].
De manière générale, la programmation de l'Athénée m'épate, on y sent une vraie politique : c'est courageux de monter des textes qui ne sont finalement pas si joués, surtout ceux de Camus. Cela dit, j'attends avec impatience d'y voir un jour Morts sans sépulture de Jean-Paul Sartre…

— Pourquoi vas-tu au théâtre?
— Parce que c'est l'art total par excellence, et que chaque représentation est un moment unique… Le théâtre, ce sont des émotions sincères données par des inconnus et des menteurs qui ne me quittent pas et m'apprennent à vivre. Le théâtre m'a appris à être ce que je suis. Il y a une éducation à prendre dans le théâtre : éducation politique, sociale, culturelle. J'aime le côté mythique de la scène, ce côté "on nous ment", où l'on sait que c'est faux et que pourtant on y croit...
D'ailleurs, cela me fait penser à une représentation de Bérénice de Racine à laquelle j'avais assisté : au moment où Titus annonce qu'il quitte Bérénice, quelqu'un dans le public s'est écrié "Oh, le salaud !!!" Le théâtre, c'est la communion de tout un groupe de personnes, c'est la lumière qui s'éteint, c'est voir de près des acteurs que l'on admire, c'est une odeur aussi...

— Il y a une odeur particulière, à l'Athénée ?
— Bien sûr ! C'est un théâtre très particulier où j'ai l'impression d'être à la maison, de rentrer dans ma famille, que quelqu'un m'y attend… Il paraît très petit alors qu'il peut finalement accueillir beaucoup de gens, et puis il y a certains membres de l'équipe qui sont là depuis des années, cela se voit… C'est très agréable de retrouver des figures connues, des têtes que l'on connaît, même si on ne leur parle jamais…
Son architecture lui donne un petit côté vieillot, complètement cassé par l'audace et le courage des propositions artistiques : ce sont souvent des propositions qui étonnent, avec des comédiens toujours excellents, qui créent un décalage dans ce théâtre aux airs poussiéreux. C'est osé de faire de telles propositions, on voit que la programmation est véritablement portée."


La discussion s'orienta ensuite sur deux questions rituelles du blog, les endives au jambon et le sport à la télévision
(pour comprendre pourquoi, c'est à ce billet de juin 2009). Je ne regrette pas d'avoir abordé ces deux sujets qui me font entrevoir des aspects encore inconnus de mon sujet.

En effet, évoquant les endives au jambon, l'Alekssandre jusqu'à présent positif et pondéré a maintenant l'air d'avoir mis les deux doigts dans la prise : "mais quelle horreur, mais pourquoi on nous fait ça ??? Mais enfin, tu vois bien que c'est immangeable, ne me dis pas que tu en manges, ou pire, que tu en cuisines ? C'est jaunâtre ou verdâtre (je ne sais même pas définir la couleur), ça baigne dans son jus, mais beurk ! Dans ma famille, quelqu'un aimait les endives au jambon, alors ma mère en faisait, et il fallait qu'on les mange, en plus ! N'essaye jamais de me faire avaler ça, jamais !"

Concernant le sport à la télévision, Alekssandre m'apprend qu'il regarde le tennis, le golf, l'athlétisme mais surtout le catch ("je ne sais pas, j'aime bien"), mais aussi le télé-achat nord-américain doublé en français  ("c'est fascinant, je me demande à chaque fois ce qui va se passer") ainsi qu'une mauvaise série brésilienne mal doublée en français ("parce que j'aime la médiocrité réalisée avec soin, et que les gens qui travaillent pour ces produits médiocres en les défendant coûte que coûte, cela a quelque chose d'émouvant").


Sur ce, j'ai voulu photographier les chaussettes qu'il portait ce jour-là. Mais parce que ses chaussettes du jour étaient de simples socquettes blanches, il refusa catégoriquement, arguant que j'allais nuire à sa réputation d'enchaussetté cinq étoiles.

Inquiet à l'idée de devoir faire lever des gens au cas où il serait placé en milieu de rang, Alekssandre s'est ensuite dépêché de rejoindre sa place pour la représentation de Les garçons et Guillaume, à table !.

 

 

À la rentrée, je vous livrerai le portrait de Laetitia, que j'avais contactée de la même manière qu'Alekssandre après un commentaire très drôle qu'elle avait laissé sur le blog, et que j'ai finalement rencontrée à l'occasion d'une représentation de Vénus à l'Athénée.

Si vous souhaitez que je vous tire le portrait, n'hésitez pas à me contacter soit par mail, soit via un commentaire sur le blog, soit lors de votre venue à l'Athénée (me demander auprès de l'équipe de l'Athénée mais attention, je ne suis pas là tous les soirs !).
Je suis également preneuse de vos écrits portant sur le spectacle vivant en général et/ou l'Athénée en particulier.



Les Garçons et Guillaume, à table!, fort de son succès de janvier et février derniers, se rejoue à l'Athénée jusqu'au 17 juillet !

Bon week-end.