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Coulisses

La scène selon Philippe

Posté le : 28 déc. 2017 06:05 | Posté par : Clémence Hérout
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Vous avez vu dans un précédent billet que Philippe Caubère et son équipe étaient venus à l’Athénée début septembre pour réfléchir à l’habillage du plateau du Théâtre, qui n’est pas aussi nu qu’il n’y paraît : allait-on mettre de la moquette au sol et des rideaux aux murs, et si oui, de quelle couleur ? Et si l’on opte pour de la moquette, quelles chaussures porter ?

J’en avais reparlé avec Philippe juste avant les représentations des deux volets d’Adieu Ferdinand à l’Athénée pour savoir ce qui avait été décidé :

« Finalement, on a tout viré. L’idée de la moquette a été rapidement abandonnée. Esthétiquement, la matière n’est pas belle en effet, et elle étouffe le bruit des pieds qui fait partie du théâtre et de la scène. La moquette grise n’était en outre possible que si nous accrochions des rideaux noirs aux murs. Si l’on garde le mur du fond brut, on laisse visible un matériau concret qu’il faut assumer ensuite : la moquette ne suffit pas.

Nous avons testé des leds éclairant des rideaux noirs dans l’idée de créer une sensation d’infini, mais cela ne fonctionnait pas. Nous avons également envisagé de faire fabriquer un plancher, mais cela aurait nécessité trop de temps, sans compter l’investissement trop élevé pour un mois et demi de représentations.

Nous avons donc trouvé en Angleterre un tapis de danse qui plisse beaucoup moins que la plupart des autres tapis, et Matthieu et Claire ont inventé une rampe de lumières qui m’éblouit et m’empêche de voir le public. Comme je joue beaucoup de face, je vois le public en effet. Or, j’ai plutôt besoin de visualiser les personnages que j’interprète. Il faut d’autant plus que je me trouve dans la lumière comme un papillon que je change beaucoup de personnages : j’ai besoin d’être dans mon intérieur, dans mon rêve éveillé, pour renforcer mon imagination. C’est donc cette rampe qui a déterminé l’éclairage général. En plus, elle fait un lifting au comédien tout pourri qui est sur scène, tout en valorisant le travail de masque que je crée avec mon visage ».

Philippe Caubère n’avait jamais utilisé de pendrillons, ces lourds rideaux de velours noir très souvent utilisés au théâtre. Pourquoi l’avoir envisagé cette fois-ci ?
« C’est vrai que les pendrillons constituent sans doute l’un des trucs les plus basiques du théâtre… Tout d’un coup, je me suis dit que cela constituerait une façon de résoudre ce que je cherchais, à savoir que les spectateurs ne voient que le jeu d’acteur. Je voulais aussi que la scène soit différente de celle de La Danse du diable. Contrairement aux autres spectacles du Roman d’un acteur qui constituaient une longue traversée, Adieu Ferdinand est une version plus classique avec juste deux volets.



La scène d'Adieu Ferdinand (Clémence) avant la première.


Je souhaitais que le moins possible d’éléments distraient l’œil : les pendrillons noirs constituaient la manière la plus classique de créer l’abstraction. Je voulais également que le plancher soit refait pour que le seul élément décoratif soit le sol. Mais les choix obéissent à un mélange de hasard, d’économie, de praticité

Au théâtre du Chêne noir à Avignon où les spectacles ont été créés, tout était pendrillonné en noir, mais le sol était trop clair. J’ai donc demandé à poser un tapis de danse : la création d’un plancher coûtait très cher et n’avait plus de sens, elle n’était plus indispensable. Je préférais jouer sur un tapis de danse noir et brillant, pour créer un infini noir mettant l’accent sur le jeu de l’acteur (plus que sur l’acteur lui-même qui ne mérite pas tant d’attention), ou en tout cas sur les personnages. Je fuyais au départ le tapis de danse qui me paraissait très basique, mais je me suis rendu compte que ça brillait sous les projecteurs, formant ainsi une sorte de miroir.

Le tapis que nous avons trouvé correspond à la version la plus récente des tapis. Ils sont plus lourds, plus épais, ne gondolent pas sous la chaleur des projecteurs, et offrent davantage de protection pour moi qui fais beaucoup de chutes en scène.

La question du confort est importante : je peux faire des chutes sur le sol tel qu’il est, mais si je peux avoir un peu d’amorti, c’est mieux. Mais ce n’est pas le confort qui détermine ma décision : il ne faut pas que cela soit confortable ou beau, mais juste. Après, pour expliquer ce qui me semble juste ou non, il faudrait faire une psychanalyse… Cela répond à des exigences d’esthétique, de sens, d’argent, et de temps. Si j’avais eu plus de temps, j’aurais sans doute refait les murs et le sol, comme pour Le Roman d’un acteur.

Mais c’est vrai que refaire pareil que Le Roman d’un acteur m’aurait aussi embêté. C’est à la fois pareil et différent. Je n’ai plus le même âge, ce n’est pas la même époque, j’y raconte autre chose. Pour engager une telle somme, il aurait aussi fallu que cela me paraisse indispensable : et au final, cela n’a pas été le cas. D’où l’intérêt de ne pas être trop riche !... Quand on a trop d’argent, on fait parfois des choses qui ne sont pas artistiquement indispensables… Mais quand c’est indispensable, c’est bien de le faire. Je pense notamment au Peer Gynt monté par Chéreau où les changements de décor faisaient pleurer. La plupart du temps, le décor est là parce qu’il en faut un, mais il gêne. ».

 
Les fameuses chaussures junior d'Alexandra Maurice.
 
 
Nous avions vu aussi la dernière fois que les chaussures portées par Philippe jouent un rôle important :
« J’ai tout choisi. Pour “La baleine” [la première partie du volet Clémence d’Adieu Ferdinand], je porte des tennis blanches que j’ai depuis des années, bien que celles d’Alexandra [la responsable des relations publiques de l’Athénée] m’intéressaient beaucoup. Mais c’étaient des tennis juniors Adidas. Véronique les a cherchées partout dans ma taille, sans succès.
Je porte des boots blanches pour “Le camp naturiste” [la deuxième partie du volet Clémence d’Adieu Ferdinand], et les boots du Roman d’un acteur pour Le Casino de Namur [le deuxième volet d’Adieu Ferdinand]. Je change de costume entre “La baleine” et “Le camp naturiste”, car l’époque est différente. 

 

 Les boots et leur chausse-pied
 
Dans Les Carnets d’un jeune homme, j’imaginais le personnage de Ferdinand avec le théâtre tournant autour de lui, comme une sorte de carrousel. Après, je me suis rendu compte que c’était mieux que je joue sur le plateau nu et que cela soit moi qui tourne… »

Nous verrons la prochaine fois comment Philippe Caubère avait refait la scène de l’Athénée pour ses onze spectacles du Roman d’un acteur en 1994. En attendant, vous avez jusqu’au 14 janvier pour voir les deux volets d’Adieu Ferdinand, Clémence et Le Casino de Namur.

Denis Lavant joue en même temps Cap au pire de Beckett dans la petite salle. Bonne fin d'année civile !

Clémence Hérout