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Coup de théâtre

L'homme qui mange des yaourts dans les toilettes de la station-service

Posté le : 04 nov. 2017 11:30 | Posté par : Clémence Hérout
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Si je vous dis « Carmen », vous vous mettrez sans doute immédiatement à chantonner dans votre tête que « l’amour est un oiseau rebelle » ou « toréador prend ga-aa-ardeuuuu » : si la création de l’opéra de Bizet fut un tel échec qu’elle précipita la mort précoce de son auteur à trente-sept ans, Carmen est sans doute aujourd’hui l’opéra le plus connu et le plus joué à travers le monde. Qui dit succès dit évidemment reprises, adaptations, parodies.

L’opéra est lui-même tiré d’une nouvelle de Prosper Mérimée suggérée par Bizet : selon le librettiste Ludovic Halévy, le directeur de l’Opéra-Comique se serait étranglé en ces termes en ayant vent du projet : « Et ce milieu de voleurs, de bohémiennes, de cigarières ! À l’Opéra-Comique ! Le théâtre des familles ! »
Et effectivement, la première en 1875 fait scandale, notamment en raison du sujet, même si certains comme Tchaïkovski reconnaissent rapidement la force de l’œuvre, qui ne reviendra à Paris que huit ans plus tard après son succès à l’international.

Quinze ans après la création, le philosophe Nietzsche se sert de Bizet pour mieux critiquer Richard Wagner, et commente par exemple Carmen en ces termes :

 « Je ne sais pas de circonstance où l’humour tragique, qui est l’essence de l’amour, s’exprime avec une semblable âpreté, trouve une formulation aussi terrible que dans le dernier cri de Don José, avec lequel l’ouvrage se clôt : “Oui, c’est moi qui l’ai tuée, Carmen, ma Carmen adorée !” Une telle conception de l’amour (la seule qui soit digne d’un philosophe) est rare : elle élève une œuvre d’art au-dessus de mille autres. Car en moyenne les artistes ont la même manière de faire que tout le monde, en pire — ils méconnaissent l’amour. Wagner lui-même l’a méconnu. Ils se croient désintéressés en amour, parce qu’ils veulent l’avantage d’une autre créature, souvent même aux dépens de leur propre avantage. Mais ils veulent en récompense posséder cette créature... » (1)


Carmen aura ensuite inspiré cinéastes, chorégraphes, compositeurs et peintres. On l’a un peu oublié, mais Charlie Chaplin en a fait en 1915 un film burlesque, Charlot joue Carmen, où Carmen est chargée de séduire l’officier gardant l’entrée d’une ville dans l’espoir d’y laisser libre cours à la contrebande. Le film est visible en entier en version restaurée ici :

 
 
 
Trois ans après Charlie Chaplin, Ernst Lubitsch réalise un film muet inspiré de la nouvelle de Mérimée, avec une bande originale reprenant des extraits de l’opéra de Bizet. C’est à regarder en entier ici : 

 
 
 
En 1983, Jean-Luc Godard réalise Prénom Carmen, où la musique n’est pas de Bizet mais de Beethoven, où Jacques Villeret interprète le rôle de « l’homme qui mange des yaourts dans les toilettes de la station-service » et Jean-Pierre Mocky celui du « malade qui crie “y a-t-il un Français dans la salle ?” », et où il est question du tournage d’un film et de l’enlèvement raté d’un industriel.
 
Extrait à voir ici :


 
 
 
En 2015, le musicien Stromae reprend l’air le plus connu de Bizet pour sa chanson Carmen, dont le clip a été réalisé par Sylvain Chomet. Le sujet reste l’addiction, mais plus vraiment l’amour :

 
 

Carmen a aussi inspiré les peintres, comme Édouard Manet

 
 
Portrait d’Émilie Ambre dans le rôle de Carmen

 
Ou Pablo Picasso
 

 
Portrait de Jacqueline en Carmen
 
 
 
De nombreux ballets ont également été chorégraphiés sur Carmen, notamment par Mats Ek, Roland Petit, Dada Masillo ou Carlos Acosta. Je vous propose de découvrir un extrait de la version de Denis Plassard :

 
 
À l’Athénée, le Carmen qui commencera mercredi est lui aussi une libre adaptation de Bizet et Mérimée, où le mythe de la femme fatale est dépassé pour mieux parler d’amour. Notre Carmen, par le collectif de théâtre musical Hauen und Stechen et l’Ensemble 9, se jouera du 9 au 19 novembre dans la grande salle.
On parlera aussi d’amour en même temps dans la petite salle avec L’Aile déchirée d’Adrien Guitton.


(Et si vous voulez rire un peu, je vous conseille cet extrait du film Carmen de Robert Townsend avec Beyoncé dans le rôle-titre)

 
Bon week-end !

Clémence Hérout
 
 
(1) Friedrich Nietzsche, Le Cas Wagner, traduction de Daniel Halévy et Robert Dreyfus révisée par Jacques Le Rider