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Perspective

Il porte un pantalon à carreaux

Posté le : 10 févr. 2015 05:58 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Trois Soeurs

Olga Knipper-Tchekhova était comédienne. Membre fondatrice du Théâtre d’Art de Moscou, elle interpréta de nombreuses pièces de Tchekhov, qu’elle épousa en 1901.  

Dans le recueil Tchekhov vu par ses contemporains paru chez Gallimard, on trouve un texte qu’elle avait écrit sur Tchekhov. En voici quelques extraits, où elle évoque le travail sur La Mouette, Oncle Vania et Les Trois Soeurs.


« Aux questions qu’on lui posait, il répondait d’une manière inattendue, comme à côté du sujet, et nous ne savions jamais s’il fallait ou non prendre sa réponse au sérieux. Mais ce n’était là qu’une première impression ; bientôt sa remarque, jetée comme en passant, vous pénétrait l’esprit et le cœur ; à l’aide d’un petit trait apparemment insignifiant, mais caractéristique il élucidait pour vous l’essence même de ses personnages.
Ainsi, lorsqu’un de nos acteurs demanda à Anton Pavlovitch [Tchekhov] de préciser le type de l’écrivain Trigorine, personnage de La Mouette, il s’entendit répondre : "Mais voyons, il porte un pantalon à carreaux." [...]

C’est précisément Tchekhov qui a introduit dans ses œuvres l’homme quelconque, l’homme simple avec ses joies et ses peines, son insatisfaction, ses rêves d’avenir et d’une vie "incroyablement belle".
[...]

Durant la saison 1899-1900, nous jouâmes Oncle Vania. Cette pièce n’eut pas d’emblée le succès de la précédente.
L’impression ressentie lors de la première fut presque celle d’un échec. Je crois que nous en étions nous-mêmes la cause. Les pièces de Tchekhov sont très difficiles à jouer. Il ne suffit pas d’être un bon acteur et d’interpréter parfaitement son rôle. Il faut encore aimer et comprendre le dramaturge, se laisser pénétrer par l’atmosphère qu’il fait lever autour de ses personnages, et surtout il faut aimer les hommes comme il les aimait lui-même, il faut se laisser immerger dans la vie de ses héros. Mais dès qu’on a compris ce qu’il y a chez Tchekhov d’éternellement vivant, on pourra interpréter le même personnage d’innombrables fois, sans qu’il perde sa vérité particulière, et on y découvrira toujours quelque chose de nouveau, d’encore inexprimé.
[...]

Lorsqu’il nous eut lu cette pièce [Les Trois Soeurs], à nous acteurs et metteurs en scène qui attendions depuis longtemps une nouvelle œuvre de notre auteur préféré, il y eut un silence embarrassé... Avec un sourire gêné et un toussotement nerveux, Anton Pavlovitch [Tchekhov] allait et venait parmi nous. Quelques observations furent enfin formulées ; on disait : “Mais ce n’est pas une pièce, ce n’est qu’un schéma...” “On ne peut pas jouer cela, il n’y a pas de rôles, seulement de vagues indications...” Un dur travail nous attendait ; il fallait labourer les âmes en profondeur.
Mais quelques années passèrent et déjà nous nous demandions avec étonnement : “Est-il possible que cette pièce, si riche d’émotion, si pleine de sens et qui découvre les replis les plus intimes de l’âme nous soit apparue comme un schéma et que nous ayons pu dire qu’elle ne contenait pas de rôles ?”

En 1917, après la Révolution d’Octobre, Les Trois Sœurs furent l’une des premières pièces que nous interprétâmes, et nous avions tous le sentiment de l’avoir jouée jadis sans bien la comprendre, sans attacher d’importance aux pensées, aux sentiments et surtout aux rêves qu’elle cachait. La résonance de cette pièce n’était plus la même ; nous sentions qu’il ne s’agissait pas là de rêves, mais de pressentiments et qu’en effet “quelque chose d’énorme avançait vers nous” et qu’un “puissant orage avait balayé la paresse, l’indifférence, les préjugés contre le travail, l’ennui morbide de notre société”. »


Trois Soeurs
de Tchekhov mis en scène par Christian Benedetti se joue jusqu’à samedi.

Clémence Hérout