le blog de l'athénée

Retrouver les billets du blog postés de 2008 à 2018

Ils ont blogué pour l’athénée pendant 10 ans
D'hier à aujourd'hui

"Connards ! Merde ! C'est une honte !"

Posté le : 01 juin 2017 19:30 | Posté par : Clémence Hérout
Catégorie :

Vous connaissez Pierre Henry. Il a une tête de tragédien grec de mauvaise humeur
 
(c) Anne Selders
 
(ne lui en voulez pas : s’il souriait, il ressemblerait au père noël), mais surtout sa musique a beaucoup été utilisée dans la culture populaire. À tout hasard, sa Messe pour le temps présent, qui a été chorégraphiée par Maurice Béjart, et qu’on a entendue partout ensuite :
 
Si vous ne voyez pas la vidéo, elle est ici sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=7K4RuQDxUaI
 
 
Né en 1927, il étudie la musique avec Pierre Boulez et Nadia Boulanger au Conservatoire national supérieur de musique. Pianiste et percussionniste, il commence rapidement à « préparer » des pianos, c’est-à-dire à y placer des objets pour en altérer le son, mais aussi à fabriquer ses instruments.

Il n’a même pas trente ans lorsqu’il commence à proposer des œuvres où se mêlent la musique électronique, les voix, les instruments et les sons du quotidien captés avec un micro — il se constitue d’ailleurs un dictionnaire des sons, qu’il qualifie de « dictionnaire de Babel ».

Il dirige également lui-même la diffusion de ses œuvres dans l’espace des salles de concert, assimilant les haut-parleurs à des musiciens. Il commence une collaboration avec le chorégraphe Maurice Béjart en 1955, et transforme également ses concerts en spectacle : en 1967, il donne par exemple un « concert couché » où il régit le son dans un ring de boxe, entouré du public allongé sur des matelas.

Préférant travailler des sons plutôt que des notes, ses concerts sont des théâtres sonores, qu’il considère comme une cérémonie dont il dirige tous les aspects. Ses œuvres sont données à la fois dans des lieux de musique contemporaine et des salles de concert comme l’Olympia. Il est considéré comme le père du sampling et du remix, et comme un inspirateur de beaucoup de musiques électroniques.
Il n’a pas cependant pas toujours eu une grande reconnaissance du milieu musical académique — et d’ailleurs, il n’a été bénéficiaire d’aides publiques qu’à partir de 1982 alors qu’il a commencé sa carrière en 1951.

Orchestre sonorisé proposant des concerts spatialisés, Le Balcon ne pouvait pas passer à côté de lui. Demain, il donnera ainsi Dracula à l'Athénée, composé par Pierre Henry en 2002 à partir de la tétralogie de Wagner, spatialisé et orchestré par Othman Louati et Augustin Muller.

Un avant-goût ici : 

La vidéo est là sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=P1-e9jUw2A8
 
 
 
Il sera précédé par Déserts d’Edgard Varèse (1883-1965), une œuvre mixte composée dans les années 1950 pour une vingtaine d’instrumentistes (dont cinq percussionnistes jouant quarante-sept instruments à percussion) et des bandes magnétiques.
Sa création au théâtre des Champs-Élysées en 1954 avait donné lieu à l’un des plus grands scandales musicaux du 20e siècle, dont l’on peut entendre une petite partie grâce à l’INA (ici)

Il est également raconté par Julien Mathieu dans son article (publié sur Cairn) Un mythe fondateur de la musique contemporaine : le « scandale » provoqué en 1954 par la création de Déserts d’Edgard Varèse, dont je vous propose quelques extraits :

« L’orchestre commence à jouer. […] peu à peu, quelques bavardages épars se font entendre. Un rire fuse alors qu’un son sourd de scie circulaire sort des haut-parleurs, puis quelques sifflets, discrets, se font entendre. […] C’est alors qu’un homme hurle : "À l’asile !", tandis que d’autres insultes, issues manifestement de bouches différentes, fusent : "Bande de salauds !", "C’est un scandale !", "Décadence !". Des "chut" répétés ramènent péniblement le calme alors que l’orchestre succède aux sons synthétiques. […] un homme crie : "Arrêtez, quoi !" .
 
Un brouhaha s’ensuit, des gens s’insultent ("connards !", "merde !", "c’est une honte !"), certains crient, quelques timides vagues d’applaudissements tentent de submerger le tumulte puis tout se calme un peu […]. certains membres de l’auditoire tentent d’imiter les sons étranges qu’ils entendent en les assimilant à des cris d’animaux : l’un caquète, l’autre siffle pendant qu’un dernier aboie, le tout agrémenté de rires féroces.
Le scandale s’installe alors : un auditeur s’exclame, par exemple : "Pendez-le !", beaucoup s’invectivent, discutent ferme de l’utilité d’écouter une telle musique. […]
 
Enfin, lorsque les sons agressifs de la troisième interpolation résonnent dans les haut-parleurs, ce sont des cris, des hurlements, des applaudissements qui, au fur et à mesure, couvrent presque la bande magnétique, jusqu’au retour de l’orchestre (qu’on entend à peine) et l’achèvement de l’œuvre, salué par un mélange "apocalyptique" (selon le terme de Iannis Xenakis) de sons humains tendant soit vers l’injure, soit vers l’ovation quelque peu forcée ».


Du coup, j’ai hâte de savoir ce que vous ferez demain : Dracula et Déserts se joueront demain et samedi à 20 h, et c’est le dernier spectacle de la saison !
 
 
Clémence Hérout