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Coulisses

Le vrai roman d'un acteur

Posté le : 09 janv. 2018 06:00 | Posté par : Clémence Hérout
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« Si j’avais eu plus de temps, j’aurais sans doute refait les murs et le sol, comme pour Le Roman d’un acteur » : cette petite phrase de Philippe Caubère évoquant ses choix scénographiques pour l’Adieu Ferdinand actuellement à l’Athénée met évidemment la puce à l’oreille.

Quand la plupart des artistes installent leur décor sur la scène de l’Athénée, Philippe Caubère l’a tout simplement complètement refaite.

C’était en 1994 : Philippe Caubère s’installe à l’Athénée pour les onze (onze !) spectacles différents constituant le cycle du Roman d’un acteur. Un trimestre, onze spectacles, quarante-sept représentations pour presque vingt-cinq mille spectateurs. Bernard Dartigues filme également les représentations pour ce qui deviendra les films des spectacles du Roman d’un acteur, que vous pouvez aujourd’hui trouver en DVD.

Quand on l’interroge aujourd’hui, Philippe balaie rapidement la question : « j’ai fait repeindre le mur du fond et refait le plancher. Le Roman d’un acteur  étant comme un voyage en bateau, je voulais qu’on voie le bateau. Le mur du fond, c’était essentiellement pour le réalisateur Bernard Dartigues, qui en avait exprimé le souhait ».


Le directeur de l’Athénée, Patrice Martinet, relativise le caractère anodin de l’entreprise : « je crois que Philippe ne s’est pas rendu compte du travail que cela supposait. Il partait, les peintres (c’étaient deux jeunes femmes) commençaient à travailler – de nuit, donc ! Et lui arrivait le lendemain matin en demandant un ajustement de la couleur… On a donc repeint le mur trois fois, dans mon souvenir. Après, peut-être que je véhicule une légende et qu’en fait, on n’a repeint le mur du fond qu’une fois. Ce qui est vrai, c’est que les peintres arrivaient quand Philippe partait. Et qu’on disait que les couches de peinture allaient tomber, entraînées par leur propre poids, tellement il y en avait ! Il faudrait que vous demandiez au personnel technique pour démêler le vrai du faux. »


Aujourd’hui retraité, Denis Léger était directeur technique à l’époque, et raconte volontiers l’épisode :
« Le titre de Roman d’un acteur lui va bien, car c’est un vrai roman. Je ne sais pas comment te raconter tellement c’est inracontable. Philippe Caubère voulait jouer sur un plateau nu, mais suivant son idée du plateau nu : ce n’est donc plus le plateau nu de l’Athénée, mais le plateau de l’Athénée nu selon Philippe Caubère.

Il a d’abord fait fabriquer un plancher de scène, car l’Athénée ne disposait pas de plancher en pente à l’époque. Nous avons posé le nouveau plancher, mais la teinte a dû être refaite je ne sais combien de fois… Avec à chaque fois l’obligation de tout poncer, repeindre et revernir.

À l’époque, l’Athénée comptait des cheminées de contrepoids de part et d’autre de la scène — aujourd’hui, il n’y en a plus que d’un côté. Il s’agit de caillebotis courant le long du mur, sur le côté de la scène, du plancher jusqu’aux passerelles de service, et où coulissent les poids des porteuses. Ce sont des planches écartées de quelques centimètres les unes les autres et qui couvrent toute la hauteur du mur.

Les cheminées de contrepoids sont les éléments verticaux que vous apercevez à droite de l'image.
 
 
 
Nous avions des planches en bois peint, mais ça ne plaisait pas à Philippe. Nous avons donc recouvert toutes ces planches d’un contreplaqué qu’il a fallu commander, réceptionner, tailler en bandes et teinter. Et on les a teintées au moins quatre fois — et entre ces quatre fois, il a fallu décaper complètement pour recommencer, sachant qu’on parle de cent mètres carrés de surface au total….
Et une fois la bonne teinte trouvée, il a fallu clouer les planches sur toute la hauteur, de la scène aux cintres. Bien sûr, la couleur n’apparaissant pas exactement de la même manière à l’horizontale et à la verticale, il a fallu retoucher les cheminées une fois les planches montées. Ça tombait bien, puisqu’on avait déjà un échafaudage pour le mur du fond !... Tu demanderas à Jano, je pense qu’on a encore quelques échantillons dans l’atelier. 

 

 
Jano, régisseur général, retrouvant les planches restantes.


 
En plus, à l’intérieur des cheminées de contrepoids, le mur était blanc : quand Philippe Caubère était debout sur scène, il voyait ce blanc à travers les claires-voies. On a donc pensé repeindre l’intérieur des cheminées de contrepoids, sauf qu’il est question d’une bande de cinquante centimètres de large sur toute la hauteur, donc ce n’est pas pratique du tout pour peindre… J’ai donc dit à Philipe qu’on n’allait pas y arriver, et ai proposé d’acheter une toile de jute grise avec laquelle nous avons tapissé l’intérieur des cheminées de contrepoids de haut en bas.

 

 À droite, un échantillon des planches de contreplaqué recouvrant les cheminées de contrepoids.
 
 
Concernant le mur du fond, il a son âme : peint en noir plusieurs fois, il a accueilli différents décors. Il existe par lui-même, mais je crois qu’il ne faisait pas assez “mur de l’Athénée” par lui-même, il fallait en faire un mur de l’Athénée vu par Philippe. Comme Philippe Caubère répétait et tournait le film la journée, on le repeignait la nuit, de minuit à six heures du matin. Il fallait ouvrir le théâtre, mettre les lumières, et aider à placer l’échafaudage qui montait jusqu’aux cintres. J’avais embauché un régisseur de nuit. Cela a duré tout le mois d’août et début septembre. Nous avons repeint le mur plusieurs fois, pour que cela soit plus clair, plus foncé, ou plus gris d’un côté ou de l’autre…

C’était exténuant, et pourtant j’étais excessivement content de le recevoir, car pour moi Philippe Caubère était une idole. C’est une icône. Il est formidable, ses spectacles sont fabuleux, mais il lui fallait le plateau vide selon Caubère.
Je crois que, pour un acteur, le détail est très important pour rentrer dans les personnages. C’est sans doute pour cela que les artistes peuvent être maniaques sur une chaise, un costume, un accessoire… Toi, technicien, tu te dis sur le coup qu’ils sont un peu frappés, mais en fait, c’est comme un bibelot chez toi : c’est ça qui fait que c’est chez toi, c’est ton truc. Eux, c’est pareil. Ils ont besoin de s’approprier le lieu. Philippe est du même acabit, un peu plus jusqu’au-boutiste, peut-être… »

Pour admirer le souci du détail de Philippe Caubère dans les deux volets de son Adieu Ferdinand, c’est jusqu’à dimanche à l’Athénée ! Denis Lavant joue également Cap au pire de Beckett dans la petite salle.
 
Clémence Hérout