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Pleins feux

Conversation avec des spectateurs après La Cerisaie

Posté le : 06 déc. 2010 06:12 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie : Entre nous - ensuite | La Cerisaie

Mardi dernier, l'équipe de La Cerisaie retrouvait les spectateurs de la pièce au foyer-bar de l'Athénée après la représentation : modérée par Lola Gruber, qui écrit les textes des programmes et brochures du Théâtre, la discussion a permis d'échanger à chaud sur le spectacle.

Notes en vrac :

Paul Desveaux, le metteur en scène, travaille avec la chorégraphe Yano Iatridès depuis de nombreuses années, dans l'idée de "réinjecter du corps dans le travail théâtral par la danse". Cette collaboration s'imposait d'autant plus dans La Cerisaie qu'un bal a lieu au cours de la pièce.

Pour Yano Iatridès, chorégraphe du spectacle, c'est très différent de travailler avec des comédiens et des danseurs. Le processus serait même contraire : alors que chez le danseur, il faudrait gommer l'esthétique et la technique pour faire ressortir l'humain et la sensibilité, chez le comédien ce fond est déjà là : on y ajoute l'esthétique ensuite.

Paul Desveaux explique qu'il n'a pas cherché à monter La Cerisaie de façon réaliste: pour lui, Tchekhov étant un poète, il fallait lui redonner sa dimension poétique. Contrairement à une idée répandue, Tchekhov ne serait pas forcément un écrivain du quotidien.
Un spectateur fait remarquer que si Oncle Vania et Les Trois Sœurs ont été montés de façon assez réaliste à l'Athénée, ce n'était en effet pas le cas du tout pour cette Cerisaie...
Pour Paul  Desvaux, à part dans la mise en scène d'Alain Françon qui avait repris le décor de Stanislavski, les mises en scène de La Cerisaie sortent souvent du réalisme, aussi parce que Tchekhov s'en détache déjà lui-même dans son texte : par exemple, il est dit à un moment que le jour se lève alors qu'il est deux heures du matin, chose impossible en Russie quelles que soient la région ou la saison.  De même pour le bruit que l'on entend et dont les personnages ne savent pas s'il s'agit d'une benne, d'un grand duc, d'un héron ou d'une impression étrange.
Daniel Delabesse, qui interprète Gaev, fait remarquer qu'à ce niveau en particulier, Tchekhov aura été le précurseur de Beckett ou Sarraute.

Océane Mozas, qui interprète Lioubov, rapproche son personnage de Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett : toutes deux arborent un masque souriant malgré les difficultés et angoisses.
Quant à Amandine Gaymard, elle explique qu'au-delà des clichés d'amoureuse un peu coquette dont on affuble Douniacha, qu'elle joue, il s'agit surtout d'une jeune femme qui veut sortir de sa condition.

À un spectateur qui s'interroge sur la présence de tous les personnages sur le plateau pendant toute la pièce, Paul Desveaux répond qu'il a voulu que la parole ne reste pas intime et que la révélation se fasse par le discours, comme en psychanalyse. Mettre tous les personnages sur scène permet à la parole de prendre une autre dimension et de révéler une certaine violence latente chez Tchekhov.

Une spectatrice demande pourquoi le personnage de l'étudiant, Trofimov (interprété par Christophe Giordano), paraît plus révolutionnaire et exalté que philosophe. Pour Paul Desveaux, c'est un choix. Le discours de Trofimov lui fait peur : il est intelligible et intéressant, son raisonnement est passionnant, mais il est dépassé par sa propre parole. Ce n'est pas un être raisonnable, car il se perd lui-même dans son propre discours. Mais avec ce personnage, Tchekhov a été précurseur et visionnaire en prévoyant le mouvement socialiste qui va se révéler en 1905 (soit un an après La Cerisaie) puis en 1917.

Après Trofimov, c'est le personnage de Lopakhine (joué par Christophe Grégoire) qui est interrogé : comme l'a demandé Lola Gruber, est-ce qu'il ne devrait pas faire peur, lui aussi ? Pour Paul Desveaux, à travers Trofimov et Lopakhine, on voit l'opposition entre l'être et l'avoir. Il a une certaine affection pour Lopakhine, mais il n'aime pas la société qu'il propose où tout se résout par l'argent.
D'après un spectateur, Lopakhine veut aussi prendre la place des maîtres de ses parents et serait donc un personnage très contradictoire. Mais pour Paul Desveaux, Lopakhine ne prémédite pas cette idée : il ne s'en rend compte que sur le moment. Rachète-t-il la cerisaie pour sauver la propriété ou pour prendre l'ascendant ? Tchekhov ne donne pas de réponse : il décrit Lopakhine mais il ne juge pas. Mais il est vrai que, d'après Paul Desveaux, Lopakhine est un personnage très ambigu : il a accumulé d'immenses richesses et s'endort dès qu'il lit un livre, il veut prendre l'ascendant sur les maîtres de ses parents tout en espérant qu'ils reviendront à la cerisaie l'été prochain, il veut sauver la cerisaie tout en la détruisant…
Pour Jean-Claude Jay, qui joue Firs, le personnage de Lopakhine est très complexe et ne peut se comprendre que si l'on part du fait qu'il est amoureux de Lioubov : pour lui, si Lopakhine n'est pas amoureux de Lioubov, alors il n'y a pas de pièce. Ce à quoi Daniel Delabesse, l'interprète de Gaev, répond tout en concluant la rencontre : "De toutes façons, Tchekhov avait dit que les Français ne comprendraient rien à Lopakhine…".



NB : L'Athénée propose régulièrement des rencontres autour des spectacles : les café-débats permettent d'échanger sur des problématiques liées aux pièces programmées, les "d'abord" vous proposent une petite introduction au spectacle et les "ensuite" sont l'occasion de discuter avec l'équipe artistique après avoir vu le spectacle.


La Cerisaie se joue encore jusqu'à la fin de cette semaine !

Ce soir, vous pourrez assister au concert de la pianiste Claire-Marie Le Guay, en résidence à l'Athénée pour la troisième année : en duo avec le pianiste Éric Le Sage, elle interprétera des œuvres de Liszt, Stravinsky, Hersant et Brahms. Un premier concert aura lieu dans l'après-midi pour des élèves d'écoles primaires : pour le grand public, c'est à 20h!

Bon lundi.