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Coulisses

La passion d'Élise

Posté le : 24 nov. 2017 06:00 | Posté par : Clémence Hérout
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La Passion selon Sade, opéra de Sylvano Bussotti, a commencé hier et se joue jusqu’à dimanche à l’Athénée.

Cinq minutes avant la première, je suivais son directeur musical Léo Warynski dans les coulisses jusqu’à son pupitre : il nous montre entre autres la partition si particulière de Bussotti ainsi que l’envers du décor. Diffusée en direct sur Facebook et Twitter, la vidéo est à revoir ici.

 
 
 
Si vous étiez dans la salle hier soir, vous avez forcément remarqué la verte scénographie réalisée par Élise Capdenat. Elle explique comment se déroule le travail : « je commence par un rendez-vous avec le metteur en scène Antoine Gindt et son assistante Élodie Brémaud, où il me parle de ses intentions, me raconte le projet, ce qui l’intéresse, le thème…. Antoine a toujours besoin d’un plan, qui permet d’organiser ses idées et de placer les musiciens : dans la fosse, sur le plateau, derrière… Il me donne des détails sur l’ampleur du projet, et me communique des références qui nourrissent leurs réflexions à lui et à Élodie.

Élodie Brémaud complète : « Lors de nos séances de travail, nous amenons toujours des références dont nous discutons ensemble, comme La Philosophie dans le boudoir, Justine et Juliette de Sade bien sûr, Madame de Sade et La Musique de l’écrivain Mishima, l’essai de Roland Barthes sur Sade dans son livre Sade, Fourier, Loyola, le journal d’Anaïs Nin (notamment sur ses relations avec Henry Miller), le livre de l’exposition organisée par Annie Lebrun sur Sade Attaquer le soleil (et l’exposition aussi d’ailleurs !), le dernier chapitre de Belle du Seigneur d’Albert Cohen, ou encore le livre retraçant la carrière de Luis Buñuel, Conversations avec Luis Buñuel : Il est dangereux de se pencher au-dedans.
Nous avons aussi discuté de quelques films, comme Lost Highway de David Lynch, pour la question du personnage double, ou L’Empire des sens d’Oshima, ou encore Belle de jour de Buñuel, notamment pour la première scène. Nous avons aussi regardé beaucoup de photos, dont celles d’Édouard Levé et Bettina Rheims, ainsi que des gravures libertines de l’époque de Sade pour travailler sur la notion de tableau vivant (qui est le sous-titre de l’œuvre, NDLR) ».

Élise Capdenat se nourrit autant des orientations tracées par Antoine Gindt et Élodie Brémaud que des références qu’ils lui ont communiquées. Elle écoute évidemment l’œuvre si elle a été enregistrée, ainsi que les autres œuvres du compositeur Sylvano Bussotti, et discute avec le directeur musical Léo Warynski. Et, accessoirement, elle a pu interroger ses parents qui avaient vu la création de l’œuvre ! Il s’agit alors de faire son chemin dans le spectacle, de se réapproprier tout ce qui a été proposé pour sentir le projet du metteur en scène et concevoir une scénographie lui rendant justice.

L’idée du huis clos s’est rapidement imposée, ainsi que l’interprétation des deux personnages féminins par une seule chanteuse, Raquel Camarinha. Il est en outre décidé de placer l’orchestre en fond de scène.
Élise Capdenat explique : « du fait de la présence des musiciens, que j’ai choisi de placer sur un autre niveau en fond de scène pour qu’ils soient visibles, la place restante était étroite. Avec la notion de huis clos et de deux femmes réduites à une, j’ai vite pensé à un écrin, c’est-à-dire un espace impliquant à la fois la douceur et l’enfermement. Une fois cette option de l’écrin et la couleur principale retenue, j’avais l’impression d’avoir mené la majorité du travail.
J’ai d’abord réalisé une maquette en carton, puis recherché les matières qui habilleraient cet écrin. J’ai ensuite développé le côté "velours et rideaux plissés", et plus particulièrement leur forme arrondie pour éviter les angles et semer le trouble sur l’endroit où commence et où finit la matière.


La deuxième maquette
 
 
Après de nombreux échanges avec Antoine Gindt, Élodie Brémaud et le créateur des lumières Daniel Levy, je conçois une maquette utilisant les matières que j’imagine : cela permet de nourrir les discussions et de préciser de nombreux éléments, car quand on parle de rouge, il n’est pas nécessairement évident qu’on pense tous au même rouge.
J’avais en tout cas la volonté très claire de proposer la même couleur du sol au mur en passant par les meubles. Nous avons ensuite beaucoup discuté sur la possibilité de voir ou non les musiciens : l’orchestre est ainsi parfois complètement visible, parfois entièrement caché, et parfois seulement perceptible. Pour concevoir ce jeu de différents rideaux, il a vite fallu associer le régisseur général Rémi pour fixer la vitesse d’ouverture des rideaux, la place des patiences, la répartition des tissus, les fentes… »

On parle de rouge ici, et pourtant la scénographie est majoritairement verte, malgré la superstition qui entoure cette couleur dans le monde du théâtre : « la malédiction du vert s’est posée, mais pas tout de suite. Mais après avoir essayé plusieurs couleurs et notamment un lie-de-vin, c’est le vert qui fonctionnait nettement mieux ».

Une fois la maquette validée et les matières cernées, il faut passer à la réalisation pratique : trouver les matériaux qui seront effectivement utilisés, en faisant attention à leur rendu sous des projecteurs. Certains velours étant en effet très brillants une fois éclairés, leur choix devait être validé par l’éclairagiste Daniel Levy.

L’équipe a en outre connu une difficulté particulière avec le velours au sol : par peur qu’il s’use trop vite ou qu’il plisse sous les pas des artistes, le fournisseur a d’abord tout simplement refusé de le fournir pour l’usage qu’Élise Capdenat souhaitait en faire. Il a été finalement utilisé, en le doublant sur une toile de jute et en imposant à tout le monde de répéter en chaussettes…
On oublie en effet souvent qu’un décor s’use, et particulièrement en répétitions où il est utilisé des jours d’affilée : sa durabilité doit donc être envisagée dès le départ. Techniquement, il faut aussi s’assurer qu’il rentrera dans toutes les salles où le spectacle sera joué : ainsi, il rentre sur le plateau de l’Athénée, qui est relativement petit, au centimètre près.



Montage du décor à Nîmes
 
 
Le décor est ensuite construit par l’équipementier scénique qui a entre autres fourni les tissus, ainsi que par l’atelier décor du Théâtre de Nîmes où le spectacle a été créé. Le fournisseur des patiences a également fait cintrer les perches où les tissus sont suspendus pour créer le bon arrondi.

Élise Capdenat estime « proposer un outil, avant de laisser Antoine Gindt rêver sur son utilisation ». Et vous, rêverez-vous à La Passion selon Sade ? Le spectacle se joue en tout cas jusqu’à dimanche !
 
Clémence Hérout