le blog de l'athénée

Retrouver les billets du blog postés de 2008 à 2018

Ils ont blogué pour l’athénée pendant 10 ans
Coulisses

Le voyage intérieur

Posté le : 21 févr. 2017 06:00 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie :

Je vous ai raconté la semaine dernière comment l’idée de composer un opéra à partir d’une nouvelle de Dostoïevski est née chez le comédien et metteur en scène Volodia Serre et le compositeur Sébastien Gaxie.

Une fois le projet lancé, Volodia Serre s’attelle à l’écriture du livret de ce qui deviendra l’opéra Je suis un homme ridicule, à l’Athénée à partir de samedi prochain.


Si c’est Volodia Serre qui écrit le livret à partir de la nouvelle de Dostoïevski, il n’en discute pas moins beaucoup avec le compositeur Sébastien Gaxie dans un processus qui prendra plusieurs années.

« La première version du livret n’a rien à voir avec celle qui va être représentée. J’ai commencé par créer un point de départ, à partir duquel Sébastien Gaxie et moi avons confronté nos visions de la nouvelle, parlé de Dostoïevski, de son rapport à la foi et de son mysticisme. Nous avons beaucoup échangé et mené de nombreux essais qui ont souvent abouti à des impasses. »



Croquis de la scénographie (c) Stephan Zimmerli
 
 
Le texte de Dostoïevski est en effet une nouvelle écrite à la première personne, où un homme raconte le voyage qu’il fait en rêve jusqu’à une nouvelle planète.
Deux difficultés majeures apparaissent rapidement : d’abord créer les habitants de cette planète, qui n’existent dans la nouvelle qu’à travers le regard du narrateur qui ne comprend ni leur langue ni leurs rites. Et donner à entendre le dialogue intérieur du narrateur, dont on suit les pensées dans le texte de Dostoïevski.

Volodia Serre explique : « L’adaptation nous donne une grande permissivité, mais il est très difficile d’inventer une matière qui ne figure pas dans un texte déjà dense et bien construit, mais qui lui manque à mon avis pour en faire un opéra.



 Croquis de la scénographie (c) Stephan Zimmerli
 
 
Nous avons d’abord ajouté un double au narrateur, qui permet de faire dialoguer l’homme avec lui-même et créer une dichotomie intérieure. Cela s’est d’autant plus imposé que le fil conducteur de la nouvelle est un voyage intérieur, et que Dostoïevski écrit qu’une ombre vient chercher l’homme pour partir en voyage.
C’est aussi un clin d’œil au roman Le Double de Dostoïevski. Ce double est comme Virgile pour Dante dans La divine Comédie : il est là pour guider le narrateur dans sa mémoire et son expérience. Sur scène, le narrateur de la nouvelle est donc joué par deux interprètes. »

Il faut aussi représenter la planète où arrive le narrateur au terme de son voyage : « Ce qui nous intéressait était la rencontre entre l’homme et ce monde inconnu — qui est probablement un monde intérieur, c’est-à-dire sa vision propre d’une sorte de paradis.
 
 

Croquis de la scénographie (c) Stephan Zimmerli
 
 
Pour le raconter, il faut nécessairement représenter cette planète, la communauté qui y vit, la manière dont elle chante, ou encore la façon dont ils communiquent avec l’homme… Dostoïevski le fait simplement décrire par le narrateur : mais là où le narrateur peut simplement dire que les habitants de cette planète parlent une langue qu’il ne comprend pas, il faut que le spectateur les voie ! Comment ces personnages chantent-ils, et dans quelle langue ? Après de très nombreuses tentatives, nous avons pensé qu’il fallait qu’ils parlent une langue que presque personne ne connaît. »

 
Photo de répétition prise par Sébastien Gaxie
 
 
C’est presque par hasard que Volodia Serre trouve la langue qu’il utilisera finalement :
« J’avais écrit des chants en français correspondant à plusieurs moments de la journée. Sur une idée de Sébastien Gaxie, ces chants étaient destinés à se répéter dans l’opéra jour après jour pour raconter l’éternité, dans une sorte de temps suspendu où une journée idéale se répète sans cesse.
 
Je voulais un paysage pour chaque moment de la journée, comme si chaque moment correspondait à un endroit de la planète et que la communauté avait des bottes de sept lieues lui permettant de passer d’un paysage de montagne à la forêt, puis à la mer, puis dans le désert…
  Photo de répétition prise par Sébastien Gaxie
 
 
En lien avec le travail de scénographie avec Stephan Zimmerli et Marc Lainé, je me suis inspiré des images de la trilogie Qatsi de Godfrey Reggio, qui se compose de trois films : Koyaanisqatsi (1982), Powaqqatsi (1988) et Naqoyqatsi (2002). Les titres de ces trois films sont en Hopi, une langue parlée par moins de sept mille Amérindiens du nord-est de l’Arizona.
 
En étudiant cette tribu, j’ai trouvé une ressemblance étonnante entre leur société, leurs mœurs, leur métaphysique et ce qui est décrit des habitants de la planète inconnue dans la nouvelle de Dostoïevski. Le texte raconte aussi le processus d’acculturation provoquée par l’arrivée de cet homme, rappelant la colonisation subie par les Amérindiens.
 
 
Photo de répétition prise par Sébastien Gaxie

 
Nous avons donc décidé de les faire s’exprimer en Hopi, d’autant que cette langue se prête très bien au chant. Tous les chants que j’avais écrits en français ont été traduits en Hopi — sachant que je l’ai fait moi-même : le résultat ferait sans doute rire les Hopis s’ils l’entendaient…
 
Au fur et à mesure que la journée idéale et ses chants se répètent, des mots en français sont introduits dans le Hopi et déstructurent l’harmonie initiale. Ces hommes déchantent progressivement jusqu’à arriver au chant français. Il fallait trouver des mots français qui ressemblent phonétiquement au Hopi, mais qui signifient quelque chose, pour montrer cette corruption de la communauté par l’arrivée de l’étranger.
 
Photo de répétition prise par Sébastien Gaxie
 
 
L’opéra s’achemine donc vers un chaos final, qui est selon Dostoïevski l’expression du monde contemporain. C’est ce que raconte la nouvelle : cet homme fait vivre en accéléré l’Histoire du monde à cette communauté jusqu’à les ramener à sa propre temporalité. »


Suite la semaine prochaine avec le travail mené par Sébastien Gaxie pour la composition de l’opéra. Je suis un homme ridicule de Sébastien Gaxie et Volodia Serre d’après Dostoïevski commence samedi !

 
Clémence Hérout