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Entretien

Le metteur en scène est-il un acteur comme les autres?

Posté le : 13 mai 2010 08:18 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Artistes de la saison | Une Maison de Poupées

La suite de l’interview de Nils Öhlund, metteur en scène d’Une maison de poupées (vous pouvez retrouver la première partie dans le billet d’hier, ici).

 

— Pourquoi avoir traduit le texte d’Ibsen toi-même?
— En comparant les traductions existantes, j’ai constaté que certains endroits, souvent névralgiques d’ailleurs, étaient traduits très différemment: le sens n’était pas toujours le même, il fallait faire un choix. Je suis donc allé à la source norvégienne pour voir quel était le mot original et essayer de comprendre pourquoi il avait été traduit comme ci ou comme ça.
Avec mes notions d'anglais, d'allemand et de suédois, le norvégien m'a paru assez accessible: je me suis alors décidé à me faire envoyer un dictionnaire norvégien-français pour traduire le texte mot à mot et réaliser ma propre adaptation.
Finalement, je ne voulais pas passer par le prisme d’un autre traducteur et ai décidé de mettre la traduction au service du sens du projet: le travail de dramaturgie commence en effet dès la traduction. La langue d’Ibsen est sèche, directe et répétitive, loin de la richesse de la langue française. Je tenais à restituer ce côté brut. Je ne suis pas universitaire, je n’ai pas de vérité d’Ibsen à restituer, j’ai peut-être fait des erreurs: mais nous ne jouerons que quelques mois alors qu’Ibsen, lui, restera. Je cherche juste à dialoguer avec lui. Cela passait aussi par le filtre de l’acteur que je suis: le jeu est forcément lié à la langue...
Le seul problème, c’est peut-être que ce texte est très connu et qu’il est monté quatre fois cette saison à Paris: la majorité des spectateurs viennent donc avec une certaine idée de la pièce et non pas avec la virginité ou la fraîcheur que l’on pourrait attendre. J’aurais sans doute aimé que le public fasse une découverte innocente de notre histoire et que nous subissions pas forcément la comparaison…

— Tu viens de le rappeler, tu es d’abord acteur, et Une maison de poupées est ta première mise en scène. As-tu eu la tentation de jouer dans le spectacle?

— Non, car j’ai aussi choisi cette pièce en pensant à des acteurs précis. J’aimerais jouer ce texte, évidemment, j’adorerais, même les rôles féminins. Mais la mise en scène décuple aussi le plaisir car, au-delà du fait que je préfère les répétitions aux représentations, quelque part, elle permet de vivre tous les rôles.

— Prenons le rôle de Torvald par exemple, puisque tu lui donnes une place essentielle dans ta mise en scène. En quoi est-il intéressant à jouer pour un acteur?

— C'est un rôle magnifique, complexe, attachant et repoussant en même temps. La difficulté est de créer de la sympathie en même temps que de l’antipathie, ce qui provoquera de l’empathie au final.
[Silence] Enfin là, je suis en train de te dire ce que j’aimerais que le public ressente… Je fais la traduction et la mise en scène, je joue tous les personnages et puis je fais le public aussi, quel mégalomane…

— Tu viens de me dire que tu préfères les répétitions aux représentations. Les acteurs disent plutôt habituellement le contraire!
— Pour moi, les moments de grâce ont toujours lieu en répétition. Tu vis quelque chose en répétition que tu essaies de retrouver lors de la représentation. En répétitions, les acteurs sont détachés du désir de plaire: on est simplement dans l’instant, dans l’écoute, et l’“aimez-moi” qui est inhérent à tout acteur en représentation est absent. J’estime qu’il faut se libérer de cela et ne pas essayer de séduire le public.

— Cela signifie-t-il que tu es déçu par les représentations lorsque tu les compares aux répétitions, que cela soit en tant qu’acteur ou que metteur en scène?

— Non, car si les moments de grâce ont lieu en répétitions, ils se font par instant. Après ces moments décousus, la représentation crée une unicité grâce à la présence du public. Je ne suis donc pas déçu par les représentations, je cherche simplement à retrouver la fluidité, la liberté et le détachement des répétitions. Les soirées complètement magiques arrivent, mais elles sont rares et donc très précieuses. Jouer, c'est être en quête de la représentation idéale, ne pas oublier que rien n'est jamais acquis...

— Il y a un an presque jour pour jour, nous avions un entretien à propos des Justes et des Mains sales où tu me disais que “tout ce qu’on fait, c’est pour être moins seul”: es-tu toujours d’accord avec cela?
— Oui, plus que jamais. Voir toute une équipe, acteurs, techniciens, administratifs, costumiers, scénographes, etc. défendre ton projet et prendre charge ce dont tu as rêvé, c’est tellement vertigineux! Et encore plus si le public nous rejoint! Cela m’émeut beaucoup: nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas seuls… Notre nature nous pousse à la recherche de l’autre alors que l’on ne pourra jamais faire l’expérience de l’autre.
D’ailleurs, dans Une maison de poupées, en interrogeant le couple, on pose également la question de l’individualisme! Est-il nécessaire? Comment exister à l’intérieur d’un couple, quelle part de liberté laisser à l’autre?
[Silence]
C’est formidable, tu m’écoutes… Et puis comme on se connaît, c’est bien, je n’ai pas besoin d’essayer de me faire passer pour quelqu’un d’intelligent…

— Il y a aussi la thérapie pour ça, si tu veux.
— Ah ah, mais je n’ai pas besoin, le théâtre est aussi l’endroit où tu peux mettre des mots sur des émotions. C’est l’endroit où tout est possible, où tu peux tout exprimer dans un cadre très protecteur. Il y a une adrénaline qui me fait retrouver ce que je ressentais lorsque je pratiquais le rugby en compétition: j’étais souvent capitaine d’équipe et me devais donc d’emmener le groupe, comme aujourd’hui en tant que metteur en scène…
Le rugby est une belle école de la vie où tu gagnes un esprit de solidarité, et j’y ai parfois atteint un tel état de transcendance que j’aurais été prêt à me faire piétiner pour faire gagner l’équipe! Enfin je ne parle pas de cela aux acteurs, parce que le sport a parfois mauvaise presse auprès d’eux… D’ailleurs, de se retrouver en "compétition" avec d’autres Maisons de poupées mises en scène par Stéphane Braunschweig, Jean-Louis Martinelli ou Michel Fau où jouent Audrey Tautou, Chloé Réjon ou Marina Foïs me donne l’impression d’être un club de troisième division à qui on permet de participer à la coupe d’Europe…»


Pour voir le petit club d’Une maison de poupées composé de Nils Öhlund, Féodor Atkine, Olivia Brunaux, Alexis Danavaras, Emmanuelle Grangé et Bernard Mazzinghi, c’est jusqu’au 22 mai à l’Athénée !

Bonne journée.