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Entretien

L'art du kitsch

Posté le : 08 avr. 2011 07:08 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Une visite inopportune

La semaine dernière, alors que je faisais quelques recherches sur Copi, je tombai sur le nom d'Isabelle Barberis, qui a écrit des articles et consacré sa thèse à l'écrivain argentin.

Son nom me disait quelque chose, et pour cause : Isabelle et moi avons plusieurs amis en commun sur Facebook, et je l'avais souvent vue laisser des commentaires à des articles liés au théâtre que publiaient nos contacts communs.

Je pus ainsi la contacter assez facilement par Facebook et échanger quelques messages avec elle : Isabelle est agrégée de lettres, chercheuse et enseignante en études théâtrales, elle connaît le blog de l'Athénée (ouf) et surtout, heureux hasard (ou presque, car les spécialistes français de Copi ne sont pas légion), elle est intervenue auprès de comédiens suivant un stage sur Copi auprès de Philippe Calvario, le metteur en scène d'Une visite inopportune.

Voici un extrait de nos échanges où elle a répondu avec beaucoup d'enthousiasme et de précision à mes questions, inaugurant le genre de l'interview-Facebook sur le blog et démontrant combien le travail universitaire peut se mêler avec beaucoup de grâce et de naturel au travail artistique :


«— En quoi ont consisté vos interventions auprès des acteurs de Copi ?
— Le principe en était assez simple et humble : j'ai répondu aux questions des comédiens de Philippe Calvario sur Copi, sa biographie, ses textes, sans séparer l'anecdote du concept. Les pièces sont plus complexes qu'on ne se le représente en général à cause de leur dimension carnavalesque —or le carnaval, c'est quelque chose d'éminemment complexe!
Bien sûr, il ne s'agissait en aucun cas d'adopter une position professorale, cela c'est passé sur le mode de la conversation libre bien que soutenue. J'ai été étonnée par la curiosité que Copi suscitait chez les comédiens, mais cela s'explique par la nature même de ce théâtre qui fonctionne en grande partie sur le principe du malentendu. Le malentendu, le code switching (1) inextricable, renvoient à la situation de l'étranger ou de l'exclu cherchant à se faire comprendre des "autochtones"... Eh bien nous avons ensemble essayé de dissiper des malentendus pour entendre Copi. C'était sur ce mode, plus que sur celui de l'analyse de texte, encore moins de l'"interprétation". J'ai été rassurée sur le fait qu'un travail universitaire puisse arriver jusque sur le plateau de manière naturelle.

Une visite inopportune est-elle une sorte de parodie et si oui, de quoi ?
— Cela demanderait de définir la parodie - qui renvoie à la parodos, un terme grec pour désigner les commentaires du choeur et le "contre-chant". L'écriture de Copi n'est pas étranger au chant et à la glossolalie (2).
Même si c'est moins visible dans Une visite inopportune que dans d'autres pièces, les personnages se battent pour avoir leur "grand air" et occuper le devant de la scène. Je pense qu'avant d'être parodique, le théâtre de Copi relève d'une mimesis (3) affolée, d'une superposition de masques. Dans la parodie, on arrive en général à discerner quel est le "modèle" parodié et la plupart du temps subverti ou mis à mal. Cela implique une distance critique dans lequel le théâtre sentimental de Copi ne se retrouve pas. La parodie froide y alterne avec des moments d'empathies sincères, en insufflant par alternance le chaud et le froid.
Ce théâtre mixant allègrement les modèles et les références de tous ordres dans une "cuisine" impure, difficile de discerner l'objet de la parodie à proprement parler, même si on repère aisément des morceaux de Molière, des morceaux de Proust, des morceaux de Genet, des morceaux de Tennessee Williams, des morceaux de Cocteau entre autres... et bien sûr des morceaux de Copi. C'est un texte-arlequin.
Une visite inopportune est une parodie de comédie bourgeoise et de vaudeville, donc une parodie de parodie, une parodie au carré dans laquelle le sens de la relation parodique ... est sens dessus dessous. C'est cet excès qui permet la carnavalisation du Sida, car tout est permis. A part dans la performance, je ne connais pas de théâtre aussi libre.

— Copi, c'est kitsch ?
— Eh bien là aussi, cela revient à tenter une définition du kitsch! La pièce la plus kitsch de Copi est sans doute Le Frigo, dans laquelle Copi se kitschise lui-même. Le kitsch est une momification du souvenir, et c'est bien le sujet d'Une visite inopportune. Mais c'est un kitsch hautement conscient et distant, qui recoupe plus la définition du Camp (4) comme détournement par imitation, mimicry (5) plus que mimesis. "Campy" est aussi plus précis, car le terme appelle le jeu et le geste de l'acteur-diva, celui qui investit tous ses signes morts pour leur donner vie, dans un dernier regard par-dessus l'épaule.»


Pour découvrir sur le plateau cette écriture carnavalesque où s'entremêlent les références, les humeurs et les genres, il vous reste encore trois représentations de la mise en scène de Philippe Calvario : ce soir, demain à 15h et demain à 20h. Bon week-end à tous !

 

(1) Permutation, inversion, changement
(2) Terme employé par Artaud pour désigner une manière de parler en "langue étrangère"
(3) Imitation
(4) Sur le Camp, on peut lire un article de Susan Sontag ici.
(5) Proche du terme français "mimétisme"